L’épo­pée MEG

Le nouveau musée d’ethnographie de Genève est le premier musée construit ex-nihilo dans la Cité de Calvin depuis l’inauguration du Muséum d’histoire naturelle en 1966

Publikationsdatum
28-01-2015
Revision
25-10-2015

Le nouveau musée d’ethnographie de Genève (MEG) a été inauguré cet automne, comme prévu, après quatre ans de travaux. Conditionné par la frilosité qui caractérise parfois Genève, le projet se révèle être le fruit d’un ensemble de compromis. Ce qui n’empêche pas le bâtiment d’être empreint de qualités indéniables.

La route a été longue avant que la nouvelle construction ne voie le jour. Et pourtant, dès son origine, le MEG est à l’étroit. Fondé par l’anthropologue Eugène Pittard en 1901 à la villa Plantamour, dans le parc Mon-Repos au bord du lac, le musée déménage 40 ans plus tard dans le quartier de Plainpalais-Jonction – son emplacement actuel –, dans une ancienne école primaire construite à la fin du 19e siècle sur les plans de l’architecte Etienne Poncy. A l’époque, Pittard disait déjà se réjouir d’une prochaine inauguration, estimant que l’école ne répondrait pas aux besoins d’un tel musée. Septante-trois ans plus tard, le nouveau MEG est là.

Dès les années 1980, plusieurs projets sont élaborés pour doter les collections de meilleures conditions de conservation et d’exposition. Aucun n’aboutit, pas même celui de L’esplanade des mondes, qui se trouvait pourtant à un stade avancé : le nouveau musée d’ethnographie devait alors voir le jour à la place Sturm, dans le quartier huppé de Champel, et les lauréats du concours d’­architecture, lancé en 1995, avaient été désignés1. Soumis à référendum en 2001, le projet est rejeté par 62 % des votants.

Après ce cuisant échec, les autorités et l’équipe du musée décident de mettre toutes les chances de leur côté et, avec Jacques Hainard, alors directeur du musée d’ethnographie de Neuchâtel, constituent un groupe de travail pour repenser le projet du nouveau MEG. Composé d’experts et de délégués de la Ville, du Canton, de l’Association des communes genevoises et de la Société des amis du MEG, le groupe devait redéfinir les enjeux d’un tel projet. Fallait-il chercher un nouveau lieu où construire le musée (la place Sturm avait été sélectionnée parmi une quinzaine de sites à l’étude) ? Réinvestir le lieu, mais en rasant le bâtiment existant ? Le groupe de travail aboutit à cette conclusion : il faudra construire sur l’emplacement actuel, en préservant l’existant. « Même si l’ancienne école est un bâtiment qui n’a rien d’extraordinaire du point de vue patrimonial, les Genevois y semblent attachés », souligne Jacques Hainard (lire entretien). L’école, un bâtiment central flanqué de deux ailes rectangulaires similaires, a été rénovée et abrite aujourd’hui les activités privées, administratives et de restauration du musée.

La logique de l’iceberg


Le concours pluridisciplinaire lancé en 2007 est remporté par les architectes zurichois Graber Pulver et les ingénieurs civils bernois Weber + Brönnimann, auteurs conjoints de plusieurs bâtiments, dont l’Ecole des Métiers de Fribourg, lauréate lors de la dernière Distinction romande d’architecture.

Parmi la cinquantaine de projets concurrents, provenant principalement de Suisse et des pays limitrophes, celui-ci a séduit par son concept : la logique de l’iceberg. Deux tiers des 7000 m2 que compte le nouveau bâtiment sont souterrains. Le principe permet de ne pas modifier outrancièrement l’aspect du site, mais aussi de générer un vaste espace d’exposition dépourvu de lumière naturelle, propice aux variations scénographiques. La mise en souterrain d’une partie du programme a libéré une place publique flanquée d’un jardin agrémenté de quelques bancs. 

