Les ro­bots au ser­vice de l'in­tel­li­gence hu­maine: ent­re stars de ci­né­ma et tra­vail­leurs du BTP

Visite de l'exposition Hello, Robot. Design between Human and Machine, au Vitra Design Museum

Publikationsdatum
15-03-2017
Revision
15-03-2017

L’éditeur allemand de design d’objets et de mobiliers Vitra expose plus de 150 robots dans son musée. Le titre de la manifestation révèle d’emblée l’enjeu de ce rassemblement: Hello, Robot. Design between Human and Machine. Le design peut-il venir au secours de toutes les craintes suscitées et rendre plus «chaude» cette technologie dite froide? Pour l’occasion, le Design Museum de Weil am Rhein s’est associé au MAK de Vienne et au Musée du Design de Gand pour réfléchir à des questions extrêmement contemporaines, tournées vers notre avenir, et pourtant déjà anciennes: faut-il mettre autant d’énergie, d’argent et d’intelligence dans la création industrielle de robots ? Quel avenir avons-nous en commun? Où se loge le design dans la conception des automates électroniques?

L’ombre d’Asimov plane sur le campus 


Isaac Asimov, le pionner russe de la science-fiction littéraire, écrit une magnifique préface dans son ouvrage Robot (1950). Il rappelle l’importance des travaux scientifiques des Italiens Galvani et Volta autour de l’électricité et de sa faculté à « réveiller » une forme vivante morte et à en animer une autre totalement inerte et artificielle. Il poursuit par la fabuleuse histoire de Mary Shelley autour de son chef-d’œuvre Frankenstein, inspiré de ces trouvailles ; évoque les origines du mot « robot » attribué au dramaturge tchèque Karel Čapek, en 1921, dans sa pièce R. U. R. (Rossum’s Universal Robots) ; en donne la traduction « travailleur » ; et finit par expliquer son besoin d’en écrire une histoire dont le fil conducteur raconte l’évolution possible du robot par l’intermédiaire de la fameuse Mme Calvin, directrice en psychologie des robots chez U.S. Robots. Dans un double mouvement, Asimov incitait les chercheurs à investir rapidement le champ de la robotique et mettait en scène tous les problèmes à résoudre par ces derniers afin d’envisager sereinement la cohabitation avec ces têtes pas si froides que cela. 70 ans après, tous les cas de figure imaginés par le sorcier russe semblent s’être donné rendez-vous à Weil am Rhein. Et les quatorze questions choisies par les commissaires pour structurer le parcours de l’exposition renvoient à la problématique du père des trois lois incontournables de la robotique1. Parmi les plus savoureuses : 

« Quelle a été votre première expérience avec des robots ? » 
« Faites-vous confiance aux robots ? » 
« Aimeriez-vous vivre dans un robot ? » 
« Le robot prendra-t-il la première place dans l’évolution ? »

Si la littérature a été la première discipline artistique dans laquelle la figure du robot est apparue, et le theatre sa première représentation physique, le cinéma en a offert les incarnations les plus réalistes et concrètes, quoique ! Chez Vitra, l’exposition commence par cet art populaire.

Le cinéma SF comme bêta-testeur 


Une fois franchie la porte du Vitra Design Museum, une première salle aux cimaises noires est consacrée au cinéma. Suspendues au plafond par deux câbles, éclairées de l’intérieur, des lettrines forment des phrases, les fameuses questions. La première, « Avez-vous déjà rencontré un robot ? », reprend celle inscrite sur le fronton déstructuré du bâtiment dessiné par l’incorrigible Gehry. La plupart des gens connaissent les robots grâce au cinéma. Qui n’a pas vu HAL 9000 neutralisé par le commandant Bowman dans le 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick et ne s’est pas senti effrayé par cet œil si profond, si absent? De même, il est impossible d’oublier Wall-E et sa relation avec Eve, son alter ego plus évolué. Ou encore, dans le cultissime Blade Runner, la mort du répliquant Roy met au cœur du débat la question de la mémoire comme ultime frontière entre l’homme et son double synthétique. Même si Hello, Robot. ne se veut pas une rétrospective sur le robot à l’écran, seul R2-D2 est présenté physiquement, dommage!

Très clinique, la salle suivante explore les différentes applications et résultats des machines à la mode: les impressions 3D. Le visiteur pénètre dans un volume aux murs couleur saumon, rempli de petites tables sur lesquelles des objets connectés attendent leurs «amis» utilisateurs. Sans aucun doute, l’assistanat humain dans toutes ses dimensions reste à ce jour l’emploi des robots le plus justifié, le plus usité et certainement de manière irréversible. 

