Mi­se en scè­ne de la vie do­mes­tique

Par sa sophistication formelle et parce qu’il ne fait pas étalage de réalisations nationales exemplaires, le pavillon anglais retient l’attention. Volontiers absconse, cette proposition immersive met en scène une approche qui se veut renouvelée de la notion de logement, présentée comme la «ligne de front» des architectes britanniques.

Publikationsdatum
14-07-2016
Revision
18-07-2016

Chaperonnés par les jeunes commissaires Shumi Bose, Jack Self et Finn Williams, cinq «designers»1 ont conçu cinq environnements domestiques, modèles abstraits construits à l’échelle 1:1, qui seraient autant de manières d’habiter son logement, en fonction du temps que l’on souhaite (ou que l’on peut) y passer: une heure, un jour, un mois, un an, dix ans. Le pavillon entend ainsi explorer de possibles réponses aux situations multiples et évolutives auxquelles doivent faire face les habitants des villes: jeunes travailleurs, cadres nomades, mères divorcées, migrants… A travers une approche plastique et expérimentale, il questionne les notions de propriété, de modes de vie en collectivité, de typologies, de fonctionnalité et de modèles économiques.

HOURS. Own nothing, share everything 

Le seuil franchi, le pavillon se fait oublier. Alors que les Allemands ont fait tomber les murs du leur, les Britanniques recloisonnent et obstruent. Sans ouvertures, sans lumière naturelle, les différents espaces à habiter sont volontairement abstraits et hors contexte, presque des œuvres d’art. Le premier espace, habitable pour quelques heures, se présente comme une boutique de luxe minimaliste où trône une vitrine de vêtements, entourée de lits-banquettes (%%gallerylink:19115:Hours%%). «Welcome home. This is your communal living room, which you share with a number of other apartments on your floor… » peut-on lire en introduction dans le dépliant jaune parfaitement minimal, designé par OK-RM, qui accompagne heureusement le visiteur. Qui parle ainsi dans ce langage promotionnel d’agent immobilier ? Un promoteur justement, une administration, une instance supérieure (le HAL de 2001, l’odyssée de l’espace peut-être ?), ou est-on face à la notice d’un jeu de rôle, bienveillante et encourageante autant qu’autoritaire?

Cette pièce de vie commune serait donc à partager entre les habitants des appartements d’un même étage, dans le but sans doute de faire des économies de loyer. On imagine que chacun disposerait par ailleurs d’une chambre ou d’un petit appartement privatif, à la manière des appartements communautaires de Kraftwerk par exemple. L’espace pose la question: jusqu’où est-on prêt à partager et quoi? Outre les appareils électroménagers et les produits de nettoyage, la garde-robe transparente suggère avec un brin de provocation que l’on porte aussi les mêmes vêtements, objets intimes ultimes, derniers remparts contre le monde (même si l’on ne serait pas contre partager ceux-là, signés J.W. Anderson, jeune styliste britannique en vogue…). Pour nous encourager sur cette voie du partage, la voix de la brochure assène quelques mantras qui ne mangent pas de pain: «Sharing can be a luxury, not a compromise», «When we combine our ressources, the result is more than the sum of the parts»

DAYS, Home is where the Wi-Fi is

Dans la seconde salle, deux gros ballons gonflables translucides et mobiles attendent que l’on se glisse à l’intérieur, au prix de quelques contorsions. Arguant qu’on n’aurait besoin de rien d’autre que d’une connexion Wi-Fi pour se sentir chez soi, le collectif d’artistes Åyr dépouille ce chez soi jusqu’à l’extrême, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une enveloppe. Présentées comme des « inflable retreat », ces bulles peuvent être emmenées partout. Le «home» devient double peau, abri léger, transportable et customisable. C’est la fin de l’espace, la disparition de l’architecture. On pense au Cushicle et au Suitaloon conçus par Michael Webb d’Archigram au milieu des années 1960, qui imaginait déjà une architecture portable («wearable») gonflable, un prototype de «clothing for living in»? Près de 60 ans plus tard, nous sommes dans le futur imaginé par Archigram, la dimension «pop» en moins. Individus nomades, isolés physiquement, mais connectés au monde, nous pourrions nous contenter d’un abri individuel en réseau. La voix de la brochure conclut: «Relax – what’s new on your screens?». Second degré, cynisme, simple constat de nos mœurs contemporaines? Perspective en tout cas peu exaltante… 

