Le si­gne et la fon­c­tion

La nouvelle halle du CICR réalisée par l'agence Group8

Située dans la zone industrielle de Meyrin-Satigny, la toute nouvelle réalisation de l’agence genevoise Group8 renégocie habilement le partage entre fonction et image dans le contexte d’un équipement logistique. La nouvelle halle du CICR vient bouleverser le paysage de la zone industrielle proche de l’aéroport. Exemple d’un édifice très technique, dont l’expressivité architecturale ne se déploie pas au détriment de sa fonction.

Publikationsdatum
02-04-2012
Revision
19-08-2015

La première chose qui distingue la nouvelle halle du CICR est l’aspect très géométrique de son revêtement. Les trois éléments du programme (bureaux, stockage, archives), agencés de façon orthogonale, sont enveloppés d’une peau qui semble suivre une toute autre logique. La bâche tendue décompose par son jeu de facettes la géométrie régulière de la halle. En y regardant de plus près, on est surpris de constater l’adéquation entre ce qui relève d’un côté d’un travail de la forme et, de l’autre, de la fonction. Les dispositifs logistiques du projet ne sont pas dissimulés, bien au contraire, ils participent pleinement au jeu de contrastes qui structurent l’apparence de l’ensemble. Le ton est donné de prime abord par la présence sur la façade, des sas de chargement des camions: ils s’intègrent dans la partie inférieure, noire, qui contraste avec l’enveloppe blanche. Cette «franchise utilitaire» met en avant la mission de la halle du CICR: acheminer des produits pharmaceutiques, orthopédiques et mécaniques dans des zones de conflit ou de catastrophe majeure.
Le deuxième élément du programme, les bureaux et les salles de réunions de ceux qui gèrent l’acheminement, est aussi affiché sur la façade, dans la triple rangée de vitres. L’usage de panneaux vitrés à réflexion variable, défragmente l’uniformité habituelle propre aux rideaux de verre. Quant au troisième élément du programme, celui de l’archive des activités du CICR, s’il n’apparaît pas au premier plan, il n’en constitue pas moins une partie essentielle du projet. 
L’entrée du bâtiment est plutôt discrète ; une esplanade en légère pente y conduit. C’est en l’empruntant que l’on mesure la véritable fonction de la bâche qui recouvre l’ensemble. Cette toile tendue, dont la blancheur est censée exprimer la neutralité historique du CICR, accomplit deux tâches essentielles: ventilée, elle tempère le bâtiment en le protégeant du rayonnement direct. Flexible, elle déforme les parois verticales de la halle pour former des auvents. Le jeu des facettes n’est pas gratuit; il permet de constituer des espaces protégés pour les ouvertures du bâtiment: les baies vitrées, les sas de chargement et l’entrée. Quant aux traits noirs qui accentuent le jeu des facettes, ils suivent en fait les rigoles d’écoulement des eaux de pluie. La bâche, élément fort du langage architectural employé, s’avère ainsi un outil technique hors pair. Il met en avant l’éphémère, le modulable, l’adaptabilité, comme autant de signes incontestables de l’identité opérationnelle du CICR, ceci sans pour autant virer dans la pure symbolique. 

