Les dé­fis tech­ni­ques de l'é­qui­pe­ment élec­tro­mé­ca­ni­que d'u­ne cen­tra­le de pom­pa­ge-tur­bi­na­ge de 900 MW

Elément important pour l’avenir de l’approvisionnement de la Suisse en énergie, la centrale de pompage-turbinage de Nant de Drance jouera également un rôle essentiel pour la stabilisation du réseau électrique suisse et du réseau interconnecté européen. Elle permettra de produire de l’énergie et de l’injecter dans le réseau très rapidement en cas de besoin (turbinage), ou, au contraire, de la stocker lorsque elle est excédentaire (pompage) afin qu’elle soit disponible lors du prochain pic de consommation.

Publikationsdatum
31-01-2017
Revision
06-02-2017

Située au cœur du massif des Aiguilles Rouges, en Valais, la centrale électrique souterraine de Nant de Drance relie entre eux les deux réservoirs existants du Vieux-Emosson (2225 m d’altitude) et d’Emosson (1930 m d’altitude)(image). Pour produire de l’énergie, elle utilise la différence de niveau entre ces deux lacs de retenue. Comme leurs niveaux d’eau fluctuent, la différence de niveau utilisable par la centrale varie entre 250 m et 395 m, ce qui représente une variation de chute exceptionnelle pour une centrale hydraulique (image).
Débutés en 2008, les travaux en vue de ce projet d’envergure ont nécessité le percement d’environ 17 km de galeries (y compris les voies d’accès et les voies d’eau) pour mettre en place toutes les installations souterraines nécessaires.
La caverne des machines (centrale électrique) contient six pompes-turbines de dernière génération de 150 MW chacune. Selon le sens de rotation sélectionné pour ces pompes-turbines, l’eau s’écoule du lac supérieur dans le lac inférieur, et de l’électricité est alors produite et injectée dans le réseau (turbinage). A l’inverse, l’eau est pompée du lac inférieur vers le lac supérieur et les pompes-turbines sont alors des « consommateurs » sur le réseau (pompage). C’est le principe invariable d’une centrale de pompage-
turbinage. Dans le cas présent, il a fallu tenir compte des particularités locales lors de la conception et du dimensionnement de l’installation. Les différentes centrales de pompage-turbinage se différencient ainsi nettement les unes des autres dans leurs détails.
L’une des particularités de la centrale de Nant de Drance est, par exemple, la contre-pression d’eau exceptionnellement élevée : la pression statique peut en effet atteindre environ 24 bars en aval des pompes-turbines (côté réservoir d’Emosson), ce qui a nécessité le recours à des solutions techniques spéciales. Une autre particularité technique est le recours au moteur-générateur asynchrone, qui permet une utilisation encore plus flexible de la centrale de pompage-turbinage.

