La re­nais­sance du tram­way, un dé­sir de ville?

Les nouvelles lignes de tramway fleurissent à travers toute l’Europe, en Suisse aussi. A Berne, Genève et Zurich, des extensions de réseaux ont été mises en service, et Lausanne s’apprête à accueillir à nouveau ce moyen de transport. Quels sont les atouts du tramway? Permet-il de favoriser l’utilisation des transports publics? Permet-il de rendre les centres urbains plus désirables pour les activités de loisirs et l’habitat?

Publikationsdatum
26-02-2013
Revision
23-10-2015

Depuis les années 1980, plus d’une cinquantaine de nouveaux réseaux de tramway ont vu le jour à travers toute l’Europe. La tendance a d’abord été timide, puis a suivi un rythme nettement plus soutenu depuis les années 2000, au point qu’il n’est sans doute pas exagéré de parler de véritable mode. Le phénomène est né en France et c’est dans ce pays que le tramway s’est le plus développé durant les deux dernières décennies, passant de trois réseaux en 1983 – à Lille, Marseille et Saint-Etienne – à une exploitation de 24 réseaux en 2012.
Pourquoi un tel engouement? Le tramway «moderne», tel que reconstruit dans de nombreuses agglomérations européennes, s’inscrit dans un double mouvement, visant à favoriser l’utilisation au quotidien d’autres moyens de transports que l’automobile, mais aussi à requalifier les centres urbains en vue de les rendre plus attrayants à fréquenter et à habiter. Dans la plupart des villes dans lesquelles il a été réintroduit, le tramway s’est ainsi accompagné d’importantes requalifications urbanistiques dans les centres, et d’un partage de la voirie favorable aux transports publics (Laisney 2011).

Plus d’usagers, plus d’habitants


Des recherches sur l’introduction du tramway dans des réseaux de transports en France montrent que le tram permet d’augmenter le nombre d’usagers des transports publics. Pour les voyageurs, les atouts du tramway sont en effet nombreux: une vitesse nettement plus grande que les bus (généralement plus de 18 km/h), des fréquences de passages élevées toute la journée, le soir et le week-end, une douceur de roulement permettant des activités comme lire ou envoyer des sms, des cheminements à pied généralement de qualité pour se rendre aux arrêts (du fait des efforts entrepris pour améliorer la qualité de l’espace public), ainsi qu’une mémorisation facilitée du trajet des lignes, grâce aux rails (Kaufmann 2000).
En France, dans de nombreuses agglomérations ayant réintroduit le tramway, on note également un accroissement du nombre d’habitants dans les villes-centres. D’une part il apparaît que le tramway favorise les investissements immobiliers en ville grâce à la requalification des espaces publics qui l’accompagne; d’autre part il contribue à rendre plus désirable le fait d’habiter en ville, car il permet de limiter la dépendance de l’automobile (Gagnière 2012, Kaufmann 2011).

Les clés du succès


L’effet de l’introduction du tramway sur les usages est pourtant très variable. Les statistiques d’utilisation des transports publics mettent à jour des différences conséquentes suivant les agglomérations considérées. Ainsi, l’accroissement du nombre annuel d’usagers cinq ans après la mise en service du tramway sur l’ensemble du réseau varie entre +18% et plus de 50% (fig. 3). Ceci démontre que les liens entre la hausse de fréquentation des transports publics et l’introduction du tramway sont loin d’être mécaniques.
Une série de facteurs ayant trait aux relations entre l’offre et les dispositions de la population à l’utiliser expliquent ces différences (Gagnière 2012; Beaucire 2006). Le tram circule-t-il à une vitesse commerciale rapide (plus de 20 km/h, contre 14-16 km/h pour une vitesse faible)? La fréquence des passages en journée est-elle élevée (3-5 min.) ou plutôt faible (8-10 min.)? Existe-t-il un réseau de bus complémentaire qui offre de bonnes fréquences la journée, le soir et le weekend ou au contraire l’offre des bus ne couvre-t-elle pas l’espacetemps de l’agglomération? Le voyageur peut-il bénéficier d’une place assise la plupart du temps ou la saturation des lignes empêche-t-elle ce confort? Les pôles d’échanges sont-ils de bonne qualité (correspondances quai à quai, absence de flux routiers sur les lieux de correspondance) et la fiabilité des services, en termes de respect des horaires et de suppressions, est-elle assurée?
Si les réponses à toutes ces questions sont positives, les usagers sont en mesure de déployer leurs activités quotidiennes et leur mode de vie autour de l’utilisation des transports collectifs, qui jouissent dans ce cas-là en général d’une excellente image. En revanche, lorsque l’offre reste perfectible, le tramway n’est que peu approprié par la population et l’image des transports publics reste mitigé (Kaufmann et al. 2010).

