Trois sta­ti­ons de tram­way ta­pis­sées

«Trame et tram» de l’artiste Silvie Defraoui a été inaugurée mi-juin à Lancy

Publikationsdatum
16-07-2013
Revision
06-10-2015

Une silhouette, une démarche et des cheveux au carré de jeune fille ; de petites lunettes blanches qui lui donnent du pep. Presque impossible de croire que Silvie Defraoui approche des 80 ans. Seul son parcours artistique, prolifique, nous confirme que l’artiste saint-galloise est bien née en 1935. Pendant 20 ans, elle crée avec Chérif Defraoui une multitude de pièces plastiques et textuelles regroupées sous le label d’« Archives du futur ». Ils inaugurent ensemble la section « médias mixtes » de l’Ecole supérieure des beaux-arts de Genève et contribuent à former plusieurs générations d’artistes – Carmen Perrin, Christian Robert-Tissot, Simon Lamunière, Ursula Mumenthaler ou encore Pierre Vadi. Si l’ancienne membre de la Commission fédérale des beaux-arts n’enseigne plus, elle n’a jamais interrompu son activité d’artiste. En 2011, le Fonds cantonal d’art contemporain lui confie la réalisation d’une œuvre destinée à ponctuer le tracé du tramway reliant Bernex à Cornavin (TCOB). L’intervention artistique, inaugurée il y a un mois par les autorités genevoises et lancéennes, se déploie sur les trois stations de la ville de Lancy. Elle est la première d’une série de cinq œuvres pérennes qui prendront toutes place le long du tracé du tram 14 – une sixième œuvre, destinée à envelopper le tramway et à l’accompagner ainsi dans ses pérégrinations, est aussi au programme, sous réserve de l’obtention de fonds privés pour son financement. 
Silvie Defraoui est une artiste protéiforme et les moyens plastiques dont elle use sont innombrables : terre, photographie, vidéo, écriture, installation. Elle a aussi conçu plusieurs pièces destinées à l’espace public et du mobilier urbain – notamment une fontaine à la Paradeplatz de Zurich et une autre pour la Documenta de Kassel. Avant de penser ce type d’œuvres, l’artiste saint-galloise s’imprègne du lieu, en questionne les moyens d’expression. A Lausanne, elle a souligné de manière minimale – avec des néons – la « belle » architecture de l’Ecole technique et des métiers. A Lancy, elle a choisi d’inscrire son œuvre au sol. « Ici, il n’y a rien de louangeur à dire sur l’environnement urbain. Je ne savais donc pas par où commencer. Je me suis finalement assise sur un banc, comme un voyageur qui attend son tram. Et je me suis rendu compte que je regardais par terre, parce que l’environnement ici ne suscite aucune espèce d’évasion », nous dit-elle le jour de l’inauguration, assise, précisément, sur un banc. 
L’œuvre lancéenne tripartite se déploie de quai à quai et se prolonge sur une longueur équivalente à la taille de deux tramways, attrapant le regard du voyageur et l’entraînant ailleurs. Discrète, l’intervention s’intègre doucement dans le paysage urbain et la signalisation routière horizontale : Silvie Defraoui a utilisé de la peinture industrielle pour composer une trame faite de lignes parallèles en dents de scie gris clair et de motifs abstraits vert pâle. L’intervention artistique est pensée comme des marqueurs au sol qui seraient « devenus fous », créant un espace ou « d’autres choses seraient permises ». Les trois parties de l’œuvre (une pour chaque station), bien que différentes, forment un ensemble homogène, aussi bien par la couleur que par les ornements et les motifs stylisés. 
L’intervention évoque aussi certains motifs orientaux et fait écho au langage décoratif des sols italiens et espagnols de granit et de marbre. Une interpellation de l’artiste : « En Suisse, les sols sont laissés à l’abandon. Notre pays possède les meilleurs architectes. Or, ils s’intéressent peu au sol. Avec cette intervention, je veux rappeler l’importance du sol et montrer que d’autres signes que ceux, autoritaires, de la circulation existent ». 
La trame esquissée par Silvie Defraoui fait donc référence à un langage ornemental oriental. En dents de scie, accidentées, triangulaires, ces formes avaient déjà été utilisées par l’artiste, notamment pour certains de ses cadres photographiques. Comme d’ordinaire dans son travail, Silvie Defraoui tisse ici des liens entre l’Est et l’Ouest. « Le carré, c’est l’ornement de l’Occident. Dürer utilisait son portillon pour agrandir les objets, les corps. C’est rare de voir en Suisse des fenêtres rondes, ou même allongées. En Orient, c’est tout à fait autre chose. Les mosaïques arabes sont géométriques, infiniment savantes. Ici, on fait des robes avec ce genre de motifs. Et ça s’arrête là. »
Les autorités genevoises ont souhaité accompagner une partie du tracé du tram 14 de cinq œuvres d’art public pérennes. Des œuvres que les passants n’ont pas choisi de voir. Comment penser une pièce dans de telles conditions ? « Le problème de l’art public, c’est qu’il y a souvent un côté définitif. L’œuvre que j’ai réalisée pour Lancy n’a pas ce caractère permanent. Si les gens sont lassés par mon intervention, ils ont la possibilité de la faire disparaître rapidement. En tout cas, l’artiste doit se poser la question de l’utilisation de son œuvre. Et l’art dans l’espace public doit instaurer un dialogue avec son environnement, il ne doit pas s’imposer comme un corps totalement étranger à lui. Il ne doit pas non plus se soumettre à lui. Il doit en quelques sortes intégrer l’environnement tout en le contredisant ».

 

Art public le long du tramway 14

En 2009, Lancy, Confignon, Onex et Bernex imaginent ensemble un projet d’art public pour accompagner le parcours d’une partie du tram 14 – si la commande publique le long de voies de transports en commun est courante en France (voir Tracés 04/2013), un projet d’une telle envergure est inédit en Suisse. La Ville de Genève rejoint le projet initié par les communes, et le Canton le pilote. Un comité d’experts mandate trois artistes et en choisi deux autres sur concours pour imaginer cinq interventions artistiques qui prendront place le long du tracé. La première œuvre, celle de Silvie Defraoui, a pris ses quartiers depuis mi-juin dans l’espace public. 
John Armleder prévoit quant à lui une installation tripartite faite de néons et de céramique dans le passage sous-voies de Montbrillant, à côté de la gare Cornavin. Ugo Rondinone va créer une sculpture monumentale de 10 mètres de haut, à figure humaine, sur la place des Deux-Eglises à Onex. Eric Hattan s’apprête à transformer en sculptures plusieurs lampadaires disposés le long d’une allée droite à Confignon. Détournés, les mâts ne perdront pas leur fonction : éclairer et supporter les câbles du tramway. Enfin, le duo Lang/Baumann prévoit de construire un pont en béton à Bernex. Une scène dévolue aux arts vivants sera disposée au pied d’une des piles du pont. 
Pipilotti Rist a également conçu une œuvre itinérante, destinée à enrober le tramway lui-même. La réalisation de cette sixième intervention est encore soumise à l’obtention de fonds privés pour son financement.

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