Nourr­ir la planè­te

L’exposition universelle de Milan oscille entre bonnes intentions, hospitalité culinaire et déferlement de lieux communs

Publikationsdatum
21-05-2015
Revision
21-10-2015

Le thème (« nourrir la planète, énergie pour la vie ») s’annonçait prometteur pour une exposition universelle, surtout si les contributeurs, c’est-à-dire les pavillons nationaux, avaient osé prendre au sérieux les enjeux qu’il recèle. Ceux d’un équilibre alimentaire à inventer pour une planète de 9 milliards d’habitants, ceux aussi des guerres agricoles que se livrent les continents : la Chine qui s’accapare les terrains fertiles de l’Afrique, ou les Etats-Unis qui infiltrent l’Europe avec leurs hybrides brevetés.

Aucune de ces questions fondamentales n’apparaît dans les expositions nationales. Aucun sujet critique, aucune réflexion approfondie sur l’avenir ; le peu d’idées qui osent faire surface sont noyées dans une bouillie pseudo-écologiste, mêlant de façon infantilisante patrimoine alimentaire, industrie agroalimentaire, tourisme et art culinaire. Milan 2015 c’est des applications ludo-­éducatives pour des enfants de 7 à 9 ans, projetés sur des écrans gigantesques au son assourdissant de Shakira. 

A Milan, il y a deux catégories de participants. Ceux qui n’ont rien compris à la question et ceux qui tout en ayant compris, évitent d’y répondre. Parmi les premiers, il y a ceux qui montent de simples pavillons touristiques avec un peu d’architecture, un peu de musique, un peu de folklore et le mot d’accueil du dictateur qu’ils appellent président. Les pays du Golfe, les républiques d’Asie centrale et certains pays africains, sont dans ce cas de figure. 

Puis viennent les trompeurs, ces pays qui comprennent la question, qui pourraient y répondre, mais refusent ostensiblement de le faire : les Etats-Unis mènent le bal dans cette catégorie avec un déferlement sans précédent de lieux communs. Le pays où l’obésité atteint bientôt deux habitants sur trois se rêve une conscience nutritionnelle. La France, dont le pavillon est réalisé par l’agence d’architecture X-TU, ne fait pas mieux, plus soucieuse de vendre sa gastronomie et son industrie culinaire que de s’attarder sur les questions qui fâchent. 

L’Argentine est un des seuls à penser la dimension ouvrière de l’industrie agroalimentaire. L’entrée la plus spectaculaire est sans aucun doute celle du pavillon brésilien réalisé par le studio Arthur Casasen en collaboration avec l’Atelier Marko Brajovic. 

Le Japon, avec plus d’une heure de queue le week-end, est le roi des files d’attente. D’autres pavillons, comme le britannique, ont eu l’intelligence d’inclure les files dans ce qu’il y a à voir. Pour la Suisse, comme à Disneyland, on prend rendez-vous pour accéder aux tours : un dispositif de stockage qui se vide au fur et à mesure que les visiteurs l’utilisent. Si l’idée élaborée par l’équipe de jeunes architectes du Bureau Netwerch semble intelligente dans sa manière de figurer un principe de l’industrie agroalimentaire, la place prépondérante accordée à Nestlé vient gâcher l’effet. Le pavillon national risque, par la mise en avant d’une seule entreprise, de basculer dans la catégorie des pavillons promotionnels, comme celui des tracteurs New-Holland qui le jouxte. « C’est quel pays papa, entre la Hollande et le pays Mc-Do ? » C’est chez nous. C’est Nestlé. 

Il y a finalement les Néerlandais qui semblent avoir tout compris et trouvé la réponse appropriée. Chez eux, il n’y a pas vraiment d’exposition, juste une fête foraine avec une roue, des baraques à frites, une galerie des miroirs, des containers et un restaurant sous serre. Le pavillon des Pays-Bas semble vouloir dire : tout cela, c’est juste pour être heureux d’être ensemble, comme dans une fête foraine. Ce choix rompt par sa précarité avec la pseudo-écologie constructive de 99 % de ce qui est bâti à Milan. Des applications d’économie d’énergie fictives au bois ornemental qui recouvre tout de bonnes intentions, l’écologie n’a jamais été aussi malmenée que le jour où le développement spéculatif a commencé à se faire en son nom. Les Néerlandais ont fait du précaire, du vrai.

Seul intérêt de cette foire : l’accent mis sur la gastronomie, puisque chaque pavillon est aussi un très bon restaurant d’une cuisine nationale. Le japonais, le néerlandais, l’allemand, l’espagnol, le français valent le détour. Vous mangez un vrai nasi goren chez les Indonésiens et des recettes régionales inconnues au pavillon des régions italiennes. Ne vous gavez pas de chips dans le train, ne préparez pas de sandwich : la foire, gigantesque food court, se visite pour ce qu’elle permet de déguster.

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