Le volume hors terre délimite clairement le front de la rue des Bains et complète le U formé sur la parcelle par le bâtiment existant du MEG, l’école et le restaurant scolaire. Avec son toit à double pente vertigineux revêtu d’aluminium anodisé, il fait office de signal dans la rue, et a aussi fonction d’accueil du public. Au rez-de-­chaussée : hall d’entrée monumental, cafétéria et boutique. Plus haut, des ateliers de médiation et une bibliothèque à des allures de chapelle, qui abrite quelque 45 000 ouvrages et des coins lecture, ateliers de restauration et de médiation. Le musée accueille aussi un cinéma de poche, une salle de musique, une salle polyvalente d’une capacité de 250 personnes et deux salles de séminaire. 

Contrainte programmatique, l’espace d’exposition est exempt de piliers porteurs : la dalle du premier sous-sol est suspendue à l’étage supérieur, ce qui permet de libérer les 2000 m2 de la black box du niveau -2 (lire article lié). Cette dernière peut être divisée en deux ou trois parties. Pour les cinq prochaines années, elle a été séparée en deux parties égales, l’une accueillant l’exposition temporaire, la seconde l’exposition permanente.

La modularité générée par ce système est finalement peu exploitée. L’exposition permanente provoque par ailleurs un sentiment de platitude, car elle s’affiche dans une muséographie pétrie de conventionnalisme – mille objets tirés des collections, exposés par continents dans un alignement de grandes vitrines devant lesquelles trône, sans que cela se justifie véritablement, l’œuvre monumentale Mer du vidéaste contemporain français Ange Leccia.

Les manifestations organisées au MEG, abondantes, apaisent ce sentiment. Car le concept global du musée semble avoir été construit autour de la médiation, sorte d’outil servant à activer les collections – quelque 80 000 objets provenant des cinq continents, soit la deuxième collection la plus importante de Suisse après Bâle. Le musée organise régulièrement des événements et a projeté fin janvier un film dans le cadre du festival de cinéma Black Movie – le MEG a aussi été approché par deux autres festivals de films, Filmar en América latina et Animatou.

Si le nouveau MEG est un bel objet, une « machine à exposer » comme l’avait souligné le jury, quelque chose de dérangeant demeure. L’analogie de l’architecture à des formes imaginées « ethnographiques » avait été critiquée par le jury2. Dans son rapport, il conseillait aux architectes de reconsidérer cet aspect de leur projet, qui ont alors opté pour un autre revêtement de façade (de l’aluminium plutôt que du bois). Mais l’analogie subsiste. Une question se pose alors : un musée, et en particulier un musée d’ethnographie, doit-il évoquer les objets qu’il conserve ? Cette analogie ne reproduit-elle pas ce contre quoi un musée d’ethnographie est censé lutter : le stéréotype et la généralisation ?

 

Notes

1. Le projet lauréat du concours, conçu par l’atelier d’architecture de Lausanne –aujourd’hui MPH architectes –, consistait en un grand plan allongé vitré s’étirant le long de la rue Sturm. 
2. Extrait du rapport du jury : « Le rapprochement de la forme émergente avec des objets ethnographiques pose problème dans la littéralité. Pour le développement du projet, le jury, plus particulièrement les représentants du musée, est gêné par toute référence ethnographique que peuvent contenir les concepts architecturaux. Il recommande aux auteurs de s’en défaire, notamment dans la matérialisation de l’objet.

 

Intervenants

Maître de l’ouvrage : Ville de Genève, département des constructions et de l’aménagement, direction du patrimoine bâti 
Architectes : Graber Pulver Architekten AG, Berne et Zurich
Ingénieurs civils : Weber + Brönnimann AG, Berne
Direction des travaux : ACAU, Genève
Direction des travaux spéciaux : Amsler + Bombelli SA, Chêne-Bougeries
Paysagiste : Hager Partner AG, Zurich et Berlin

 

Le MEG en chiffres

Budget : CHF 68 mio
Volume bâti ancien bâtiment : 19 030 m3
Surface de plancher ancien bâtiment : 3589 m2
Volume bâti extension : 37 340 m3
Surface de plancher extension : 6921 m2

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