Fai­sons la ville, en­sem­ble

Valorisation du site de la Neugasse Zurich: projet participatif

Avec les projets de valorisation du site de la Neugasse, les CFF se sont aventurés en terre inconnue: pour la première fois, les habitants pouvaient formuler dès la phase initiale ce qu’ils attendaient d’un nouveau quartier.

Publikationsdatum
12-09-2018
Revision
13-09-2018

L’histoire des Chemins de Fer Fédéraux (CFF) a commencé à Zurich il y a plus de 170 ans. C’est ici que fut inaugurée en 1847 la première liaison ferroviaire sur le sol suisse. Cette ligne rebaptisée «Spanisch-Brötli-Bahn» (train des petits pains espagnols) par la population reliait Zurich à Baden. Elle était exploitée par la Schweizerische Nordbahn SNB, la compagnie qui en 1902 deviendrait la société nationale des CFF. L’exploitation ferroviaire nécessitait d’importantes surfaces, que ce soit pour les manœuvres, la maintenance et la remise en état du matériel roulant ou le stockage de charbon. Grâce à la promulgation de la loi d’expropriation en 1850, les CFF ont pu acquérir des terrains avec un minimum de tracasseries administratives – y compris contre le gré des propriétaires le cas échéant.

Aujourd’hui, les choses évoluent en sens inverse : les besoins en superficie ne sont plus aussi importants, les fonctions sont regroupées sur des sites
isolés. Ces changements affectent aussi le dépôt G des CFF sur le site de la Neugasse. Situé entre les voies ferrées, le ­viaduc et le parc Josefwiese, ce terrain de 30 000 m² héberge le dépôt de loco­motives (1925 – 1927), un bâtiment qui mériterait d’être protégé. Mainard Lorenz, jadis directeur du bureau des constructions CFF du district III, en avait dessiné les plans. À celui-ci s’ajoutent les halles de 1959 et 1963, ainsi qu’une tour datant de 1965, que l’on doit à l’architecte des CFF Max Vogt. Des locomotives et des wagons sont encore réparés et entretenus ici de nos jours. Pour les longues compositions de trains cependant, la halle est trop courte, tout comme le terrain, et une extension n’est pas possible. D’ici 2022, les ateliers seront transférés dans le centre d’entretien voisin de Herdern. Un nouveau centre doit être construit dans la zone ferroviaire. Le site de la Neugasse sera ainsi prêt pour une nouvelle ­affectation.

Neugasse n’est que l’un des trois sites de Zurich qui seront prochainement ouverts, et où la circulation des trains sera remplacée par le déplacement des habitants et des employés. Avec les sites de Werkstadt et Hardfeld, une superficie de 140 000 m² sera disponible d’ici 2031 pour accueillir des logements et des postes de travail. Zurich se développe le long des voies ferrées.

Dans l’optique de cette évolution, les CFF ont élaboré en 2016 la stratégie «Gleisraum West» et défini en collaboration avec la ville des objectifs pour les trois sites appelés à se libérer. Pour Neugasse, les intervenants se sont entendus pour un développement à petite échelle avec des immeubles d’habitation mêlés à d’autres constructions. Outre quelque 250 postes de travail, des logements pouvant accueillir 900 personnes environ doivent sortir de terre, dont un tiers de logements à loyers modérés. L’objectif est un indice d’utilisation du sol supérieur à 2.0.

De bas en haut

Au sud, le site de la Neugasse jouxte les voies ferrées des CFF. Les autres côtés sont délimités par des immeubles d’habitation. En raison de ce voisinage, et compte tenu de la forte imbrication souhaitée avec le quartier environnant, les CFF ont décidé d’initier un processus participatif pour le projet de développement de ce secteur. La spécificité est la suivante : plutôt que de discuter avec les habitants de concepts élaborés, comme cela se fait habituellement, le processus a été cette fois inversé. Dans le cadre d’ateliers dirigés, les habitants ont pu exprimer leurs besoins et imaginer des scénarios pour l’utilisation de cet espace qui sera disponible prochainement – une idée de l’équipe de modérateurs, qui a également défini la méthodologie pour la mise
en œuvre de cette procédure exigeante (cf. interview, page 19). L’objectif est de ­définir un concept de développement urbanistique qui viendra étayer la modification du zonage de ce secteur industriel appelé à devenir un quartier d’habitation attractif.

