Mé­téo­ro­lo­gie des sen­ti­ments

Recension du dernier livre de l'architecte suisse Philippe Rahm 

Publikationsdatum
27-04-2016
Revision
27-04-2016
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Un livre, c’est une sorte de rencontre. Ou pas… En définitive, cela en prend toujours un peu la forme.

Avant que les hasards de la navigation sur Internet me mettent face à un extrait de Météorologies des sentiments, Philippe Rahm était pour moi un architecte suisse dont je me souvenais que Tracés avait publié un texte il y a quelques années (je sais aujourd’hui que c’est de le premier numéro de 2006). La revue était alors fière de publier une contribution de Philippe Rahm, le débat lors de la séance de rédaction avait été animé, mais cela n’avait pas suffi à me convaincre de m’y intéresser vraiment. Une rencontre ratée.

Dix ans se sont écoulés. Aujourd’hui, l’extrait du livre trouvé sur Internet m’interpelle d’emblée : la chaleur, la lumière, l’espace, des sentiments ; un mariage inédit entre précision scientifique et poésie de l’instant. Je ne connais alors qu’un passage du livre, mais mon attention vis-à-vis de mon environnement en subit déjà l’influence : nous sommes faits d’interfaces, la vie est échange, déséquilibre, évanescence. J’y retrouve la conviction d’Ilya Prigogine que l’intérêt des phénomènes thermodynamiques ne porte pas sur leur fragile et morbide équilibre, mais sur les déséquilibres qui accompagnent les changements de phase. Autre rencontre, en écho.

Ma navigation sur Internet se poursuit et aboutit à une conférence au cours de laquelle Philippe Rahm présente quelques-uns de ses travaux d’architecture. Pour faire court, un principe : plutôt que d’imposer des conditions climatiques (température, humidité, luminosité) à un espace donné selon un programme fixé, n’est-il pas préférable de distribuer ce programme en fonction des conditions créées spontanément par les espaces. En d’autres termes, suivre les conditions offertes par un espace donné, plutôt que de les imposer.

Je prends alors conscience d’un possible parallèle – dont j’assume la naïveté - entre le contenu du livre et les théories architecturales de son auteur : mon esprit habite mon corps comme mon corps habite un espace. Dans quelle mesure nos sentiments se construisent-ils à partir des conditions météorologiques (prises dans un sens large) dans lesquelles nous sommes immergés ? Par suite, en quoi mon esprit résulte-t-il des changements éphémères et permanents de mon environnement ? Cette intuition subjective trouve d’ailleurs une pseudo-confirmation lorsque je réalise que chacun des mots utilisés par Philippe Rahm comme titre pour ses anecdotes correspondent à un terme propre à la physique du bâtiment.

Je n’ai pas rencontré Philippe Rahm, même si j’ai le sentiment qu’une rencontre a eu lieu. 

Météorologie des sentiments

 

 

Philippe Rahm
Edition les Petits Matins, Paris, 2015
€ 12.–

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