L’ar­chi­tec­te, la COD­HA et les ha­bi­tants 

Entretien avec Yves Dreier, du bureau Dreier Frenzel, architecte de l’opération de la CODHA dans l’écoquartier de la Jonction à Genève.

Publikationsdatum
24-05-2016
Revision
26-05-2016

Dans cette opération en cours de construction, les futurs habitants sont engagés depuis 2011 dans un processus participatif de choix collectifs concernant la typologie des appartements, les finitions et la configuration des espaces communautaires. Yves Dreier revient sur les marges de manœuvre des habitants et le rôle de l’architecte dans la conception et les processus de décision. 

Julien Grisel et Nicolas Bassand: Pour le projet de l’écoquartier de la Jonction, comment la démarche participative a-t-elle été menée avec la Coopérative de l’Habitat Associatif (CODHA)?
Yves Dreier: La CODHA a procédé à la répartition des appartements au stade de l’avant-projet. Lorsque 80 % des locataires, c’est-à-dire environ 150 personnes, ont été connus, ils ont constitué une association qui prendra à terme la gestion de l’immeuble. Cette association a organisé avec nous les séances de participation. Pour le suivi du projet au sein de la CODHA, quatre groupes de travail composés des futurs habitants ont été formés sur différents sujets: «aménagements extérieurs», «locaux communs», «matérialisation intérieure» et «programmation». 
La participation fonctionne ensuite selon quatre «niveaux». Le premier est celui de la relation entre le maître d’ouvrage et l’architecte. Avec la CODHA, nous définissons les éléments structurels, les façades, la distribution, la taille des appartements, l’affectation des rez et tous les éléments techniques. Il n’y a rien de nouveau, c’est ce que nous faisons traditionnellement dans un projet normal.
Ensuite, il y a un deuxième niveau avec tous les futurs habitants qui se réunissent en plénière pour prendre des décisions collectivement.
Le troisième niveau est celui des quatre groupes de travail. Ils font des pré-choix pour les présenter en plénière. Ils peuvent par exemple travailler sur les matériaux intérieurs. Nous leur faisons plusieurs propositions et ils en choisissent une qui s’applique ensuite à l’ensemble de l’immeuble, par exemple pour les revêtement de sol (lino, parquet ou chape). C’est donc un choix collectif qui impacte, sans exception, tous les appartements.
Le quatrième niveau est celui des choix individuels. Chacun a ainsi la possibilité de choisir dans une gamme prédéfinie, par exemple pour la couleur des portes, mais les coloris ont été validés collectivement, en amont.
Il est intéressant d’observer que ce travail de participation crée des liens entre les futurs habitants. Lors des différentes séances, il y a déjà une vie d’immeuble, on la sent. Il y a une attitude, une atmosphère.

Le premier appartement communautaire de l’opération est issu d’un groupe de personnes qui a demandé cette typologie particulière. Par la suite, vous avez dessiné d’autres appartements de ce type que les habitants ont choisis. Ce sont-ils organisés en fonction des typologies proposées?
Oui, notre seul mérite est d’avoir rebondi et amplifié l’idée initiale. Lors de la première séance de participation-présentation publique, les gens ont commencé à discuter ensemble. Des groupes se sont formés et chacun a fait une proposition avec trois choix en définissant ses priorités. Le dispositif mis en place par la CODHA fonctionne très bien. S’il n’existait pas, nous n’aurions sans doute pas obtenu ce résultat et dans l’autre sens, sans cette participation, la CODHA n’aurait pas pris le risque de faire ces appartements.

Il y a donc une attribution des appartements à des groupes qui se constituent lors de ces assemblées participatives, mais que se passera-t-il si des habitants quittent le groupe? 
Avec la CODHA, nous avons décidé de traiter cette question au cas par cas au moment où elle surviendra. Les cas de figure sont très variés: dans certains appartements, les gens se séparent, dans d’autres un partant est remplacé par un entrant et certains groupes ont tendance à s’assembler en cherchant à former des clusters plus grands. On sait aussi que pour certains clusters, on peut revenir en arrière et recréer des appartements traditionnels.

