The Ar­chi­tect as Worker. Im­ma­te­ri­al La­bor, the Crea­ti­ve Class, and the Po­li­tics of De­sign

Un livre qui lance un appel à l’organisation sociale et à la solidarité effective entre architectes

Publikationsdatum
01-12-2016
Revision
07-12-2016

Sur la couverture de l’ouvrage, un homme est assis par terre au milieu d’un terrain vague. Il se trouve en fait à l’intérieur d’une bulle transparente. Il ne regarde pas le paysage, il est penché sur quelque chose qui ressemble à un plan de travail. Derrière ses lunettes de soleil, il donne l’impression de sourire tout en travaillant. Sur le côté gauche de l’image, on entrevoit un hélicoptère posé au sol. L’image reste énigmatique, mais dans la première partie du livre, l’architecte et théoricien Andreas Rumpfhuber revient de manière exhaustive sur la performance télévisuelle de Hans Hollein, le Mobile Office, qui consiste en une bulle en PVC, gonflable par aspirateur, qu’on peut transporter où l’on veut dans une valise de taille moyenne.
Au milieu du champ, l’architecte autrichien fait mine de dessiner une maison pour un client, avec une règle et un crayon dans une main et un téléphone fixe dans l’autre. Pendant Mobile office, cette performance d’une durée de 2’20” spécialement produite pour l’émission Les Portraits Autrichiens dédiée à Hollein, on peut l’entendre parler très pompeusement au téléphone: «Hallo, ja, das Haus ist fertig gezeichnet... ein ganz modernes Design», alors que la maison qu’il finit de dessiner a tout d’une maison très ordinaire. 
Bien avant Hadid ou Koolhaas, Hollein s’affirme avec humour comme un architecte heureux d’être actif à l’échelle mondiale. Habitant à New York et enseignant à Düsseldorf, il n’hésite pas à emprunter son hélicoptère pour travailler n’importe où, n’importe quand. On est en 1969, mais les modalités décrites dans le petit film annoncent celle de la flexibilité contemporaine: mobilité accrue et disponibilité continue du travailleur créatif, efficacité surprenante, auto-entreprenariat généralisé, tout en dissimulant leurs corollaires : exploitation, prolétarisation et  précarisation. 
L’ouvrage The Architect as Worker – Immaterial Labor, the Creative Class, and the Politics of Design (L’architecte comme travailleur – Travail immatériel, Classe créative et Politique du design) constitue une approche critique du champ fragmenté, financiarisé et homogénéisé de l’architecture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, dans un monde interconnecté autant qu’instable. Une douzaine de contributions offrent un ensemble de ressources et de points de vue peu communs pour repenser les habitudes du métier. Il s’agit d’une lecture importante pour tout architecte soucieux de la valeur sociale de son activité.
Peggy Deamer, qui a dirigé le recueil, enseigne à la Yale School of Architecture et est l’auteure de nombreux livres et essais sur les rapports entre architecture et travail. Elle dirige son propre cabinet, Deamer Architects, et est surtout un des membres fondateurs de Architecture Lobby. Cette association œuvre pour les droits des architectes, pour l’utilité publique de l’architecture et pour la construction d’une alternative démocratique au marché néolibéral global. C’est à ce groupe qu’est dédicacé The Architect as Worker.
Dans cet ouvrage qui ne fait pas plus de 250 pages, un lecteur attentif peut puiser des éléments pertinents pour examiner de près un bon nombre des problèmes sociaux, éthiques, politiques et pragmatiques liés à l’exercice de l’architecture dans le contexte actuel. Le livre consiste en cinq parties thématiques rassemblant les contributions de penseurs et de praticiens que réunit leur regard critique envers le statu quo de l’architecture contemporaine. De Franco Berardi et Pier Vittorio Aureli à Alicia Carrio et Norman M. Klein, Peggy Deamer réunit ici une puissante équipe capable de questionner une actualité bien complexe.
Les problèmes posés d’emblée sont la marchandisation du travail intellectuel et notamment du travail de conception (design), le concept du travail tel qu’il est (mal) perçu par les architectes qui se vivent comme des créateurs et donc pas comme des travailleurs, la séparation de la conception (design) et de la construction (build) dans le contexte de la globalisation. Y sont également évoqués les mauvaises relations entre architecture et construction des communs et les problèmes prosaïques de la profession de l’architecte, notamment les injustices liées à leur rémunération et à la piètre place qui leur est souvent laissée aujourd’hui dans la chaîne de construction. Enfin, la postface de Michael Sorkin clôt l’ensemble en insistant davantage sur les injustices et les méprises de la pratique architecturale dominante. En guise de conclusion, il lance un appel à l’organisation sociale et à la solidarité effective entre architectes. 

Verwandte Beiträge