Le BFUP pour ajou­ter de la plus-va­lue aux ouvra­ges en bé­ton ar­mé

Le recours au béton armé a révolutionné l’histoire de la construction au 20e siècle, notamment en raison de son bas coût à la construction. L’expérience montre cependant que les parties d’ouvrages en béton armé exposées à l’eau et aux sels de déverglaçage ne sont que peu durables et présentent des dégâts prématurés engendrés par la corrosion de l’armature ou la réaction alcali-granulat (RAG). A cet égard, le recours au BFUP (béton fibré ultraperformant) permet d’améliorer les ouvrages en béton pour prolonger durablement leur utilisation.

Publikationsdatum
24-01-2018
Revision
29-01-2018
Eugen Brühwiler
professeur à l’EPFL, où il dirige le Laboratoire de maintenance, construction et sécurité des structures

A l’image des nombreux chantiers « d’assai-nissement » en cours, les endomma-gements aux ouvrages d’art en béton armé sont « réparés » depuis les années 1980 et la fin de ces travaux n’est pas en vue. Les moyens de « réparation » traditionnels, tels que le reprofilage au mortier ou l’application de fines couches d’enduits à base de résine époxy, sont souvent décevants, aussi bien d’un point de vue esthétique qu’en termes de durabilité. Il en est de même pour les feuilles d’étanchéité, qui présentent une durabilité limitée. On observe les mêmes endommagements sur des ouvrages récents, où un enrobage plus conséquent des barres d’armatures, destiné à les protéger, s’avère insuffisant pour empêcher les processus de détérioration du béton armé.

De ces constats, il faut tirer la conclusion que le béton armé n’est pas le matériau de construction adéquat pour les parties d’ouvrages fortement exposées aux actions environnementales. Afin de respecter les durées d’utilisation convenues, il convient d’améliorer fondamentalement la construction en béton armé et les ouvrages existants.

Ni acier, ni béton, mais BFUP


Le BFUP n’est ni de l’acier ni du béton, c’est un matériau composite ultraperformant. Sa matrice cimentaire, composée de particules fines de diamètre inférieur à 1 mm, est enrichie d’un volume important de fibres élancées en acier d’une longueur d’environ 15 mm. Ce mélange rend le BFUP hautement résistant et lui confère sa ductilité. L’optimisation de sa composition en particules fines permet d’obtenir un matériau compact et étanche, même sous sollicitations de traction. Les propriétés mécaniques, la ductilité et la durabilité du BFUP sont donc largement supérieures à celles d’un béton armé.

Le BFUP a été imaginé il y a environ 30 ans. Depuis, ses recettes ont constamment évolué pour devenir aujourd’hui un matériau aux performances remarquables. L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne analyse depuis 1999 le comportement structural d’éléments mixtes BFUP-béton. L’objectif est de compléter des éléments de construction en béton armé traditionnel avec une couche de BFUP afin de protéger les surfaces fortement exposées et de renforcer les éléments hautement sollicités. On obtient ainsi la durabilité requise et une résistance augmentée des ouvrages en béton. L’utilisation ciblée du BFUP confère ainsi une plus-value à un ouvrage en béton armé et permet d’allonger sa durée d’utilisation.

Depuis sa première application au pont de la Morge à Sion (VS) en 20041, de nombreux ouvrages en béton armé ont été renforcés et étanchés au moyen du BFUP en Suisse. On en compte aujourd’hui environ une cinquantaine. La plus grande application a eu lieu en 2014-2015 lors du renforcement des viaducs de Chillon. Cette intervention, amplement documentée et médiatisée2, a permis de démontrer les atouts du BFUP en Suisse et à l’étranger.

La plus-value ajoutée aux viaducs de Chillon est certes une référence mondiale incontournable des applications du BFUP (voir encadré ci-contre), mais tend, par son caractère exceptionnel, à faire passer au second plan ses utilisations plus courantes. C’est pourquoi les avantages de cette technologie sont illustrés ici au travers de trois réalisations récentes en Suisse romande, plus modestes en taille et probablement ignorées par de nombreux professionnels.

Le pont de Guillermaux (Payerne, VD) : changement du système statique


Le pont de Guillermaux enjambe la Broye à Payerne et date de 1920. Il s’agit d’un des premiers ponts en béton armé de Suisse. Il porte une chaussée à deux voies et deux trottoirs. Son système statique d’origine est celui d’un pont arc à trois articulations avec une portée de 28 m pour une flèche de 2.8 m. En plus de ces caractéristiques techniques, les différents ornements tels que les quatre obélisques aux extrémités du pont et les décorations de ces parements sont remarquables et ont valu à l’ouvrage d’être classé monument historique.

