L'or et l'excré­ment

Éditorial de Christophe Catsaros du numéro 10/2018

Publikationsdatum
02-05-2018
Revision
03-05-2018

Il existe dans la concordance des deux chantiers, celui du nouveau siège du CIO et celui de la nouvelle station d’épuration des eaux usées de Lausanne (STEP) une corrélation bien plus forte que la simple coordination de la circulation des camions.

Outre le fait que, de loin, la proximité des deux sites fait apparaître le champ de grues comme un seul et unique projet de construction, les deux transformations recèlent sans doute d’autres affinités moins avouées.

Personne n’ignore la nuisance olfactive générée par la STEP, à quelques dizaines de mètres du CIO. On peut difficilement imaginer que l’organisme olympique ait décidé d’investir dans la reconstruction de son siège sans la garantie d’une requalification environnementale du site de Vidy. Une nouvelle usine opérant un traitement désodorisé a dû être la condition sine qua non à l’investissement olympique.

En dépit de cette possible entente, la proximité entre les deux équipements demeure un cas exemplaire de gestion égalitaire de l’espace, où les fonctions nuisibles ne sont pas relayées à la périphérie mais peuvent côtoyer les objets les plus prestigieux d’une ville.

Cela établit, la juxtaposition des deux institutions, ce que la ville a de plus prestigieux et ce qu’elle a de plus abject, produit un ensemble symbolique d’une rare intensité. La culture populaire voudrait que l’or dont le diable fait cadeau à ses amants se change en excrément, le diable et ses présents pouvant valoir comme métaphore de la vie pulsionnelle refoulée. Transposée dans le domaine de l’urbanisme, la triangulation du très haut, du très bas et du désir prend une toute autre signification.

A Vidy, entre «l’or olympique» et l’excrément refoulé, se déroule la plus belle fête populaire que connaisse la ville. Les pique-niques des dimanches d’été dans le parc Louis Bourget et sur la plage du Vidy débordent d’intensité et d’éclectisme. Les karaokés colombiens côtoient les petits bals ivoiriens, le tout sous un épais nuage de fumée, grouillant d’enfants, de décibels, de chiens et de travailleurs torse nu exhibant leurs talents de rôtisseurs. Bruyantes et festives, ces rencontres populaires font de ce lieu un élément incontournable de l’alchimie urbaine lausannoise.

Reste donc une chose à espérer : que la double transformation en cours n’ait pas pour conséquence une gentrification des abords du lac qui banirait la fête populaire du parc.

 

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