Tra­dui­re less is mo­re

Éditorial de Tracés n°10/2011

Publikationsdatum
28-12-2011
Revision
18-01-2016

Le célèbre adage miessien, less is more, signifie-t-il encore quelque chose ? Au vu du déclin de certaines grandes villes comme Détroit, Johannesburg ou Leipzig, ce grand principe de la modernité prend une nouvelle dimension. Le phénomène de rétrécissement urbain nous met face à un constat  des plus surprenants : l’époque moderne possède déjà ses ruines. Tout à la fois massifs et mélancoliques, les vestiges du 20e siècle nous confrontent à un manquement : celui de ne pas avoir considéré l’hypothèse d’une régression. Le 20e siècle a bâti ses villes pour l’éternité. Certaines d’entre elles se seront écroulées avant son achèvement. Si la foi
inébranlable dans le progrès relève du sentiment religieux, les ruines de la Mecque industrielle que fut Détroit acquièrent une dimension sacrilège.
Le 21e siècle saura-t-il se montrer plus clairvoyant ? Doit-on inclure dans l’acte de bâtir l’éventualité de devoir un jour démolir ? Peut-on recycler l’architecture ? C’est la question que pose Eyal Weizman, en envisageant la reconversion d’une colonie juive en Cisjordanie. Comment faire marche arrière sur le projet d’envergure que fut la colonisation, après quarante années d’expansion ininterrompue ? Comment défaire ce maillage serré d’agglomérations, de routes exclusives et de clôtures ? Déstructurer pour reconstruire, telle semblerait être la solution envisagée. Fin 2011, l’assemblée générale de l’ONU va devoir se prononcer sur la naissance d’un Etat palestinien indépendant que tous veulent pérenne, mais sans oser remettre en question l’état actuel des choses : le beurre et l’argent du beurre. L’infernal less is more de la politique israélienne (moins de terre, plus de colons), risque d’être encore une fois le principal obstacle à un règlement viable de ce conflit.
« Faire mieux avec moins ». Telle pourrait être la nouvelle traduction du propos qui en est venu à résumer à lui seul le minimalisme. A l’heure du développement durable, less is more traduit parfaitement le paradoxe actuel de nos sociétés qui veulent moins consommer tout en continuant de croître. « Faire mieux avec moins » : cette variante redonne à l’impératif miessien le caractère d’urgence et de nécessité que le minimalisme devenu lifestyle avait perdu. Car en devenant une mode, l’esthétique minimaliste a vite fait de retomber dans la catégorie criminelle de l’ornement. Georges Descombes est celui qui nous rappelle que l’intégrité structurale et l’honnêteté dans l’usage des matériaux n’ont de sens que s’ils émanent d’une éthique de la juste mesure. Le minimalisme, sans cette considération globale de l’économie d’un projet, est un leurre que rien ne sépare des plus extravagantes compositions de l’éclectisme du 19e siècle.

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