Le pont de Guillermaux n’a jamais été pourvu d’une étanchéité et les eaux de chaussée ainsi que les sels de déverglaçage ont pu pénétrer dans le béton de l’ouvrage pendant près d’un siècle. Malgré l’état endommagé de certains éléments porteurs et plusieurs rapports d’expertises alarmants suggérant le remplacement « immédiat » de l’ouvrage, la population et les autorités locales ont refusé la démolition de l’ouvrage en raison de son importance marquante dans le paysage urbain.

En 2015, suite à une requalification de la route de Guillermaux, une intervention sur le pont a été effectuée afin de permettre le passage de convois exceptionnels. L’augmentation de la capacité portante devait être accompagnée par une remise en état durable des dégâts du béton afin de garantir une deuxième longue durée d’utilisation au pont.

L’application d’une couche de 50 mm de BFUP armé sur le tablier a permis d’atteindre ces objectifs par le clavage de la rotule à la clé de l’arc ainsi que par la création d’un tendon ancré aux nouvelles dalles de transition aux extrémités du pont. Ce changement invisible du système statique permet une diminution considérable des sollicitations de flexion ainsi qu’une meilleure exploitation de la résistance à la compression du béton de l’arc principal. La capacité portante du pont se trouve ainsi doublée et permet le passage de transports exceptionnels.

De plus, l’étanchéité procurée par la couche de BFUP protège les parties d’ouvrages en béton armé sous le tablier contre les actions de l’eau et des sels de déverglaçage. Ces éléments ont par conséquent pu être remis en état de façon traditionnelle. Finalement, un soin particulier a été porté à la restauration des parapets avec leurs éléments décoratifs, pourvus d’une imprégnation hydrophobe contre la pénétration de l’eau, afin de préserver au mieux l’aspect original du pont. A l’image d’un nouvel ouvrage, le pont presque centenaire est suffisamment performant pour une nouvelle et longue durée d’utilisation.

Le viaduc de Cudrex (Bussigny, VD) : phasage accéléré des travaux


En raison de sa situation entre deux zones industrielles, le viaduc de Cudrex, long d’environ 450 m, subit un important trafic bidirectionnel de poids lourds. Construit en 1968, la structure présentait récemment d’importants dommages au niveau du revêtement et de l’étanchéité. Les sept joints de chaussée mécaniques présentaient également de forts signes d’usure et nécessitaient un remplacement. Le système d’évacuation des eaux de chaussée a aussi dû être revu.

Afin de garantir la pérennité de la structure porteuse, le système d’étanchéité a été remplacé durant l’été 2016 par une fine couche de BFUP d’une épaisseur de 25 mm. Les bordures ont également été pourvues d’une couche de protection en BFUP. Cette solution a été retenue en raison de sa rapidité d’exécution qui a permis de réduire considérablement les restrictions pour les utilisateurs. En effet, en assurant une cure selon les recommandations, la prise rapide du BFUP permet d’atteindre des résistances mécaniques suffisantes pour admettre la circulation provisoire du trafic routier sur le BFUP « jeune » seulement 20 heures après sa mise en place. Il a ainsi été possible de renouveler l’étanchéité par étapes « coups de poing » de 36 heures en fermant le pont à la circulation pendant huit week-ends, du samedi soir à 17 h au lundi matin à 5 h.

Les travaux ont pu être exécutés sans difficulté et sans répercussion sur le trafic dans une zone fortement chargée aux heures de pointe pendant la semaine. L’intervention s’est également avérée très économique.

Le pont de Bramois(Verbier, VS) : renforcement intégral en pente


Ce pont courbe présente une pente de 10 %. Il est de type dalle pleine continue, simplement armée d’une longueur de 78 m sur cinq travées. Construit en 1969, les bordures, les joints de chaussée ainsi que les appareils d’appuis aux culées étaient fortement endommagés suite aux actions environnementales et aux sels de déverglaçage. De plus, la capacité portante était insuffisante.

L’intervention consiste à remettre en état et étancher intégralement le tablier et ses bordures avec une couche de 50 mm de BFUP. Cette couche est pourvue de barres d’armature sur appuis dans le but d’augmenter sa résistance aux moments négatifs de la dalle massive. Afin de supprimer les joints de chaussée, des dalles de transition en béton armé ont été construites et recouvertes par la couche de BFUP. Les joints de dilatation sont ainsi clavés et le système statique flottant est transformé en pont semi-intégral. Grâce aux propriétés thixotropes du BFUP frais, la mise en place d’une telle couche est possible sur des pentes pouvant atteindre 16 %.