Il y a deux options finalement. Soit la construction ne change pas, comme vous l’avez proposé dans cette opération, soit l’espace peut être reconfiguré en fonction de la typologie des nouveaux ménages.
Oui, on doit le prévoir, mais sans pouvoir le gérer réellement. De toute façon, dans ce type de projet qui s’élabore collectivement sur huit ans environ – ici entre 2010 et 2018 – 30% des gens qui étaient présents au début ne sont plus là.
Ces changements interviennent dans tous les appartements et aussi au sein des clusters. L’idée est donc de remplacer les ménages qui s’en vont par d’autres qui ont une configuration similaire. Prenons l’exemple le plus simple, celui d’un appartement inter­générationnel, dans lequel on trouve une famille et les grands-parents. Lorsque les grands-parents partent, ils sont remplacés par d’autres personnes âgées. Cela veut dire que cet appartement intergénérationnel ne concerne pas forcément la même famille. 

Est-ce la CODHA qui arbitre ces changements?
Ils sont d’abord arbitrés par les habitants eux-mêmes, puis par la CODHA. Evidemment, les habitants de chaque appartement ont un droit de vote pour les nouveaux arrivants, comme dans une colocation. Ils font passer des entretiens. Ca fonctionne par affinités. Cet immeuble a le potentiel d’une petite «ville». On peut changer d’appartement tout en restant dans le même cadre social. Des échanges ont déjà eu lieu entre les différents appartements et clusters avant même qu’ils ne soient construits.

Ces appartements communautaires n’ont-ils pas introduit une dynamique un peu particulière dans les discussions sur les typologies? Comment se passe l’adaptation du plan? Est-ce que la concrétisation dans l’espace du désir de communauté a des influences sur le groupe et inversement?
Lors de la première séance, nous avons présenté les typologies séparément et expliqué leurs potentiels, leurs spécificités et les scénarios d’appropriation que nous avions imaginés. Nous avons montré que certains appartements fonctionnaient plus pour les seniors car ils étaient sur un niveau et de plain-pied avec la cour. D’autres scénarios étaient pensés pour les familles recomposées, monoparentales ou intergénérationnelles. Ensuite, les gens se sont inscrits selon leurs propres critères et nous ont fait changer des choses sur cette proposition de base. Ils avaient déjà choisi leur appartement en fonction de son emplacement dans l’immeuble et selon notre proposition de scénario.

Quels sont les éléments du plan des appartements communautaires qui pouvaient être adaptés ou discutés par le groupe des futurs habitants?
Les habitants pouvaient choisir d’avoir une «chambre d’accueil», ce qui leur permettait de former une suite avec trois espaces, plutôt que deux avec une chambre en plus. Ils pouvaient également définir l’emplacement de la cuisine parmi plusieurs propositions, et intervertir le salon et la salle à manger, chose qui est toujours possible aujourd’hui dans tous les appartements. 
Les typologies polymorphes donnent toujours la possibilité d’utiliser leurs «méandres», leurs zones «résiduelles», mais surdimensionnées, pour en faire un petit bureau, ou un autre type d’espace qui permet de privatiser encore l’entrée de chaque suite.
Enfin, il y a ces «pièces blanches», que l’on peut s’approprier de multiples manières. Elles peuvent être rattachées à un appartement avec une fonction spécifique ou à la logique commune de l’immeuble. Elles peuvent devenir un sas d’entrée pour un appartement qui appartient au cluster par exemple, ou un bureau, ou la chambre d’un adolescent qui souhaite vivre de manière semi-autonome. Je crois beaucoup à ces espaces «non programmés», qui sont dans des situations extrêmement spécifiques, voire inédites, dans l’intériorité de l’appartement, de l’immeuble. Ils ne donnent jamais sur l’extérieur, mais sur un patio. Ils sont toujours en lien avec d’autres espaces dans une forme d’habitat très dense, et leur positionnement a quelque chose de résiduel et de peu usuel, de l’ordre de l’atelier.

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