En Suisse… et à Lausanne


Dans notre pays, les réseaux de tramways existants sont tous «historiques» et il s’agit d’un mode de transport beaucoup plus banalisé qu’en France par exemple. Sa vitesse commerciale se rapproche de celle des bus (les distances inter-stations sur les réseaux de trams ne sont pas très différentes de celles des réseaux de bus), et il se distingue du bus surtout par sa plus grande capacité de transport et par les avantages de confort procurés par le rail. En Suisse, les tramways s’inscrivent dans des contextes urbains où la qualité de l’offre des transports publics urbains est largement unifiée et permet aux usagers de se rendre à peu près partout. Il en résulte une utilisation intensive, tout particulièrement à Bâle, Berne et Zurich, et ceci malgré des vitesses commerciales relativement faibles (15-18 km/h).
Du fait de la continuité de la présence du tramway dans les villes suisses, ce dernier participe davantage qu’en France à l’identité urbaine, mais il n’a en revanche pas une image de mode de transport très moderne, notion importante pour la valorisation des transports en commun (Kaufmann 2000). En Suisse, le tram est un ingrédient parmi d’autres dans un système de transports publics urbains comprenant aussi des réseaux de bus et de trains (régionaux et de plus en plus souvent RER). De ce fait, son effet spécifique sur les stratégies de localisation résidentielles est moins net que dans des agglomérations françaises (Pattaroni et al. 2010).
Lausanne sera la première ville Suisse à réintroduire le tramway ex nihilo1: il s’agira d’un tramway à voie normale et un soin particulier sera porté aux aménagements urbains. En clair, il s’agira à maints égards du premier tramway «à la française» de Suisse. Le suivi de ses effets sera donc particulièrement instructif. Affaire à suivre…

Vincent Kaufmann est professeur d’analyse des mobilités et secrétaire général de la Communauté d’études pour l’aménagement du territoire (CEAT) à l’EPFL.

 

 

Bibliographie

[1] Beaucire F. (2006), Transports collectifs urbains: quelle contribution au développement urbain durable et par quels moyens?, Paris, Institut Veolia Environnement, 49 p.
[2] Gagnière V. (2012), «Les effets du tramway sur la fréquentation du transport public. Un bilan des agglomérations françaises de province», Revue Géographique de l’Est [en ligne], vol. 52 / 1-2
[3] Kaufmann V. (2000), Mobilité quotidienne et dynamiques urbaines – la question du report modal, PPUR, Lausanne
[4] Kaufmann V. (2011), Re-thinking the City, EPFL Press/Routledge, Lausanne/London
[5] Kaufmann V., Tabaka K., Louvet N. et Guidez J.-M. (2010), Et si les Français n’avaient plus seulement une voiture dans la tête?, CERTU, Lyon
[6] Laisney F. (2011), Atlas du tramway dans les villes françaises, Editions Recherches, Paris
[7] Pattaroni L., Thomas M.-P. et Kaufmann V. (2010), «Habitat urbain durable pour les familles», Cahier du LaSUR n° 17, EPFL, Lausanne

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