L’ABC de la guer­re

L'ARCHE réédite l'ouvrage de Bertolt Brecht

Publikationsdatum
30-11-2015
Revision
04-12-2015

C’est un curieux carnet de bord que tient Bertolt Brecht, pendant son exil entre 1935 et 1947. Il est constitué de coupures de presse, auxquelles il adjoint des quatrains qui commentent, détournent ou dénoncent le sens premier des images. Il appelle cela l’ABC de la guerre et l’édite en 1955 en Allemagne de l’est où il résidait, contre l’avis de la censure qui le juge bien trop pacifiste.
Réfugié d’abord dans les pays scandinaves puis en Californie, Brecht scrute une guerre lointaine mais qui le concerne. Pour Brecht, comme pour la plupart des Américains, la guerre se résume à une expérience médiatique. Conscient de la vacuité des représentations qui lui parviennent, il s’efforce de les faire parler par un acte poétique.

Sa condition n’est pas sans rapport avec la nature furtive de la nouvelle guerre qui  obsède l’Europe depuis le 13 novembre. Comme cela fut le cas pour Brecht, l’expérience de la guerre est vécue pour la plupart sur le mode du spectacle. L’ennemi a disparu. Devenu trop lointain ou trop proche, il refuse d’être assigné à sa place d’ennemi conforme.  Il faut un tour de force dialectique des politiques pour nous persuader que nous sommes bel et bien en guerre. Le mot même de guerre résonne comme un pléonasme dans la bouche de ceux qui l’annoncent.

Les images envahissent la place laissée vacante par l’ennemi furtif. Elles deviennent, par la force des choses, le mauvais ciment qui peine à faire tenir ensemble le réel.  Pourtant, rien ne peut être pensé en dehors de la déferlante d’images et de séquences qui nous envahissent.

L’histoire se résume dorénavant à ce bref instant où l’image circule, mais n’a pas encore été vue. Les quelques dizaines de minutes,  le soir du vendredi 13 novembre,  pendant lesquelles les Parisiens ne savaient pas encore ce qui leur était tombé sur la tête.

A l’instar de ces Israéliens qui guettaient en 2014 sur les collines de Sderot  les signes d’une agression capable de justifier leur effort de guerre, nous cherchons l’armée derrière la brutalité. Les images ne seront d’aucune aide.  Par contre, le traitement que leur inflige Brecht, celui de les retourner contre leur propre vacuité, pourrait constituer une voie pour commencer à les faire signifier.

A Saint-Denis, le mercredi 18 novembre, il y avait deux armées : celle des gens d’armes, appelés en surnombre à combattre une chimère et celle des photographes mobilisés pour lui donner corps. La récolte a été triste. Pas de corps cette fois ci, juste un matelas criblé de balles et un immeuble éventré. 

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