Trois groupes d’intervenants participent à ce processus : les habitants intéressés qui, dans le cadre de réunions publiques dirigées, ont élaboré diverses visions pour le site. En mars 2017, deux de ces ateliers et un atelier de planification se sont tenus dans un court laps de temps avec un intervalle de seulement dix jours entre chaque rencontre et la participation de 80 à 200 personnes. Les ateliers ont permis de recueillir des suggestions et de préciser les exigences. Dans le cadre de l’atelier de planification, les idées notées par écrit et consignées dans des plans ont fait l’objet d’un contrôle et elles ont été affinées à l’aide de maquettes à l’échelle 1: 200. Entre deux réunions, les mandataires (groupe 2) faisaient la synthèse avec les modérateurs des connaissances acquises au cours de la séance, et les con­densaient en vue de leur exploitation au cours de l’atelier suivant. À l’occasion d’un autre atelier en mai 2017, deux variantes des conclusions précédentes ont été commentées et évaluées. Durant cette phase, le processus a été soumis à un étroit suivi technique par un troisième groupe, un comité de 16 personnes regroupant les représentants de services municipaux et d’associations professionnelles, ainsi que des spécialistes issus de disciplines associées comme l’architecture paysagère, la sociologie ou encore la gestion immobilière. Ce comité technique a assisté aux ateliers, parfois en tant qu’observateur. Le concept de développement urbanistique élaboré par les mandataires et les modérateurs a ensuite été présenté aux participants, fin novembre, dans le cadre d’un nouvel atelier où il a pu être discuté.

Outre la forte implication des habitants, une autre particularité concerne la composition du groupe de mandataires. Afin de ne pas restreindre excessivement les perspectives, deux bureaux sont également représentés ici, l’un pour l’urbanisme et l’autre pour l’aménagement des espaces publics, qui s’ajoutent à ceux pour l’aménagement du territoire, l’organisation du trafic et la planification de l’environnement. Plutôt que de s’opposer avec deux projets, les différentes disciplines sont invitées à travailler ensemble sur le concept, en tant que collectif d’auteurs et dans le dialogue. Les personnes intéressées ont par ailleurs la possibilité de s’informer à tout moment de l’évolution du projet en se connectant au site www.neugasse-zuerich.ch et de donner leur feedback sur les conclusions des ateliers.

Qui décide de ce qui est important?

Avec plus de 200 participants, l’enjeu était d’éviter que de la mise en commun des différentes visions ne jaillisse soudain un compromis inconsistant avec le plus petit dénominateur possible. Dans le cadre des études pour le site de la Neugasse, ce travail de traduction et de systématisation a incombé à l’équipe de modérateurs et au groupe de mandataires. Pour contourner l’écueil, ces acteurs ont identifié quatre thématiques – «quotidien et voisinage», «habiter, travailler + partager», «espace et atmosphère» et «mobilité et énergie» – et divisé le terrain en sept secteurs qui présentent des caractéristiques fonctionnelles et architecturales spécifiques.

Résultat: l’actuel dépôt devient une cour fermée sur trois côtés et fournit le centre du nouveau site. Les bâtiments d’exploitation sont en partie conservés ­et renvoient à l’histoire ferroviaire du ­nouveau quartier. À cela s’ajoutent des constructions de six à dix niveaux, dont les rez-de-chaussée accueilleront des services comme des halte-garderies et des commerces. Pour définir les exigences concernant ces derniers, un atelier public sera également organisé en automne 2018. À partir de ce concept, le groupe de mandataires établira un plan directeur. Celui-ci sera communiqué à la municipalité de Zurich d’ici la fin de l’année 2018 et étayera les autres démarches imposées par le droit de la construction.

Faut-il continuer ainsi?

Le coût d’une telle procédure est assurément très élevé. Elle impose un engagement important de la part des participants et des responsables, mais aussi une certaine ouverture de la part du maître d’ouvrage, en l’occurrence les CFF. 

