SICLI: la prouesse d’un chan­tier en images

Cet été on met les voiles

Sept albums photographiques ont été récemment confiés à la Fondation Pavillon Sicli. Un reportage complet et une archive exceptionnelle retraçant avec précision la réalisation de l’un des édifices les plus remarquables de Suisse. Nous avons demandé à Yvan Delemontey d’en extraire une sélection et d’expliciter les phases de construction de la coque genevoise, structure unique et atypique dans l’œuvre d’Isler. 

Date de publication
15-08-2024
Yvan Delemontey
Architecte IAUG, docteur en architecture Université Paris 8 et de l’Université de Genève. Il a été collaborateur scientifique au TSAM à l’EPFL et est actuellement architecte à l’Office du patrimoine et des sites du canton de Genève

Édifié en 1970 au cœur du PAV, à Genève, l’usine SICLI (Secours immédiat contre l’incendie) abrite l’administration, la logistique et la production de l’entreprise éponyme spécialisée dans la fabrication et la distribution de matériels de lutte contre le feu. Désireux de faire construire «un bâtiment aux lignes révolutionnaires», son directeur, Frédéric Rochat (1918-1992), fait appel à un duo de concepteurs de talent, l’architecte genevois Constantin Hilberer (1923-1988) et l’ingénieur bernois Heinz Isler (1926-2009). Ce dernier est alors réputé pour l’élégance et la hardiesse de ses voiles minces en béton dont il couvrira la Suisse au cours de sa carrière.

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Obéissant à la bipartition du programme (halle de production et bureaux), l’architecte et l’ingénieur conçoivent une structure asymétrique appuyée en sept points formant deux dômes de tailles distinctes. Afin de concrétiser cette forme inédite à la géométrie complexe, Isler se lance dans un patient travail en maquettes pour lequel il emploie la méthode dite de la «membrane suspendue et inversée» qui consiste à tendre une toile en plusieurs points que l’on enduit ensuite d’une matière plastique (plâtre, polyester, etc.) afin d’obtenir une forme suspendue en tension pure sous la gravité. Une fois solidifiée, la forme est retournée, engendrant une coque en compression pure, à la fois étanche et optimisant la matière. Ainsi, la recherche de formes structurelles ne résulte-t-elle pas chez Isler, comme chez la plupart de ses pairs, d’équations mathématiques (formes géométriques) mais de procédures de conception empiriques fondées sur l’observation de la nature et l’utilisation de modèles (formes physiques) qui font la singularité de la démarche propre à l’ingénieur suisse.

La recherche de formes structurelles ne résulte pas chez Isler, comme chez la plupart de ses pairs, d’équations mathématiques (formes géométriques) mais de procédures de conception empiriques fondées sur l’observation de la nature et l’utilisation de modèles (formes physiques).

Le chantier qui s’ouvre à Genève se déroule de novembre 1968 au printemps 1970, période durant laquelle il va faire l’objet d’un reportage photographique presque exhaustif, témoignage rare à une époque où l’on ne documente que ponctuellement les travaux de construction. Ainsi, la réalisation du gros œuvre de l’usine est-elle immortalisée par plus de 500 clichés en noir et blanc et en couleur pris sur le vif par le maître d’ouvrage à des moments clés du chantier et contenus dans sept albums. Parmi ces moments, l’exécution de la coque en béton, entre juin et septembre 1969, en constitue sans conteste l’épisode le plus exaltant et spectaculaire. On y découvre tour à tour les étapes successives de la réalisation du coffrage, enchevêtrement hétéroclite de pièces de métal et de bois, la mise en place des armatures épousant avec soin le galbe de cette construction éphémère, la fébrilité du bétonnage sans désemparer de la coque ou encore l’opération ô combien délicate de son décoffrage, révélant la beauté nue de ce voile de béton ondoyant, moment fugace opportunément capturé par l’objectif du photographe Mick Desarzens. On y voit également les protagonistes de cette aventure, Frédéric Rochat, caméra à la main, conscient sans doute de vivre là un moment historique de l’entreprise qu’il dirige, Heinz Isler supervisant en personne la mise en tension des câbles de précontrainte ou encore Constantin Hilberer posant benoîtement en costume cravate face à l’objectif.

Yvan Delemontey est docteur en architecture, architecte à l’Office du patrimoine et des sites du canton de Genève (OPS-IMAH).

Sur l’histoire de la réalisation de l’usine SICLI, voir Yvan Delemontey, «L’usine SICLI à Genève (1966-2015) : genèse et devenir d’une coque exceptionnelle», dans Franz Graf, Yvan Delemontey (dir.), La sauvegarde des grandes œuvres de l’ingénierie du XXe siècle, Cahier du TSAM 1, Lausanne, PPUR, 2016, pp. 90‑107. Cet article est issu d’une étude patrimoniale menée par le laboratoire TSAM de l’EPFL en 2013 et dont sont tirés les présents commentaires.

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