Res­ter à l'écou­te

Editorial du 02/2017

Publikationsdatum
18-01-2017
Revision
23-01-2017

Scène de la vie quotidienne sur le quai d’une gare quelconque. Des dizaines de voyageurs, cous tendus vers l’avant, tiennent dans leurs mains ramenées au niveau de la poitrine leurs téléphones portables dont partent deux fils blancs qui viennent se ficher dans leurs oreilles. Leurs doigts parfois s’agitent frénétiquement sur l’objet, tandis que leur front se plisse douloureusement. Ainsi harnaché, l’Homme du 21e siècle se soustrait avec la meilleure volonté à son environnement et à de possibles relations avec ses congénères. Il n’entend plus rien, ne voit plus rien. Ses écouteurs vissés dans les oreilles, il opère un tri sélectif du son. A peine réagit-il aux masses d’air soulevées par le passage d’un train lancé à bonne vitesse... Aurait-il donc perdu toute envie de ressentir, d’entendre, de participer à la grande rumeur du monde? Certes, le brouhaha urbain ambiant peut paraître assourdissant, mais cela vaut-il la peine de renoncer à tous ces moments étranges et magiques qui surgissent parfois de cette confusion sonore, comme le silence ouaté qui s’est récemment abattu sur les rues après les premières chutes de neige? 
Le musicien et bioacousticien Bernie Krause utilise le terme d’«anthropophonie» pour désigner «les paysages de sons d’origine humaine qui se surimposent au chant de la terre et du vivant». Son travail, présenté lors de l’exposition Le grand orchestre des animaux, qui vient de se terminer à la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris, est une invitation à écouter les sonorités du monde et à renouer avec notre environnement sonore, ou ce qu’il en reste. Depuis les années 1970, il collecte des «paysages de sons» naturels, des «écosystèmes sonores» composés des bruits de la nature et des animaux, dont il estime que la moitié ont aujourd’hui disparu sous l’effet de l’altération des milieux par l’homme. Entre art et science, la biophonie est une manière pour lui de prendre le pouls de nos sociétés contemporaines et de mesurer l’emprise toujours plus grande, partout dans le monde, des activités humaines sur la nature. 
Loin de cette vision pessimiste, mais en phase avec l’appréhension «sonore» du monde de Bernie Krause, Tracés a choisi de s’intéresser aux artistes, architectes paysagistes et enseignants qui font du son ambiant une donnée de projet. Longtemps parent pauvre des réflexions urbaines, architecturales et paysagères, délaissé par les concepteurs, le son pourrait, grâce à eux, conquérir peu à peu ses lettres de noblesse en tant qu’instrument puissant de composition ou de recomposition de l’espace.

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