Té­moignage d'u­ne éco­le

Pendant cinq années, Eunate Torres-Modrego a filmé le déroulement des séminaires du troisième cycle Architecture et Paysage. Avec des photographies et vidéogrammes, archivés dans son «Atelier de Paisaje», situé au Pays basque, elle réagit librement à des extraits de témoignages collectés par Tracés auprès des étudiants et enseignants qui ont participé à cet enseignement. 

Publikationsdatum
07-12-2017
Revision
16-12-2017

«André Corboz a traversé toutes les disciplines de l’architecture, du territoire ou encore de la peinture. Au moment où nous montions le troisième cycle Architecture et Paysage, il était souvent là. Mais bien avant déjà, je pense que l’Atlas du territoire genevois (CRR/EAUG, 1993) a une filiation avec son livre sur l’Invention de Carouge (1968). On a superposé des cadastres pour chercher les permanences. Au fond, c’était la même idée, celle que le site informe le projet de façon très singulière. Je pense que s’il y a une spécificité, un type ou une école genevoise, ça serait celle-là. Et je dirais que Corboz y est pour quelque chose.»
«L’Institut partait du postulat que le projet était au centre du dispositif de l’enseignement. Les étudiants du deuxième cycle devaient effectuer simultanément deux projets dans deux des quatre lignes disciplinaires : architecture, urbanisme, sauvegarde et paysage.»
«Il faut projeter pour comprendre, car le projet est un outil de connaissance du territoire.» 
«En ce moment, je travaille sur le plan des ‹surfaces publiques et sites à classer› de 1936. Je redessine par où passe la trame et comment elle interagit avec l’existant. Ce plan est en plein dans la finesse et l’attention au territoire: la moindre inflexion, la moindre haie… Comme l’a montré Elena Cogato Lanza dans sa thèse, parmi les quatre auteurs du plan, c’est-à-dire Maurice Braillard, chef du Département des travaux publics, Albert Bodmer, chef du Service d’urbanisme, ce sont les architectes et urbanistes Hans Bernoulli et Arnold Hoechel qui en sont les vrais protagonistes. Je ne peux bien sûr pas le prouver mais j’en suis quasi certain. Il y a d’abord, l’aspect morphologique qui revient à Hoechel, un architecte méticuleux et attentionné. Et à l’autre bout, il y a Bernoulli, un socialiste bâlois et théoricien de la municipalisation du sol. Plutôt que d’exproprier tout le canton, l’un ou l’autre – peut-être bien Bernoulli – propose de tracer sur tout le territoire une maille qui couvre les bois, les cours d’eau, etc. Ce qui subsiste en dehors de la maille est le domaine privé. Ce sont les grands terrains agricoles, les îlots urbains et les colonies d’habitations isolées. La maille demeure le domaine public. C’est elle qui permet en définitive de maîtriser la forme et la distribution du territoire. Ce plan est incroyablement attentif au contexte.» 
«Je pense que s’il y a une école genevoise, elle réside dans une attention particulière au territoire.»

Alain Léveillé est architecte. Il a enseigné à l’EAUG puis à l’IAUG entre 1973 à 2007 et a dirigé le Centre de recherche sur la rénovation urbaine (CRR) jusqu’en 2009.

«Au-delà de l’affinité intellectuelle, il y a eu aussi de l’amitié et du plaisir désintéressé à être ensemble. Michel Corajoud utilisait l’expression de ‹ bulle ›. Entre les projeteurs et les théoriciens, il y avait un équilibre et une fluidité, qui a vite permis de dépasser la traditionnelle séparation disciplinaire. Chacun se sentait suffisamment impliqué, affecté et touché pour apporter sa contribution » 

Jean-Marc Besse, philosophe et historien, est directeur de recherche au CNRS. Il enseigne à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage à Versailles et est co-directeur de la revue Les Carnets du paysage. Il a enseigné au troisième cycle Architecture et Paysage à l’IAUG entre 1999 et 2007.