Derrière la bâche

A l’intérieur, cette habile alliance entre le signe et la fonction se retrouve dans l’agencement de la partie administrative.
Le visiteur arrive dans un espace ouvert, sorte d’atrium cerné de bureaux sur deux niveaux. Cette place intérieure est éclairée naturellement par une verrière sur toute sa superficie. Elle donne sur deux espaces extérieurs : un petit jardin carré entièrement fermé sur lui-même, avec comme seul horizon le ciel; et un deuxième espace ouvert, faisant office de salle de réunion en plein air. Le caractère répétitif des rangées de bureaux distincts est compensé par la générosité des parties communes. Le soin apporté par Group8 aux espaces partagés témoigne de leur conviction quant au potentiel de l’architecture à fonctionner comme un condensateur social. 
Ce sont les constructivistes dans les années 1920, puis les brutalistes dans les années 1960, qui ont développé l’idée d’un conditionnement des espaces partagés, que ce soit dans des immeubles d’habitations ou des bureaux, pour permettre une certaine sociabilité. Penser les parties communes comme un espace d’échange, de vie et de partage, a été érigé en principe dans la seconde moitié du 20e siècle par une nouvelle génération d’architectes appelée Team10. Dès les années 1950, ce groupe, qui peut se vanter d’avoir dissous le CIAM, va chercher à s’opposer à l’hygiénisme et  à la stérilité du fonctionnalisme dominant. Tout en assumant l’échelle et la condition moderne, ils vont essayer d’introduire des éléments qui rendront possible une certaine sociabilité. 
Dans le cas de la halle du CICR, le choix de placer un espace partagé au cœur du projet peut parfaitement se revendiquer comme un héritage de cette école de pensée. Adrien Besson de Group8 n’hésite d’ailleurs pas à citer les Smithsons comme une des références possibles du projet. 
Globalement, il s’agit là d’une réflexion qui se décline dans plusieurs projets du bureau. Dans un contexte très différent, mais toujours pour le même commanditaire, Group8 a conçu un espace public ouvert sur la ville face au siège du CICR à Genève. Un agencement de cercles concentriques qui rend manifeste la nature publique du lieu. Cette recherche quasi scénographique, consistant à mettre en exergue les espaces communs, se retrouve dans plusieurs de leurs réalisations.  Dans le cas de la halle logistique, c’est la coursive périphérique qui offre une vue plongeante sur l’espace partagé. Ailleurs, dans les bureaux de Group8, c’est un assemblage de 18 containers qui rend possible des points de contemplation sur l’open space leur servant de lieu de travail. 

Minimalisme signifiant

L’emploi de tons neutres pour l’atrium n’empêche pas certains contrastes dynamiques, comme avec le hall d’entrée ou la cage d’escalier d’un rouge éclatant. La verrière est constituée de pans de verre inclinés en alternance. Les stries de ces panneaux produisent l’effet de brise-soleil. Tout le long de la journée, l’atrium est inondé d’une lumière changeante, qui dessine des compositions structurées sur le sol et les parois. Exposé aux variations du temps, l’atrium devient une sorte de centre névralgique, reliant un espace cloîtré au monde environnant. Les jeux de lumière et l’abondance de place dans l’atrium, dans le contexte de simplicité et de neutralité du bâtiment, parviennent à mettre en exergue ce sur quoi repose l’efficacité du CICR: ses forces vives. Il s’agit là d’un minimalisme au sens premier du terme. Tout à l’opposé de sa dérive luxueuse, celui-ci consiste à se libérer de tout ce qui est superflu pour ne garder que l’essentiel. Entre le dénuement nécessaire des zones de stockage et d’archivage et la simplicité monacale – érigée en principe – des bureaux, l’édifice parvient à réunir sous un même langage des univers très différents. 
Les panneaux alvéolés, qui recouvrent les coursives et les parois de l’atrium, agissent comme la bâche blanche avec l’ensemble du bâtiment: ils créent une peau uniforme qui dissimule l’éclairage, la tuyauterie et le câblage.
Quant au jardin, il constitue la suite évidente de l’atrium : même ouverture zénithale, même volonté de se replier sur lui-même. L’absence de «fenêtre» sur l’extérieur au niveau du jardin, constitue probablement la seule faiblesse dans la conception globale de l’édifice. Si le retrait confère à l’atrium la quiétude et la qualité d’un cloître monacal, il ne parvient pas à en faire autant dans le petit jardin. Le confinement, dans ce cas, étouffe plus qu’il ne rassure. Le choix de repli montre ici ses limites. 
D’un point de vue constructif, l’édifice est plus complexe que ne le laisse supposer la neutralité de son bardage. Pour la halle logistique et ses grandes portées, la structure est en métal, pour tout le reste, en béton. L’ensemble du bâtiment repose sur une trentaine de pieux énergétiques, les standards élevés du CICR garantissant la très haute qualité des matériaux et des équipements. 
Sobre, efficace et expressive, la nouvelle halle du CICR place haut la barre. Bâtiment outil, sans réelle dimension publique, l’ouvrage semble déterminé par la question de l’espace partagé. Elle fait signe aux deux autres projets réalisés pour le CICR, la place et le centre de conférences face au siège genevois. Group8 parvient ainsi à élaborer un langage commun aux trois projets, reposant tout à la fois sur des particularités constructives, mais aussi conceptuelles : une écriture assez discrète pour être lisible, et assez sobre pour être appropriable.

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