Sem­pach, pa­tri­moi­ne vi­vant

Le Prix Wakker, décerné depuis 1972 par Patrimoine Suisse, récompense chaque année des démarches communales qui ont su allier développement urbain et vision contemporaine et vivante du patrimoine. Cette année, c’est la petite ville de Sempach (4000 habitants), à quelques kilomètres de Lucerne, qui s’est vue décerner le Prix pour l’aménagement de ses deux sites historiques d’importance nationale: la vieille ville et le hameau de Kirchbühl1.

Publikationsdatum
31-01-2017
Revision
03-02-2017

En milieu rural ou dans les centres historiques, comment concilier croissance et préservation, continuer à attirer de nouveaux habitants dans un habitat offrant toutes les conditions de confort sans altérer les qualités patrimoniales des ensembles bâtis? Entre préservation à tout prix (reconstruction à l’identique ou rénovation strictement respectueuse de l’existant) et initiatives personnelles exceptionnelles (comme l’atelier Bardill à Scharans de Valerio Olgiati), Sempach explore une troisième voie, modeste mais efficace. Elle s’est engagée dans une démarche de dialogue avec les citoyens et les propriétaires privés pour installer une culture urbaine et architecturale et sensibiliser sa population aussi bien aux questions de planification qu’à la qualité patrimoniale, l’usage des matériaux ou l’implantation des constructions, sans a priori sur l’usage d’une expression architecturale contemporaine.
Une visite sur place permet aujourd’hui d’apprécier les effets concrets de cette démarche, dans l’espace et les usages.
Dans la vieille ville, les deux rues principales forment un ensemble urbain très composé. Sans que les bâtiments eux-mêmes présentent des qualités architecturales ou patrimoniales exceptionnelles, c’est la courbure de leur alignement, l’harmonie des proportions, des éléments de façade et des couleurs, qui composent un paysage urbain digne d’intérêt (image). Dans ce contexte, intervenir sur l’une des composantes de cet ensemble bâti (rénovation, transformation ou démolition-reconstruction) ne va pas sans soulever des questions multiples qui touchent autant au patrimoine, à l’architecture, qu’aux usages.
En entrée de ville par exemple (image et image), une ancienne grange a été démolie pour laisser place à une construction contemporaine «massive», résultat d’un concours d’architecture privé. Le bâtiment en U vient «refermer» la rue et marquer la limite de l’urbanisation de la vieille ville. Sur la rue principale, il présente un socle commerçant surmonté de logements. Ses ouvertures assument une rupture avec le dessin des fenêtres traditionnelles, mais l’ensemble s’inscrit dans les gabarits des immeubles de la rue. La composition intérieure du cœur d’îlot se révèle encore plus intéressante. Un passage sous le bâtiment depuis la rue ouvre en effet sur un petit espace public qui se raccroche au réseau de ruelles piétonnes parcourant le centre-ville. Le bâtiment s’inscrit ainsi dans ce contraste traditionnel entre des façades opaques sur rue et des cœurs d’îlots poreux, traversés de venelles, d’escaliers, de terrasses et de jardins et occupés par de petites constructions. Il résout en outre la question du stationnement dans l’espace public, en intégrant un parking en sous-sol.
Plus loin dans la rue, il est moins évident de distinguer ce qui relève de l’ancien ou du nouveau, de la rénovation ou de la reconstruction. Deux ensembles de bâtiments se succèdent de part et d’autre de la voie, respectant strictement l’alignement, les gabarits, les hauteurs, les deux niveaux sur rez-de-chaussée.
Le premier (image), composé de quatre plots aux façades identiques et monotones, présente a priori peu d’intérêt en termes de langage architectural, hormis le fait qu’il ne dépare pas dans le paysage de la rue. Sa pertinence se situe là encore à l’arrière : sur la dalle du parking souterrain, un jardin collectif, des arbres, un petit bâtiment accueillant une salle commune, des barbecues reprennent les éléments constitutifs du tissu urbain traditionnel (image). Ce cœur d’îlot est ouvert et dégagé pour profiter au maximum de l’orientation ouest, il donne aussi accès aux ruelles transversales. Les logements révèlent de grandes ouvertures, des terrasses et des balcons. Il ne s’agit pas ici de mimer les bâtiments anciens, mais d’inventer une forme contemporaine d’habitat de centre-ville offrant le confort, la lumière, les surfaces et les espaces extérieurs qui répondent aux besoins d’aujourd’hui.
Le second ensemble de trois bâtiments démontre que le respect d’une réglementation qu’on imagine stricte n’est pas incompatible avec des expressions architecturales contemporaines variées, et que cette diversité n’est pas dommageable au paysage de la rue. Ici, les façades s’inscrivent dans les gabarits existants, mais prennent des libertés avec les règles de composition, les matériaux, le dessin des fenêtres et des volets.
La visite se poursuit à Kirchbühl, de l’autre côté de l’autoroute. En balcon sur le lac, ce hameau agricole toujours actif, très entretenu, où se côtoient des maisons familiales recouvertes de tavillons et différents bâtiments agricoles, dont quelques granges en bois aux proportions monumentales, a vu sa qualité patrimoniale reconnue par l’ISOS. Dans un contexte très ouvert de constructions éparses posées au milieu de leur parcelle, la question de la rénovation du bâti et celle des constructions nouvelles se pose avec encore plus d’acuité. Ici, la commune a fait le choix de laisser s’exprimer des écritures architecturales contemporaines, très différentes les unes des autres. Alors que dans le centre-ville, on se surprend parfois à jouer au jeu des sept erreurs pour deviner ce qui est neuf et ce qui ne l’est pas, dans le hameau de Kirchbühl, l’ambiguïté n’est pas de mise et l’architecture contemporaine est assumée, voire revendiquée, dans tout son éclectisme.
Trois ensembles bâtis ont été réalisés récemment. A l’entrée du hameau, une maison familiale de forme cubique, avec son toit à quatre pentes qui lui donne des airs de petite maison bourgeoise urbaine, ne cherche pas à dialoguer avec les constructions traditionnelles. Pourtant, son implantation, son gabarit, ses proportions font qu’elle trouve toute sa place dans le paysage du hameau (image). Plus haut, en rebord de village, deux maisons en parement de bois peint en noir et un petit bâtiment pour les véhicules ont remplacé une ancienne grange. Ceux-là jouent le jeu des formes et des gabarits de l’habitat traditionnel, tout en affirmant leur modernité par la sobriété de leur dessin. Enfin, en retrait et à l’arrière du hameau, une autre maison familiale propose une réinterprétation assez hasardeuse des toits à deux pentes des maisons traditionnelles.
Au-delà de la forme architecturale, des matériaux, des couleurs choisies, c’est l’implantation sur la parcelle, les gabarits, le rapport aux espaces extérieurs et leur traitement (sans clôtures, haies basses…), ou encore la place du stationnement qui permettent d’inscrire ces bâtiments contemporains dans ce tissu rural.

 

Note

1. Ces deux sites sont inscrits à l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS). L’ISOS compte aujourd’hui 1274 sites d’importance nationale.

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