«Notre objectif était de mettre les étudiants en situation d’inventer, de s’emparer d’un savoir pour en faire du projet – le projet lui-même réalimentait les concepts.» 
«Je ne crois pas qu’on puisse reproduire une telle expérience au sein d’un système universitaire, ni même dans les écoles de paysage ou d’architecture, car les expériences de ce type mettent justement en péril les institutions.» 

Gilles A. Tiberghien, philosophe, enseigne l’esthétique à l’université Paris I et à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage à Versailles. Il est co-directeur de la revue Les Carnets du paysage. Il a enseigné au troisième cycle Architecture et Paysage à l’IAUG entre 1999 et 2007.

«Aussi bien dans ses réalisations que dans son enseignement, Georges Descombes a cette capacité de poser des cadres à l’intérieur desquels des choses peuvent se passer.»

Sandra Parvu est architecte, maître de conférences à l’ENS d’Architecture Paris-Val de Seine et chercheuse au Laboratoire Architecture Anthropologie (UMR LAVUE 7218 CNRS). Elle a été assistante au troisième cycle Architecture et Paysage à l’IAUG entre 2002 et 2007.

«Le temps des rencontres était court mais il y avait une vraie générosité d’intelligences. A l’époque, je travaillais chez Michel Desvigne à Paris et je n’avais que mes quatre heures de train pour dessiner sur un rouleau de calque ce que je présentais le lendemain. J’ai réellement appris à esquisser à l’IAUG. L’esquisse, non pas comme un moyen de représentation mais comme outil de réflexion : la première manifestation d’un concept ou d’une intuition.»

 

Bas Smets est architecte et dirige depuis 10 ans le Bureau Bas Smets à Bruxelles. Il a étudié au troisième cycle Architecture et Paysage à l’IAUG entre 2001 et 2003.

«Pendant les ateliers de projet, on dessinait souvent des esquisses sur les tableaux. La semaine suivante, lors d’une discussion entre théoriciens, on pouvait se référer aux traces du dessin encore visible. A l’inverse, lorsqu’un enseignant inscrivait des termes sur le tableau pendant son cours, on pouvait revenir dessus une semaine plus tard lors d’une critique de projet.»

Greg Bussien est architecte diplômé de l’IAUG. Depuis 2003, il est associé du bureau d’architectes Atelier Descombes Rampini. Il a étudié au troisième cycle Architecture et Paysage à l’IAUG entre 1999 et 2001. 

 

«Dans le fonctionnement du séminaire du troisième cycle, on retrouvait en même temps les projeteurs, les théoriciens et la technique. L’apport des scientifiques était important. Ils assistaient aussi aux critiques.» J. D.

«La spécificité genevoise découle pour moi des réflexions théoriques et des attitudes de projet développées par le trio André Corboz, Alain Léveillé et Georges Descombes.» M. R.

«Alain Léveillé a développé, pour ses étudiants, des méthodes de lecture et de compréhension du territoire qu’il a ensuite synthétisées dans l’Atlas du territoire genevois. Comme étudiant, c’était très intéressant de bénéficier de cet outil.» J. D.

Julien Descombes est architecte diplômé de l’EAUG. Marco Rampini est architecte diplômé de l’EPFL. Ils sont associés du bureau d’architectes Atelier Descombes Rampini. Tous les deux ont étudié au troisième cycle Architecture et Paysage à l’IAUG entre 1999 et 2001. Marco Rampini y a enseigné entre 2006 et 2007.

 

«Il y avait une philosophie d’enseignement qui se matérialisait dans l’espace. Pour moi, c’était un triptyque : il y avait le tableau noir, la table et la bibliothèque dans le bureau d’à coté. Lorsqu’on rentrait dans cette salle, on n’était pas ailleurs.»
«Je pense que ça ne recommencera que comme ça s’est arrêté, c’est-à-dire par le politique.»

Laurent Badoux est architecte diplômé de l’IAUG, chef de projet à l’office de l’urbanisme du Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (Dale). Il a été assistant au troisième cycle Architecture et Paysage à l’IAUG entre 2004 et 2007.

 

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