Si les projets participatifs remportent souvent une adhésion plus forte des habitants, il n’en a pas toujours été ainsi dans le cas présent. Certains participants ont utilisé ces ateliers pour critiquer a posteriori la proportion de logements sociaux, qui avait été établie à un tiers, et exiger une part de 100 %. L’initiative est en souffrance à la municipalité de Zurich. La mise en œuvre d’un processus aussi ouvert exige toutefois un environnement sûr. Pour la compagnie des CFF en tant qu’investisseur, il est important par exemple que la rentabilité soit assurée, faute de quoi l’investissement n’est tout simplement pas viable. Cette démarche fournira-t-elle finalement de meilleurs résultats qu’une procédure conventionnelle? L’avenir le dira. Le début des travaux est prévu pour 2022. Pour les CFF, cette approche s’est avérée, quoi qu’il en soit, productive, comme l’indique Jürg Stöckli, responsable de CFF Immobilier, à tel point que les CFF prévoient «de valoriser ainsi leurs quelque 150 sites appelés à se libérer en Suisse»


Statement: Une ville pour tous

Une démarche participative sans précédent a été expérimentée pour le site de la Neugasse. Contrairement aux procédures habituelles de participation, où des contraintes sont  pré­alablement répertoriées dans le cadre d’un processus fermé, puis commentées dans un forum de discussion, les habitants intéressés ont cette fois été intégrés dès la phase de conception. 

La densité avait été déterminée en amont avec un indice d’utilisation du sol de 2,0 minimum, aussi les contributeurs étaient-ils confrontés à la nécessité d’inclure un important volume de construction, d’où de nombreuses propositions de tours. Le fait qu’il en résulte un conflit d’objectifs avec l’exigence de logements à prix abordables n’était pas connu des participants, comme l’a montré le processus participatif. 

Parallèlement à la maîtrise volumétrique du programme, l’équipe des concepteurs a décrit sept situations urbanistiques avec les contraintes associées et les typologies possibles. Cela a permis de définir de façon relativement précise quels devraient être les apports des espaces publics et des constructions futures à ces endroits pour favo­riser l’émergence d’un petit coin de ville vivant et diversifié.

Bien qu’il s’agisse d’un espace étendu, les marges de manœuvre s’avèrent étonnamment restreintes. Les vastes structures des halles du dépôt G, dont certaines sont protégées, peuvent constituer un obstacle, même si elles offrent un site propice pour une école. Pour éviter que le quartier ne se fragmente en trois parties, il conviendrait de développer une typologie ouverte et polyvalente, qui soit à la fois une école et un creuset pour des activités de quartier. 

Le comité d’accompagnement est constitué de quinze membres. Avec l’équipe du projet, une trentaine de personnes ont pris part aux activités des forums de discussion, d’où la nécessité d’une discussion très structurée au sein des groupes de travail. Les approfondissements qui auraient parfois été requis pour cette procédure complexe et ouverte n’ont toutefois pas toujours été atteints.

Il s’agit d’un format passionnant dans l’ensemble, qui devrait être davantage développé. Il recèle de formidables opportunités pour dégager des solutions réalistes pour la valorisation de sites convoités de la ville.

Andreas Wirz, membre du groupe d’experts


Statement: Les jeunes s'associent au développement de leur ville

Lorsque les CFF nous ont demandé si l’OJA Zurich (organisme zurichois de travail en milieu ouvert avec des jeunes) pouvait être associé au processus participatif pour le développement du site de la Neugasse, notre réaction première fut celle de la réserve.
Pour nous, il était important de nous assurer que les jeunes pourraient s’impliquer véritablement et qu’ils ne seraient pas instrumentalisés. Il est rapidement apparu que les res­ponsables du projet étaient réellement intéressés par cette participation des jeunes et de l’OJA. Nous avons donc mis à profit notre programme de rencontres pour établir un dialogue avec les jeunes et sonder leurs aspirations et leurs appréhensions. Bon nombre de ces jeunes étaient enthousiasmés par le projet. Certains en avaient déjà entendu parler par leurs parents et ils étaient plutôt critiques. D’autres ont saisi cette occasion pour faire savoir qu’ils souhaitaient depuis longtemps une piscine, une maison des jeunes ou encore une salle de jeux dans leur quartier. 

