Quand l'é­co­le fait ville

L'architecture contextuelle du Centre cantonal professionnel de Fribourg

Avec leur projet Boucle, les architectes butikofer de oliveira vernay réinsèrent le Centre cantonal professionnel dans le tissu urbain de Fribourg. Les espaces publics de qualité rendus possibles par la compacité des bâtiments tissent les liens avec le quartier et la ville et incarnent parfaitement cette ancienne et précieuse qualité d’une école suisse ouverte sur la cité.

Publikationsdatum
13-01-2012
Revision
01-09-2015

Dans un texte consacré à l’architecture scolaire d’aujourd’hui, Bruno Marchand relève que les bâtiments scolaires « ne font plus usage des symboles classiques que sont, par exemple, le clocher et l’horloge. (…) L’école n’affiche plus clairement son identité. (...) On cherche aujourd’hui à créer des ambiances par le jeu des matériaux et des couleurs. » Parlant de l’évolution de l’architecture scolaire, il ajoute : « Défonctionnalisation tout d’abord. Les bâtiments publics seront conçus afin de servir à de multiples usages. Réversibilité ensuite, c’est-à-dire qu’il sera possible de changer leur fonction sans toucher à l’ensemble. » (Marchand, 2004: 24-25)
Dans quelle mesure la construction scolaire exprime-t-elle l’idée que notre société se fait de l’éducation et de sa place dans la cité ? Peut-on percevoir, en observant les projets scolaires d’aujourd’hui, une certaine vision pédagogique ?
La nouvelle extension du Centre professionnel cantonal de Fribourg, réalisée entre 2008 et 2010 par le bureau d’architecture lausannois butikofer de oliveira vernay sàrl, offre quelques pistes de réflexion.

Une architecture contextuelle

Serge Butikofer, l’un des trois associés du bureau, souligne d’emblée que leurs réalisations « sont contextuelles, elles ont été dictées par le site ». Située au cœur de Fribourg entre la tour du Belluard et la cathédrale, composée de deux bâtiments, l’extension du Centre professionnel redonne une cohérence à l’ensemble d’un site scolaire dont les autres bâtiments se côtoyaient sans vraiment se parler.
A la lecture du site, les architectes lausannois se sont imposés trois priorités : dégager la vue sur la cathédrale de Fribourg, fournir un large espace vide aux étudiants ainsi qu’aux habitants du quartier et relier physiquement et de l’intérieur les différents bâtiments. En arrivant sur le site par la rue Derrière-les-Remparts, accès principal, ces trois options sautent aux yeux : une immense esplanade s’ouvre devant un bâtiment compact, multicolore et polygonale (E), dont les lignes adoptent celles des constructions antérieures et soulignent l’une des caractéristiques du patrimoine bâti fribourgeois : la cathédrale. 
Le nouvel édifice intègre la partie principale du programme du concours : 28 salles de classe, un auditoire polyvalent et une cafétéria répartis dans les quatre étages qui surplombent l’esplanade, une bibliothèque, un restaurant et un parking couvert dans les deux étages qui plongent sous cette dernière. Placé sur l’espace interstitiel entre les bâtiments existants, sa forme complexe répond à la géométrie des bâtiments voisins : au nord, le prisme multicolore s’aligne sur les façades du bâtiment F et au sud sur celles du bâtiment C, travaillant ainsi de manière assez subtile sur l’articulation de la structure bâtie du site sans pour autant s’imposer brutalement.
Pour renforcer la cohérence globale du lieu, le vide créé par la compacité du bâtiment a été réaménagé en une immense esplanade – véritable cour urbaine – qui se déploie en éventail devant les différents bâtiments et crée un lien visuel puissant avec la cathédrale. Point extrêmement fort du projet, cette dernière permet également aux habitants du quartier de se réapproprier un espace public autrefois monopolisé par la voiture. Le lien avec la cité est renforcé par un escalier public qui relie la partie haute du quartier à une deuxième esplanade en contrebas. Les architectes ont voulu « créer une relation entre le haut et le bas et faire du site un lieu de passage ». Les trois salles de gymnastique comprises dans le programme viennent renforcer cet agencement du site et les liaisons verticales. Situées à l’est, indépendantes du nouveau bâtiment, elles redonnent vie à une portion du site tout en servant d’appui à cette transition entre l’esplanade et le quartier qu’elle surplombe. 

