Stran­gers when we meet

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Un film qui raconte l'histoire d'une rencontre amoureuse fulgurante, entre la mélancolique Maggie et l'architecte Larry

Publikationsdatum
25-06-2013
Revision
23-10-2015

Dans la banlieue de Los Angeles, Richard Quine met en scène la femme qu’il aime, Kim Novak (qui le quittera avant la fin du tournage), dans un mélodrame en cinémascope, c’est-à-dire à la fois large, ample et étroit, précis. Ce qu’il faut pour traiter d’une «back street romance». Strangers when we meet date de 1960. Il propose une sorte de bilan – tant visuel que social–, de la décennie fifties et de sa classe moyenne en nouant, avant de la dénouer, l’histoire d’une rencontre amoureuse, dont le déclic se joue à un croisement de rue, entre un père de famille et une femme au foyer venus chacun accompagner leurs enfants au départ du bus scolaire. Le film repose sur la tension qu’il maintient entre le récit de ce coup de foudre fulgurant, et la chronique quotidienne, forcément pesante, de la vie pavillonnaire et de son climat machiste. Incarné par Kim Novak, dont l’étrangeté repose toujours sur un physique assez massif et un visage rarement expressif, un peu atone, le personnage de Maggie est d’une infinie mélancolie. Son alter ego masculin, joué par Kirk Douglas, est architecte. Il a connu par le passé un certain succès. La question, qu’il ne cesse de poser tout au long du film, est celle de sa liberté. Liberté de création, de mouvement, liberté économique, et affective. Le film met en scène la manière dont ces différents éléments sont évidemment solidaires les uns des autres. Cette solidarité implique des contournements et des lignes droites, mais surtout la rectitude d’un désir qui se formule avec clarté: celui qu’il éprouve pour cette femme et celui qui oriente la construction d’une maison qu’un écrivain de renom lui commande, sur les hauteurs de Bel Air. La situation de Maggie est plus compliquée. Comme elle n’est pas architecte, elle ne «bénéficie» d’aucune métaphore lui permettant d’échafauder ses «plans» à elle. Le lendemain du soir où elle décide de se donner à Larry, Richard Quine la filme faisant la vaisselle, des bigoudis dans les cheveux, surmontés d’un fichu noir. Elle porte un tablier à fleurs violet. Elle est effectivement rêveuse, quelque chose lui est arrivé, mais elle demeure rivée à sa condition. Rien ne lui permet de déplacer les lignes. Je ne suis pas sûre que Maggie appartienne à ces personnages de femmes dont Stanley Cavell s’empare pour construire son idée de «mélodrame de la femme inconnue»: «Le caractère émersonien des films sur lesquels j’ai écrit (…) décrit les êtres humains comme s’ils étaient en train de faire un voyage (…). Ce voyage part de ce qu’il entend par conformisme pour arriver à ce qu’il entend par confiance en soi».1 Si Maggie ne «voyage» pas beaucoup, contrairement à l’architecte qui, lui, en construisant, se déplace, le film n’est pourtant pas binaire. Il déploie, notamment par le biais de mouvements de caméra et de cadrages particulièrement vifs et intelligents, une véritable complexité. Si la question qui semble hanter les hommes est celle des étiquettes: comment être un bon mari, un bon architecte, un bon voisin –le film esquisse aussi des diagonales, qui, bien que toujours mélancoliques, tentent de résister à la domestication.

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Note

1 Stanley Cavell, La Protestation des larmes. Le mélodrame de la femme inconnue, Paris, Capricci, 2012, p. 318  

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