Le re­fu­ge Ti­anz­hus­han ou le con­te phi­lo­so­phi­que d’Ar­chip­lein

Au cœur d’un parc naturel à l’est de la Chine, le jeune bureau sino-genevois Archiplein a réalisé, entre 2009 et 2012, un refuge dont la matérialité découle des conditions géographiques et climatiques. la conception formelle serait plutôt à déduire d’une philosophie de la proximité avec le paysage

Publikationsdatum
04-12-2015
Revision
04-12-2015

Dans sa leçon inaugurale de l’Ecole de Chaillot, construire un monde différent conforme aux principes de la nature1, l’architecte chinois Wang Shu évoque, non sans nostalgie, la poésie qui imprégnait aussi bien les campagnes que les villes de la Chine de son enfance. Cette poésie repose sur la vision du monde d’un pays qui «cherche à se conformer aux principes de la nature»2. Pour Wang Shu, la peinture traditionnelle chinoise du paysage, consacrée notamment par le rouleau Mille li de rivières et montagnes réalisé par Wang Ximeng, en est l’évocation la plus parfaite (image). Comme le relève l’architecte, celui qui prendra le temps d’examiner les détails de ces paysages sera frappé par le soin porté à la composition architecturale des ces œuvres. Les constructions ne sont pas simplement décoratives et disposées pour l’équilibre de l’ensemble, mais elles respectent le relief, elles sont orientées en fonction de la lumière et elles jouent avec les ombres des arbres et des rochers.

Une architecture de niche


Si «ces peintures sont des dessins d’architectes», le refuge Tianzhushan (photo, photo) construit par le bureau Archiplein est une reproduction contemporaine d’un détail de cet art pictural. Située sur le mont Tianzhu (mont des piliers du ciel), au cœur d’une réserve naturelle dont les pitons rocheux polis par le temps ont inspiré de nombreux peintres entre les 10e et 12e siècles, la construc- tion du refuge s’inscrit dans une démarche plus large de valorisation touristique menée par les autorités locales. Dans un premier temps, accompagné d’une agence de développement touristique, le bureau a proposé une série de réaménagements de l’infrastructure pédestre menant de la base touristique – uniquement accessible par télé- phérique – au sommet du mont. Au niveau des construc- tions, un premier projet imaginé par une agence chinoise envisageait la réalisation de pavillons tentaculaires. Séduit par le parti pris de l’étude touristique de réduire au maximum les impacts sur le paysage, les autorités de la province finissent par mandater Archiplein pour la réali- sation d’un nouveau refuge-restaurant sur les bords du lac de captation, à mi-chemin du sommet.
«Ce mandat s’inscrivait parfaitement dans la spécificité de notre bureau. Devant la concurrence que se livrent les grandes agences internationales et nationales pour le développement effréné des mégapoles, nous nous sommes concentrés sur des projets situés dans des lieux peu accessibles ou des villes économiquement secon- daires», souligne Marlène Leroux, l’une des fondatrices du bureau3. Si cette spécificité répond à un opportunisme pragmatique, elle est également le fruit d’une démarche patrimoniale et d’une sensibilité paysagère et culturelle difficilement compatible avec les grands projets architec- turaux des mégapoles de l’Empire du Milieu.

La topographie et le climat


Le refuge Tianzhushan, parfaite incarnation de cette sensibilité, s’écarte de la logique de maximisation des mètres carrés qui semble guider la majorité de la production architecturale banale en Chine. Un principe et des contraintes constructives et environnementales ont guidé la conception du refuge. A l’image des pavil- lons présents dans l’œuvre de Wang Ximeng, la stra- tégie sur laquelle repose l’essence conceptuelle du projet est celle de l’effacement. «Notre première tâche a été de convaincre le maître d’ouvrage de réduire de moitié la dimension du refuge. Ce dernier n’est pas une fin en soi. Il n’est qu’une halte sur le chemin pédestre qui mène au sommet de cette montagne taoïste. Nous avons donc cherché à nous fondre dans le paysage et à minimiser son impact visuel depuis la cime», précise Francis Jacquier, formé aux problématiques patrimoniales par l’Ecole de Chaillot. Les architectes ont ainsi imaginé un bâtiment de 1000 m2 de deux niveaux qui, par un subtil jeu de fractionnement, épouse la topographie (document, document). Les facettes de la toiture jouent avec les différents éléments naturels environnants et évitent la réverbération du soleil qui aurait rendu le refuge beaucoup trop présent.
Si le paysage a guidé la composition du refuge, les contraintes géographiques et climatiques en ont déter- miné la matérialité. L’humidité, l’acheminement difficile des matériaux et une main-d’œuvre peu qualifiée dans
la construction ont naturellement imposé la simplicité constructive d’une réalisation en béton banché; béton réalisé avec les gravats d’un ancien refuge, l’eau du lac et du ciment acheminé en partie à dos d’homme. «Si les ouvriers engagés sur le chantier – pour la plupart des paysans de la région – ne possédaient que peu d’expé- rience dans la construction en béton, ils jouissaient d’un haut savoir-faire dans l’usage du bois. Ils ont fortement contribué à la qualité du béton par les structures d’étaie- ment et les ouvrages charpentés de coffrage», insiste Francis Jacquier (photo, photo). Pour la toiture, les archi- tectes ont fait appel à un bureau d’ingénierie spécialisé dans l’élaboration de coques pour les autoroutes suspen- dues de Shanghai.

La promenade et le regard méditatif


Dans leur quête du sommet, les promeneurs arrivent au refuge au niveau du restaurant (document, photo) qu’ils traversent pour emprunter une rampe menant à salle des thés bordant le lac artificiel (document, photo, photo). Ce parcours continu est parsemé de multiples ouver- tures qui invitent à la contemplation et au regard de nombreux paysages (photo). Plus petites au niveau supérieur, elles donnent au restaurant une ambiance plus intime. Au niveau de la salle des thés, elles s’élargissent magistralement et renforcent la relation entre le paysage et le bâtiment. Relation sacralisée artificiellement par un petit bassin intérieur alimenté avec l’eau du lac par un canal et qui, lorsque les conditions climatiques y sont propices, exhale une brume si caractéristique des régions montagneuses d’Asie de l’Est.
Pour en revenir à la peinture paysagère de la dynastie Song, ce vagabondage méditatif semble avoir été repré- senté sur de très nombreux rouleaux. Il fait appel au terme chinois de guanxiang. Cette notion philosophique centrale peut se comprendre comme la pratique du regard méditatif4. Par la sensibilité dont il a fait preuve, par la manière dont il a soumis son projet au paysage, à la nature et au chemin contemplatif qui mène au sommet, Archiplein a écrit un joli conte philosophique.

 

Notes

1.  Le département formation de la Cité de l’architecture & du patrimoine de l’Ecole de Chaillot invite chaque année un architecte à «évoquer la place de l’histoire et du patrimoine dans son processus de conception». La leçon inaugurale de Wang Shu tenue en 2012 a donné lieu à une belle publication bilingue: Construire un monde différent conforme aux principes de la nature, Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris, 2013.
2.  Wang Shu, Construire un monde différent conforme aux principes de la nature, op. cit., p. 26.
3.  Fondé à Shanghai en 2008 par cinq amis fraîchement diplômés de l’EPFL – Fang Wiyi, Francis Jacquier, Feng Yang, Marlène Leroux et Wang Mingbo – Archiplein compte depuis 2012 une antenne genevoise dirigée par Marlène Leroux et Francis Jacquier.
4. Wang Shu, Construire un monde différent conforme aux principes de la nature, op. cit., p. 41.

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