STA­TE: une ex­po­si­ti­on et un li­v­re au­tour d’Haï­ti

Le musée de l’Elysée présente les images saisies pendant trois ans par Paolo Woods sur l’île: un portrait plein de nuance et de sensibilité.

Publikationsdatum
15-10-2013
Revision
12-10-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

L’exposition STATE, que le Musée de l’Elysée consacre actuellement au photographe Paolo Woods, coïncide aussi avec la publication d’un bel ouvrage qui propose un dialogue subtil et pertinent entre ses prises de vue et les textes du journaliste Arnaud Robert. 
Les lecteurs attentifs de TRACÉS se souviennent probablement encore des remarquables contributions du journaliste Arnaud Robert et du photographe Paolo Woods aux trois numéros que nous avions consacrés à la reconstruction début 20111. Ils y avaient naturellement abordé cette thématique à travers le cas d’Haïti, soulignant notamment le chaos dans l’acheminement de l’aide humanitaire à la suite du séisme de 2010. Depuis, les deux compères ont intelligemment poursuivi leur travail sur l’île en portant leur réflexion au-delà de l’après-catastrophe, pour la faire évoluer vers une analyse plus généralisée du fonctionnement de l’état haïtien. Le résultat de cette réflexion commune menée sur Haïti depuis quelque trois ans est au centre à la fois de l’exposition lausannoise et du livre ÉTAT (également disponible en anglais sous le nom de STATE) qui l’accompagne.
Si nous recommandons bien sûr la visite de l’exposition, il nous semble nécessaire de nous attarder sur le livre qui, de l’aveu même de ses auteurs, « n’est pas seulement le diagnostic d’une chute. Il est le reflet d’une admiration ». Un aveu qui trouve un écho dans la dernière phrase de la préface de l’écrivain Dany Laferrière. Après avoir souligné l’humour et l’exigence de vérité des auteurs, celui-ci termine son texte par ces mots : « De ce regard à la fois intérieur et extérieur, à la fois objectif et subjectif, que le duo (Robert-Woods) pose sur Haïti jaillit une étrange tendresse tissée d’effroi et de passion pour ce pays. »
La lecture du livre et le visionnement de ses illustrations prouvent que cette approche dialectique basée sur des oppositions marquées constitue bel et bien une de ses qualités premières. En effet, et indépendamment du côté souvent tragique et parfois ubuesque des situations relatées, les photos ou les textes ne laissent jamais la place à des sentiments dominés uniquement par la tristesse ou la colère : on apprend des choses essentielles et sérieuses, tout en ayant le droit d’en rire. Les textes mélangent ainsi adroitement le récit de situations individuelles qui font sourire avec une analyse très lucide de ce que cache l’aspect parfois anecdotique des situations relatées. On trouve un jeu similaire au niveau des images qui, en plus de leur extraordinaire qualité plastique en termes de cadrage ou de couleurs, offrent aussi la possibilité d’une double perception – comique ou tragique – de leur contenu.
Mais c’est surtout la complémentarité entre textes et images qui fait sa richesse. Que ce soit en lisant les textes de Robert ou en parcourant les photos de Woods, on est systématiquement soumis à deux subjectivités qui, en s’interrogeant et en se répondant mutuellement, finissent par construire une vision commune. Afin de nous orienter quelque peu dans ce questionnement sur le chaos haïtien, les auteurs ont fait le choix de le structurer selon six chapitres – PRÉSIDENTS, PROPRIÉTAIRES, BLANCS, LETA, SUBSTITUS et DIEUX – qui commencent chacun par un texte rédigé en majuscules précisant les raisons du titre retenu. La dynamique de chaque chapitre est ensuite assurée d’une part par une alternance aléatoire entre textes et photos et de l’autre par des cadrages différenciés de ces dernières.

 

Note

1. Voir TRACÉS n° 04/2011, 05-06/2911 et 07/2011 

 

ÉTAT/STATE, Paolo Woods et Arnaud Robert

Editions Photosynthèses, Arles. 39 Euros

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