La première moitié des travaux a été exécutée en automne 2017 sur une voie de roulement. La deuxième phase des travaux suivra en printemps 2018.

Ajouter de la plus-value au lieu de démolir-reconstruire


Représentatif des diverses applications du BFUP, également dans le domaine des bâtiments, ces trois exemples de ponts illustrent le concept de l’ennoblissement des ouvrages en béton à l’aide du BFUP. Cette technologie permet d’améliorer des ouvrages de tout âge pour garantir le prolongement de leur utilisation. Puisque les interventions au BFUP ne sont pas invasives ou visibles, l’aspect d’origine, qui définit souvent la qualité esthétique d’un ouvrage en béton, n’est pas perturbé. La technologie du BFUP se prête ainsi particulièrement aux édifices de valeur culturelle élevée comme le pont de Guillermaux ou les viaducs de Chillon.

Mais cette technologie apporte une plus-value à tous les ouvrages, indépendamment de leur valeur patrimoniale. Ainsi, les projets d’intervention au BFUP actuellement en cours comprennent une majorité d’ouvrages ordinaires. Des coûts d’intervention et de maintenance plus intéressants par rapport aux variantes traditionnelles « d’assainissement » ou de « démolition-reconstruction » sont la raison principale de la popularité croissante du BFUP auprès des maîtres d’ouvrages.

De plus, l’emploi ciblé du BFUP s’inscrit parfaitement dans une logique de développement durable, puisque les ressources de matériaux de construction déjà consommées par les ouvrages existants sont valorisées et utilisées sur une bien plus longue durée. A l’opposé, le « démolir-reconstruire » aujourd’hui encore largement pratiqué par la profession, présente, même effectué de manière écologique, un mauvais bilan du point de vue du développement durable. L’approche consistant à ajouter une plus-value aux ouvrages existants est donc non seulement rationnelle en vue d’une gestion économe des ressources, mais absolument nécessaire.

Eugen Brühwiler, Pr Dr ing. civil dipl. ETH/SIA/IABSE
Philippe Schiltz, ing. civil dipl. EPFL
Laboratoire de maintenance, construction et sécurité des ouvrages (MCS), Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)

 

 

Notes

Tracés n°17/2005, «Béton fibré ultraperformant : première application en réhabilitation», Emmanuel Denarié, John Wuest, Jean-Christophe Putallaz et Eugen Brühwiler.

Tracés n°19/2014, «2400 m3 de BFUP sur un pont autoroutier», Hartmut Mühlberg, Stéphane Cuennet, Eugen Brühwiler.

 

Renforcement des viaducs de Chillon récompensé

L’American Concrete Institute (ACI) organise chaque année une remise de prix pour récompenser des projets novateurs dans le domaine du béton, les ACI Awards. Le renforcement des viaducs de Chillon a été primé et a obtenu le second prix dans la catégorie « réparation et restauration » le 16 octobre 2017 à Anaheim (USA).

Les viaducs de Chillon ont été construits entre 1966 et 1969 par encorbellement avec mise en place d’éléments préfabriqués sur site. En 2012, des travaux de réhabilitation complète des viaducs ont démarré, afin de traiter les dégradations, notamment liées aux infiltrations d’eau dans les éléments en béton. La présence de la réaction alcali-granulat (RAG) dans le béton a nécessité un renforcement général de la structure porteuse des viaducs. La solution choisie a été la mise en place d’une couche de béton fibré ultraperformant (BFUP) de 45 mm sur la dalle de roulement. La mise en œuvre a été faite de manière industrielle à l’aide d’une finisseuse spécialement adaptée, avec fabrication du BFUP sur place. Cette mise en œuvre industrielle sur une surface totale de plus de 50 000 m2 constitue un record pour un tel renforcement.

La remise de ce prix est une reconnaissance internationale de cette solution, tant du point de vue de la conception que du point de vue de la mise en œuvre.

Philippe Schär, chef de projet, Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), Office fédéral des routes (OFROU).

Intervenants
Maître de l’ouvrage : Office fédéral des routes (OFROU)
Auteur du projet : Monod-Piguet + Associés IC S.A.
Entreprise : Walo Bertschinger AG
Fournisseur BFUP : LafargeHolcim
Conception et soutien technique : Ecole polytechnique fédérale de Lausanne
Expert : GVH Tramelan SA
Contrôle qualité : OPAN Concept Neuchâtel SA

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