Young-Old : Ur­ban Uto­pi­as of an Aging So­cie­ty

L’essor des gated communities pour retraités

Publikationsdatum
01-04-2015
Revision
10-11-2015

En 1942, les résidents d’origine japonaise de la côte Ouest des Etats-Unis furent regroupés dans des camps de concentration. Cent vingt mille hommes, femmes et enfants furent enfermés dans des camps constitués de petites maisons préfabriquées. Cette expérience concentrationnaire pourrait être considérée comme le point de départ d’un certain urbanisme qui va se développer dans les années 1950: les gated communities pour retraités. 
C’est près de Phoenix qu’après la guerre, l’un des principaux constructeurs de camps pour Japonais va recycler son savoir-faire pour proposer le premier village pour seniors: une communauté d’habitants fondée sur le principe d’une ségrégation générationnelle volontaire. Au fil des ans et des campagnes médiatiques, ces agglomérations paramétrées autour des loisirs pour personnes âgées vont proliférer. 
La plus grande de ces communautés de retraités, The Villages, près d’Orlando en Floride, compte aujourd’hui plus de 110 000 habitants : autant que Venise. On s’y déplace en voiturette de golf et on n’a pas le droit d’y élire domicile avant l’âge de 55 ans. 
Young-Old est un ouvrage d’analyse et de synthèse qui essaye d’éclairer ce phénomène mondial, puisque ce modèle ne va pas tarder à s’exporter en Asie et en Europe. La Costa del Sol, transformée au fil des décennies en gigantesque camp de vacances pour retraités venus des quatre coins d’Europe, n’est pas moins paradoxale dans ce qu’elle incarne. Le modèle urbain qu’elle constitue est traversé de contradictions: locales mais tournées vers le lointain, semi-rurales et urbaines, pittoresques et modernes, les urbanizaciones sont d’étranges enclaves britanniques, allemandes ou finlandaises sur un territoire qui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il fut il y a cinquante ans. 
Au Japon, Deane Simpson relate le cas d’une copie de la ville néerlandaise de Delft qui fonctionne comme un village pour retraités aisés. Reproduisant à l’identique de nombreuses caractéristiques de la ville de Vermeer, Huis Ten Bosch ne serait qu’un vulgaire parc à thème si le site qu’elle occupe n’était pas celui d’un ancien comptoir néerlandais du 17e siècle. Si cet ancrage historique ne suffit à sortir Huis Ten Bosch de sa condition d’enclave «disneyfiée», il nous oblige à repenser le lien qu’entretiennent les agglomérations historiques, et par la force des choses touristiques, avec leur passé. En quoi Carcassonne, lourdement restaurée par Viollet-le-Duc, serait elle plus authentique que la pâle copie de Delft ?
L’analyse de Deane Simpson a le mérite d’aborder toutes ces questions avec assez d’ouverture pour ne pas les réduire à une simple étude de cas. L’économie, la sociologie et l’histoire viennent enrichir l’analyse pour constituer un propos passionnant. Riche de graphiques qui informent sans saturer de données inutiles, ce travail critique déborde le périmètre strict qu’il s’était fixé pour adresser une question bien plus globale : celle de la spécialisation. 
Car l’urbanisme de la ségrégation générationnelle ne serait que l’occurrence d’une tendance qui n’a jamais véritablement pris fin : celle du zonage fonctionnel. Prisonniers volontaires, heureux dans leur enclave sécurisée, ces vieux jeunes sont bien les porte-étendards de l’esprit de séparation qui ­conditionne la cité moderne.

 

Young-Old: Urban Utopias of an Aging Society

Deane Simpson, Lars Müller Publishers, Zurich, 2014 / 40 €

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