Anatomie de la centrale


Avec une longueur de 194 m, une largeur de 32 m et une hauteur de 52 m, la caverne des machines est la plus grande cavité souterraine du projet. La majeure partie de l’équipement électromécanique y est regroupée. La caverne des transformateurs, où se trouvent les six transformateurs et le poste électrique isolé au gaz, est disposée parallèlement à la caverne des machines. Il existe encore deux autres cavernes, respectivement en amont et en aval, dans lesquelles se trouvent les vannes de sécurité. La caverne amont se situe à l’extrémité supérieure des puits verticaux, tandis que la caverne aval est à proximité du lac de retenue d’Emosson.
Le projet Nant de Drance comprend deux voies d’eau indépendantes l’une de l’autre image. Chacun des deux cheminements hydrauliques compte trois pompes-turbines, reliées au puits vertical et au canal de fuite par l’intermédiaire de répartiteurs et de collecteurs. Malgré la longueur de la galerie de restitution d’environ 1300 m, il n’a pas été nécessaire de construire de cheminée d’équilibre, servant habituellement à compenser les variations de pression (coup de bélier) dans les longues galeries souterraines.
Les répartiteurs et collecteurs sont réalisés avec un blindage en acier (épaisseur de 50 mm en amont, 30 mm en aval ; acier de qualité S690 QL1). Les puits et les galeries de restitution sont bétonnés. Les zones proches des vannes de sécurité sont également munies d’un blindage en acier.
Les organes de sécurité sont des vannes de type papillon du côté amont et des vannes wagon combinées à des vannes à glissière du côté aval. Tous les équipements auxiliaires nécessaires (agrégats hydrauliques, soupapes d’aération, alimentation électrique, etc.) sont disposés dans l’environnement immédiat de ces organes.
La figure présente une vue en coupe de la caverne des machines (centrale électrique). Le groupe, constitué de la pompe-turbine, du moteur--générateur et des vannes sphériques d’entrée et de sortie, se trouve à l’axe de la caverne. Les équipements auxiliaires (systèmes d’eau de refroidissement, disjoncteur de l’alternateur et inverseur de phase) sont disposés en majeure partie à droite du groupe. Les armoires de convertisseurs pour le moteur-générateur asynchrone, la centrale de ventilation et les armoires de commande du système de contrôle-commande y sont également installées. Le pont roulant de la caverne des machines, conçu pour lever et abaisser les composants les plus lourds (rotor du moteur-générateur : environ 300 t), se trouve en calotte.
Une des particularités du projet est la position de la vanne sphérique de sortie, qui se trouve juste en dessous de la pompe-turbine dans le cône du tuyau d’aspiration, dans une cavité de dimension correspondante. Dans les autres centrales de pompage-turbinage, la vanne sphérique de sortie est habituellement disposée après le tuyau d’aspiration, et l’ensemble du tuyau d’aspiration et du cône est noyé dans le béton. Cette position atypique de la vanne a été choisie en raison de la pression d’eau exceptionnellement élevée en aval des pompes-turbines, comme déjà mentionné plus haut.
Les vannes d’entrée et de sortie en amont et en aval des groupes sont aussi conçues et dimensionnées comme organes de sécurité permettant une fermeture d’urgence. Cela signifie qu’ils peuvent être fermés même sous débit maximal (worst case scenario) afin d’assurer la sécurité de la centrale. A cet effet, la vanne sphérique d’entrée est fermée au moyen d’un contrepoids, tandis que la vanne sphérique de sortie est manœuvrée au moyen de vérins hydrauliques actionnés par des accumulateurs à air.
Comme c’est traditionnellement le cas pour les centrales de pompage-turbinage, la vanne sphérique de sortie n’est pas dimensionnée pour la pression en amont (voir encadré, 35 par rapport à 65 bars). Cela signifie que la pression amont ne doit jamais parvenir du côté aval du groupe lorsque la vanne sphérique de sortie est fermée. Faute de quoi, il y aurait de graves avaries sur des éléments du groupe.

Les particularités de la vanne sphérique de sortie


La gestion saisonnière du lac de retenue d’Emosson (lac inférieur) engendre une différence de hauteur de 100 m (image) entre son niveau d’eau maximal et son niveau d’eau minimal. Cette différence de niveau agit bien évidemment aussi sur les groupes de production. Pour assurer un fonctionnement en toute sécurité et à faible usure des pompes-turbines de la centrale de Nant de Drance, les groupes de production doivent être installés nettement plus bas que le niveau d’eau minimal du réservoir d’Emosson. Mais en plus de cette pression purement statique, il faut aussi tenir compte des processus dynamiques qui apparaissent temporairement dans les voies d’eau d’une centrale de pompage-turbinage. La cote d’installation des groupes de production a été choisie de telle sorte qu’une pression statique allant jusqu’à 235 m de colonne d’eau puisse être présente au niveau des pompes-turbines (en incluant la part dynamique précitée, il peut y avoir temporairement plus de 300 m de colonne d’eau). C’est un niveau de pression très inhabituel en aval d’une centrale de pompage-turbinage.
Techniquement, la situation est intéressante par le fait que la chambre de roue des pompes-turbines doit être vidangée dans certains états de fonctionnement, puis ultérieurement à nouveau remplie d’eau. Pour la vidange, on utilise habituellement un dispositif de chasse qui expulse l’eau de la chambre de roue au moyen d’air comprimé et la refoule à un niveau inférieur du côté aval, où l’eau est maintenue à un niveau plus bas que la roue. Le critère déterminant pour la conception d’un tel dispositif est la pression du côté aval, à savoir ici une pression exceptionnellement élevée. Il n’existe pas, dans la branche, de valeurs empiriques pour des pressions aussi élevées et pour une telle variation de pression (100 m de colonne d’eau). C’est pourquoi il a été décidé pour le projet Nant de Drance de renoncer au dispositif de chasse et d’utiliser à sa place la vanne sphérique de sortie qui remplit la même fonction, à savoir l’isolement de la voie d’eau aval par rapport à la chambre de roue vidangée. A cet effet, on a placé la vanne à proximité de la roue de la pompe-turbine, dans le cône du tube d’aspiration. A chaque fois qu’il est nécessaire de vidanger la chambre de roue, la vanne sphérique est fermée et la chambre vidangée.
Remplir la chambre de roue nécessite de diriger l’eau de la conduite forcée amont dans la chambre lorsque celle-ci est encore fermée par la vanne sphérique de sortie : en l’absence de mesures appropriées, cette opération créerait une pression excessive au niveau de la vanne sphérique de sortie. Pour y remédier, le projet utilise une version remaniée de la technique très éprouvée du verrouillage hydraulique, déjà employée dans d’autres centrales de pompage-turbinage. Toutes les vannes potentiellement dangereuses du côté amont sont ainsi bloquées en position fermée (verrouillées hydrauliquement) jusqu’à ce qu’elles puissent être ouvertes sans danger. Cela vaut également pour la vanne de remplissage qui sert à remplir la chambre de roue. Elle ne peut être ouverte qu’à la suite de l’ouverture d’une conduite de by-pass déterminée, de sorte qu’il ne peut jamais y avoir d’augmentation de pression inadmissible au niveau de la vanne sphérique de sortie. Lors de la conception, on a tenu compte des conditions d’exploitation les plus défavorables, ainsi que d’éventuelles fuites suite à de nombreuses années de fonctionnement (worst case scenario).
Le verrouillage hydraulique est l’instance de commande suprême : elle ne peut être contournée ni par des ordres électriques provenant du système de conduite, ni par des ordres délivrés manuellement au niveau de la commande locale. Une fois correctement installé et contrôlé, le verrouillage hydraulique représente ainsi le niveau de sécurité maximal contre d’éventuels dysfonctionnements et fausses manœuvres.