MONTHS. A house without network

Un totem en médium peint en bleu, sur deux niveaux, occupe tout l’espace de cette troisième pièce. A l’intérieur, en bas, une salle de bain et, à l’extérieur, sur un côté, une kitchenette. Un escalier de meunier mène à l’étage dont un lit occupe toute la surface. Des étagères pour les livres, seuls bagages du nomade contemporain, avec ses multiples écrans. Décrits comme des «noyaux utilitaires» ou de «purs temples pour vivre», ces totems ont vocation à prendre place dans une «pension de famille» nouvelle génération, comme des cellules de repli autonomes au sein d’un espace communautaire. La voix vante le sentiment de libération procuré par ce module d’habitat: plus besoin d’acheter des meubles, d’installer Internet, de faire le ménage, de laver son linge… Tout est inclus dans le loyer. Une résidence de services pour cadres nomades, comme il en existe déjà partout en quelque sorte. Si l’esprit est libéré, le corps, lui, est contraint. On retrouve ici les préoccupations de Pier Vittorio Aureli, fondateur de Dogma, exprimées dans son ouvrage Less is enough: On Architecture and Asceticism, (Strelka Press, mai 2014) dans lequel il fait référence aux six «cellules» de l’artiste franco-israélien Absalon, des modules d’habitation de 9 m2 conçus pour répondre aux besoins basiques, des secondes peaux qu’on jugera au choix protectrices ou aliénantes. 

Cette forme de mobilier habité fait également écho aux modules destinés aux migrants réalisés par les architectes du pavillon autrichien, des caissons d’intimité en bois ou des structures tubulaires sur lesquelles sont accrochés des rideaux de douche, disposés dans les vastes espaces tertiaires récupérés par la ville de Vienne pour accueillir temporairement les nouveaux arrivants. Evidemment moins glamour… Le nomade contemporain n’est pas forcément qu’un cadre pressé.

YEARS. Spaces for living, not speculation

Cette quatrième pièce présente un appartement spartiate, toujours en médium, mais vert kaki cette fois, une «coque» ne contenant que le minimum vital (toilettes, salle de bain, cuisine), sans finitions. L’idée ici serait de lutter contre la spéculation. La proposition malheureusement ne convainc pas, par manque de clarté et d’approfondissement des mécanismes financiers. Comment concrètement s’opère cette lutte? On retiendra seulement que ce principe de «plateau» non fini permet à des ménages modestes d’accéder à la propriété à moindre coût ou pour un loyer abordable, si tant est qu’ils soient un peu bricoleurs pour finir eux-mêmes leur intérieur, à l’image des squelettes de béton du projet Grundbau und Siedler présentés par les architectes allemands de BeL à l’Arsenal.

DECADES. A room without functions

Dans l’appartement, en médium vert sapin, les fonctions des pièces sont uniquement déterminées par la lumière, le degré d’humidité…, à l’image du lit carré qui n’impose pas un sens pour dormir, ni un nombre déterminé de personnes. L’espace est séduisant, on y habiterait bien volontiers, mais la proposition, censée répondre aux évolutions de la structure familiale, est aussi obscure que la précédente… Est-ce l’attention qui s’émousse ou l’impression vague de tourner en rond ? On cherche la lumière et on retrouve les Giardini avec soulagement.

Que retenir donc de ce pavillon, au-delà de sa plasticité et de sa cohérence formelle? Contrairement à l’ambition pragmatique affichée, celle de remettre en question les modèles économiques, les modes de vie, les relations de pouvoir, la notion de propriété, en faisant progresser le débat sur le logement, nous avons plutôt ici affaire à un exercice théorique et formel, chic et référentiel. Une vision dessinée et construite, savante, froide comme une pure idée, dénuée d’humour autant que de sensualité, où l’idée de plaisir (manger, vivre en collectivité, en famille, faire autre chose que travailler) a disparu. Le logement apparaît comme un objet désincarné et non investi, que l’on n’aurait pas besoin de s’approprier, ni d’habiter réellement, sous prétexte qu’on ne l’habiterait pas toute sa vie. Un simple refuge. Ces cinq propositions sont conçues pour un individu nomade fantasmé, appartenant sans doute plus à la «classe créative» qu’à celle des migrants, dépouillé du superflu, armé de son seul cerveau (son corps n’étant qu’un objet à ranger dans un totem, une bulle, une coque). Un individu sans attaches, chez lui partout, n’habitant nulle part, à peine vivant, à l’image des héros de Don DeLillo, goldenboys déracinés et désabusés, séduisants mais vains… Dans une interview au British Council, Dogma s’en explique: «Le projet Months est une réponse aux conditions de travail instables de la classe à laquelle nous appartenons (sous entendu, nous architectes, artistes, designers…), une architecture qui représente nos besoins et nos désirs».

Recyclant quelques vieux concepts et passant à côté de solutions qui existent déjà, et parce qu’il n’aborde jamais de front les mécanismes qui gouvernent la production du logement et les réponses techniques, réglementaires et financières qui pourraient représenter de vrais leviers pour faire autrement, le pavillon britannique oublie en partie de répondre à son ambition initiale.


Note

1. HOURS : Jack Self, avec Finn Williams et Schumi Bose ; DAYS : Åyr ; MONTHS : Dogma et Black Square ; YEARS : Julia King ; DECADES : Hesselbrand

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