Avant de monter dans la dernière salle consacrée, en partie, à l’architecture, un petit bilan semble opportun. Hello, Robot. s’impose comme un exposé dédié aux débouchés industriels de la conception/réalisation de nos hôtes artificiels. Tout cela est bien logique car nous sommes chez Vitra. Néanmoins, les aspects symbolique et éthique auraient mérité une plus grande place. Même si l’élégant catalogue – mise en page réalisée avec un algorithme ! et couverture remarquablement dessinée par Christoph Niemann – s’épanche davantage sur le sujet. Et notons que tout un programme de conférences et de discussions doit remplir ce rôle. 

Quand les architectes rêvent de bâtisseurs électriques!


Depuis l’apparition des mots «hardware», «software» et «cyberspace», certains architectes se sont emparés de ces notions comme autant de manières de voir le monde. Nourrie à la lecture des classiques de la SF, la seconde avant-garde architecturale des années 1950/70 n’a pas manqué de spéculer sur l’influence de ces avancées technologiques. Archigram et consorts ont inventé des mégastructures construites par des robots aux multiples facettes. Récemment, Coop-Himmelb(l)au imaginait faire construire un volume chromé, tout en courbes, sans joints apparents, à l’intérieur du musée MOCAPE en Chine, par l’entreprise MSC équipée d’une panoplie de bras articulés robotisés. Il en a visiblement été autrement, mais un film explicite tourne en boucle sur You Tube. A sa vue, il est difficile d’ignorer la question de la main-d’œuvre humaine. Etonnamment, ce projet ne figure pas dans l’exposition, ni l’œuvre de New-Territories : eILe2, d’ailleurs ! Pourtant, depuis I’ve heard about (2004), son secrétaire particulier – François Roche – explore les potentialités et les failles de la robotique. Il tente d’injecter de l’humanité dans l’utilisation de la robotique en toute connaissance de cause, tel un cyberpunk3. Parmi les rares architectes intéressés par l’utilisation de robots et présents chez Vitra, Gramazio & Kohler Research/ETH Zurich présentent une maquette de leur projet Flight Assembled Architecture (2012). La noria de drones acheminant des blocs de béton creux dans un déplacement pendulaire et un bruit assourdissant, dans l’unique but d’élever une tour de logements, n’a pas laissé indifférent. Indéniablement, nous étions face à une courte anticipation du devenir des chantiers de construction. Plastiquement, le projet tient toujours la route. Difficile d’en dire autant du projet Eco-pods, de Höweler + Yoon Architecture and Squared Design Lab. Mélange douteux entre la Nagakin Capsule Tower (Tokyo, 1972) de Kishō Kurokawa et le détournement, appauvri, du projet de FRAC centre par New-Territories (2006) et de son robot Olzweg, qu’il eût été préférable d’exposer. Dans cette dernière salle, l’avenir de l’homme et de son extension – l’architecture – est en jeu. Une sentence des commissaires résume ce qui semble nous attendre : «Le rapprochement ultime avec le robot – à savoir la fusion – aura lieu finalement dans la ‹ machine à habiter › dans laquelle nous vivons.»

Un doute subsiste!  Ne serait-il pas plus pertinent de développer la recherche sur les exosquelettes et tous les moyens de retarder l’obsolescence de l’homme  De le rendre plus fort? Comment l’homme peut-il créer une nouvelle espèce tout en sachant que celle-ci va le dépasser en un temps record? A moins qu’il ne soit conscient de son obsolescence programmée et pense à sauvegarder l’esprit humain – «son logiciel» – dans un corps artificiel, plus à même de le faire évoluer.

 

Notes

1. Première Loi : « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ».
Deuxième Loi : « Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi ».
Troisième Loi : « Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la Première Loi ou la Deuxième Loi ».

2. New-Territories est une agence d’architecture fondée en 1993, dirigée par l’avatar androgyne et transgenre « eILe », qui autorise François Roche à écrire, parler et enseigner en son nom, comme un secrétaire personnel.

3. Bruce Sterling, le père du movement, le décrit ainsi : « Le courant cyberpunk provient d’un univers où le dingue d’informatique et le rocker se rejoignent, d’un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s’imbriquent. »

 

Informations

Hello, Robot. Design between Human and Machine
Jusqu’au 14 mai
Vitra Design Museum, Weil am Rhein
www.design-museum.de

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