Plus de flexibilité grâce au moteur-générateur asynchrone


Une autre particularité du projet Nant de Drance est le moteur-générateur asynchrone. Cette technique est nouvelle et peu répandue pour des centrales de pompage-turbinage. On utilise normalement des machines synchrones, c’est-à-dire que le régime du groupe de production est toujours en synchronisme avec la fréquence du réseau1. La machine asynchrone permet de s’écarter dans certaines limites de la fréquence du réseau. Cette variabilité peut être utilisée pour optimiser l’utilisation des machines en mode turbinage comme en mode pompage.
Sur des pompes-turbines, le point de fonctionnement optimal en mode turbinage (point du meilleur rendement) diffère légèrement du régime synchrone, pour des raisons physiques. La machine asynchrone permet, en ajustant le régime, d’exploiter efficacement le groupe de production à son point de fonctionnement optimal, même en mode turbinage. Un effet secondaire appréciable réside dans le fait que le fonctionnement du groupe est plus régulier (moins de vibrations) et qu’il est souvent possible, en mode turbinage, d’étendre vers le bas la plage de fonctionnement admissible du groupe, dans la plage inférieure de charge partielle.
En mode pompage, la machine asynchrone permet, par la variation du régime, de faire varier la puissance de pompage tirée du réseau. Avec une machine synchrone par contre, la puissance de pompage consommée est quasiment fixe (elle ne varie que légèrement selon les différences de niveaux des réservoirs). Une machine asynchrone permet donc de réguler la puissance également en mode pompage : on peut utiliser la machine en mode pompage comme en mode turbinage pour la régulation primaire et secondaire du réseau électrique.
De plus, la machine asynchrone permet de réagir très rapidement aux modifications de charge sur le réseau grâce à l’électronique de puissance. Une machine asynchrone permet donc de réagir avec une grande flexibilité aux exigences les plus diverses du réseau et du marché, comme le nécessite par exemple l’utilisation intensive et en pleine expansion d’unités de production très volatiles, comme l’éolien et le photovoltaïque. Ceci étant particulièrement intéressant pour la répartition de la charge et pour la commercialisation de la production, le site de Nant de Drance est donc parfaitement équipé pour faire face aux défis actuels et futurs du marché.

 

Stephan Kolb, ingénieur diplômé en construction mécanique, responsable projets hydrauliques auprès de AF Consult Switzerland Ltd, bureau d’ingénieurs en charge de la planification générale des travaux de la centrale de pompage-turbinage de Nant de Drance.

 

Note

1. Machine synchrone: la fréquence de la machine est synchronisée à celle, fixe, du réseau électrique (50Hz).
Machine asynchrone: la fréquence de la machine peut s’écarter, dans des limites bien définies, de la fréquence du réseau électrique. Elle peut donc tourner plus vite ou plus lentement.

 

Quelques chiffres clés de l'équipement électromécanique

  • Puissance installée en turbinage et en pompage: 900 MW
  • Nombre de pompes-turbines Francis réversibles asynchrones: 6
  • Moteur-générateur (par groupe): 175 MVA
  • Régime synchrone: 428,6 1/min
  • Plage de régime du moteur-générateur asynchrone: -10,6 % à +7 %
  • Variation de chute/refoulement: 250 à 395 m
  • Débit max. en turbinage et en pompage (par groupe): 60 m3/s et 56 m3/s
  • Pression nominale bâche spirale: 65 bars
  • Caractéristiques nominales vanne sphérique d’entrée (MIV): 65 bars, D = 2100 mm
  • Caractéristiques nominales vanne sphérique de sortie (MSV): 35 bars, D = 2800 mm
  • Pression nominale alimentation en huile du régulateur: 64 bars
Magazine