Des façades comme dispositif technique

Le travail des façades est également issu du choix contextuel des architectes qui estiment que « la géométrie et la compacité du bâtiment ne permet pas la superposition des parois d’un étage à l’autre. Les salles ont donc des tailles différentes. Nous avons ainsi travaillé avec un système de façades par élément basé sur un module de 31 cm. » Le résultat est une façade colorée – une enveloppe de 2800 m?2 de verre –, sorte de mosaïque lisse formée de trois modules différents. D’une longueur de 186 cm, le premier module – KoolShade ® – est opaque de l’extérieur et transparent de l’intérieur. Le système, fait de fines lamelles intégrées et inclinées à 27 degrés, permet d’intercepter les rayons en période d’ensoleillement maximal. La couleur jaune dahlia (orange) veut rappeler les tuiles des toitures environnantes. A ce dispositif viennent s’ajouter deux autres modules : l’un de 151 cm en verre sérigraphié translucide avec trame jaune et l’autre en verre transparent de 217 cm. Ce dernier est aussi décliné avec un module plus petit de 93 cm et prenant la forme de petits ouvrants. La position de chaque élément a été choisie selon l’exposition des façades à l’ensoleillement. Un système d’ouvrant automatisé permet un renouvellement nocturne de l’air ambiant. En intégrant les protections solaires à la structure même des vitrages, cet ingénieux système permet de supprimer les traditionnels stores en façades, de réguler de manière intelligente la température intérieure sans dépendre de l’intervention des usagers. A noter que ces derniers gardent toutefois la possibilité de ventiler les classes par des ouvrants manuels. 

Privilégier les relations

La disposition des étages supérieurs est relativement simple, puisque les circulations verticales, escalier et ascenseurs se concentrent dans un des angles du polygone. Les classes, de dimensions variables, se distribuent en périphérie autour d’un hall à la géométrie irrégulière. Les parties communes – un restaurant pour l’ensemble du site et la bibliothèque – à demi enfouies dans la pente, se distribuent autour d’un patio qui leur fournit un éclairage naturel. D’apparence séparé de l’esplanade, il est néanmoins ouvert sur le quartier laissant voir à ses habitants le cœur et la vie de l’école. C’est également au niveau des programmes communs que les différents bâtiments, autrefois isolés, sont mis en relation par un réseau de circulation intérieur. 
Tous les espaces dédiés à l’enseignement ont été conçus pour pouvoir évoluer dans le temps et s’adapter à des programmes nouveaux. Les éléments de mobilier, modulaires, peuvent être agencés, déplacés et réorganisés au gré des besoins. 

L’école dans la ville

Si en parcourant les espaces intérieurs on perçoit facilement la vocation scolaire de l’édifice, depuis l’extérieur ce dernier n’offre que peu de clés de lecture sur les programmes qu’il abrite.
A l’opposé du modèle austère prussien de la fin du 19?e siècle et sa répartition des salles autour d’un hall central permettant un contrôle social et disciplinaire fort, ou du Heimatstil transmettant aux élèves une certaine image de la patrie, l’extension du Centre professionnel de Fribourg n’affirme pas de position pédagogique forte. Les architectes semblent plutôt lui attribuer un rôle de catalyseur urbain. La grande force du projet réside ainsi dans son potentiel de restructuration du site, notamment par la création d’espaces publics de qualité. Comme si l’école d’aujourd’hui prenait son sens dans son rapport à la ville. Ce qui laisse peut-être présager des modes d’apprentissages extra-muros qui prendraient place dans des espaces physiques polyvalents et des canaux virtuels.

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