Quinze adolescents (filles et garçons) ont donc pris part à l’atelier des CFF et nous les avons soutenus. Mais ils n’avaient guère besoin d’accompagnement. L’opinion des jeunes a été recueillie rapidement et même sollicitée activement par les adultes présents. Les suggestions spontanées, créatives et imaginatives des jeunes ont apporté une véritable plus-value à cette rencontre et elles ont même produit un effet stimulant sur les adultes. 

Parallèlement à la collaboration des CFF s’est constituée la communauté qui réclame la construction de 100 % de logements sociaux. Nous avons abordé la question de l’insuffisance du parc de logements lors de la discussion avec les jeunes. Les jeunes ont ainsi entendu différents sons de cloche sur le développement urbain ; ils se sont forgé leur opinion et ont échangé leurs points de vue. Pour l’OJA Zurich, le projet de valorisation du site s’est avéré très efficace pour donner aux jeunes les moyens d’une participation (politique). Bon nombre de jeunes ont en effet pu constater que leur avis était pris en considération et qu’ils pouvaient s’impliquer dans le façonnement de leur quartier. Dans le contexte du développement urbain, je souhaiterais que les jeunes soient plus souvent conviés à participer à des projets selon l’exemple des CFF.

Norina Schenker, animatrice socio-culturelle Cheffe de service OJA Kreis 5 & Planet5


Facts and Figures

Processus de planification
projet participatif/étude

Superficie de la zone
30 000 m2

Utilisation
résidentiel 75 %, commercial 15 %, école 10 %

Taux d’exploitation
> 2.0

Etapes de planification
2016: définition des conditions-cadres
2017: participation du public
2018–2019: consultation, mise en œuvre du droit de la construction
2020: concours d’architecture
2022: début prévu des travaux de construction

Membres du projet
Mandant: SBB Immobilien, Zurich,
Gestion globale du projet Barbara Zeleny
Représentants de la ville de Zurich: Stadt­entwicklung Zürich (STEZ) ; Grün Stadt Zürich (GSZ) ; Amt für Städtebau (AfS) ; Tiefbauamt Zürich (TAZ)
Planification territoriale: KEEAS Raum­konzepte, Zurich
Planification urbaine: Hosoya Schaefer Architects, Zurich ; Christian Salewski & Simon Kretz Architekten, Zurich
Aménagement d’espaces ouverts: freiraum­architektur, Lucerne ; Studio Vulkan, Landschaftsarchitektur, Zurich
Planification du trafic: Porta, Zurich
Processus participatif: Michael Emmenegger, Zurich
Communication: Weissgrund, Zurich
Groupe d’experts Planification urbaine: Martin Albers, Zurich ; Uli Hellweg, Berlin ; Monika Klingele Frey et Cornelia Taiana, Amt für Städtebau
Aménagement d’espaces ouverts: Paul Bauer, Grün Stadt Zürich
Représentants d’associations professionnelles: Daniel Bosshard, Zurich (SIA, FAS); Daniel Ménard, Zurich (SIA)
Sociologie: Barbara Emmenegger, Lucerne
Architecture paysagère: Massimo Fontana, Bâle
Logement coopératif: Andreas Gysi et Andreas Wirz, Zurich
Architecture: Barbara Holzer, Zurich
Mobilité: Willi Hüsler, Zurich
Planification du trafic: Michael Neumeister, Tiefbauamt Zürich; Christoph Suter, ewp Zürich
Baukollegium Zürich: Lisa Ehrensperger, Zurich
Économie immobilière: Joris van Wezemael, Zurich
CFF Immobilier: Andreas Steiger, 
Sauvegarde des monuments: Giovanni Menghini, SBB Fachstelle Denkmalpflege

Retrouvez tous les articles du cahier spécial «Sites CFF: de l'infrastructure à la ville» ici ou téléchargez gratuitement le pdf ici

Verwandte Beiträge