Paul Che­me­tov ré­a­git à not­re dos­sier sur l’AUA

Dans notre récent dossier sur l’AUA, nous avons réalisé un entretien avec Jean-Louis Violeau. L'architecte et urbaniste français, Paul Chemetov revient sur ce qu’il considère être des interprétations ou des postulats personnels du sociologue

Publikationsdatum
24-11-2015
Revision
04-12-2015

Cher Christophe Catsaros,

Votre dossier dans le dernier Tracés sur l’AUA et sur son projet le plus alpin est le bienvenu, son titre résume notre ligne d’action: l’idéalisme pragmatique.
Pour nourrir votre dossier, vous interrogez Jean-Louis Violeau, malheureusement dans l’interview qu’il vous a accordée se sont glissées quelques erreurs factuelles.

L’AUA n’a pas beaucoup travaillé dans les villes nouvelles de la région parisienne. En dehors de la Noiseraie d’Henri Ciriani et de l’ensemble qu’il réalisa dans la zone du Canal à Courcouronnes, j’ai construit un ensemble dans la même commune, qui vient d’être détruit et – bien postérieurement à la dissolution de l’AUA – en 2003, j’ai construit la bibliothèque de Serris, à Marne la Vallée. Pendant ce même temps, des dizaines de milliers de logements et leurs équipements étaient réalisés dans les villes nouvelles.

Venons-en maintenant à ce qui ressort de l’interprétation ou des postulats personnels de Jean-Louis Violeau.
Attribuer le déclin de l’AUA à celui du PCF et du PSU c’est inexact, au niveau du communisme, comme du socialisme municipal, mais c’est aussi idéologiser la superstructure dans une approche, somme toute, mécaniste. On pourrait faire le même reproche à la question des emplois. Les problèmes de la Ville neuve n’y ont pas leur origine, l’emploi dans le bassin Grenoblois a été plus assuré que dans la moyenne nationale et, même en dépit de la désindustrialisation, il reste encore de deux points inférieur.

L’explication en est plus économique, plus sociologique. Tout d’abord la question du plafond des ressources joue sur les classes moyennes. Ensuite, le haut niveau des loyers des logements locatifs neufs les met en compétition, dans une période où le loyer de l’argent est historiquement bas, avec l’accession à la propriété.

Devant l’extension des pavillons sur catalogue (plus de 100'000 construits l’an dernier en France) – et la propriété et l’épargne qu’ils promettent – le logement locatif – et singulièrement le locatif social – sont un marqueur pour les classes moyennes, en raison des cartes scolaires aussi.

Ce comportement n’a pas pour origine la notion d’auteur comme Jean-Louis Violeau semble le croire, il n’est pas seulement une autorité propriétaire, mais l’auteur du projet, car la grande différence est là. Ce que l’architecte, l’urbaniste, l’ingénieur, le paysagiste ont en commun avec les responsables politiques, c’est le projet qu’ils énoncent et qu’ils portent.

Et la «pensée collective» en architecture, dont Jean-Louis Violeau recherche les formes, permet justement de dormir dans le même lit en faisant des rêves différents. Cette pensée collective était possible jusqu’à la généralisation des concours qui ne valorisaient que l’image et son auteur. Et c’est pourquoi toutes les «stars de l’œuvre collective» ne peuvent reproduire aujourd’hui ce qui fut l’idéalisme pragmatique de l’AUA. Le spatialisme béat n’était pas le péché mignon de l’AUA, mais certains espaces (les logements actuels de la promotion) n’offrent pas le support spatial nécessaire à l’expression des habitus privés. Les espaces des logis de l’AUA permirent même à Jean-François Parent de se fixer définitivement à Grenoble, dans le bâtiment le Zénith que je réalisais avec Riccardo Rodino et Jean-Marie Rulland en 1980 à Grenoble. Il était en accession à la propriété, mais trente logements furent achetés par l’OPHLM qui les loue. Cette mixité est ainsi mieux assurée que par les cages d’escaliers affectés à telle ou telle catégorie.

Enfin, je n’ai pas un amour singulier pour la notion de mixité sociale, elle ne peut s’épanouir que si la mixité fonctionnelle, la mixité formelle, la mixité culturelle sont assurées.

En tous cas, en bien ou en mal, il est déjà appréciable que l’on revienne sur l’histoire singulière de l’AUA, ce protest song dans le productivisme des Trente Glorieuses.

Je vous prie de croire, Cher Christophe Catsaros, en l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

 

Paul CHEMETOV

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