La pri­se de la bas­til­le

Editorial paru dans Tracés n°18/2012

La définition du terme « architecture » proposée par Georges Bataille (lire encadré ci-dessous) en 1930 dans la revue Documents est double, telle un oracle delphique.

Publikationsdatum
19-09-2012
Revision
19-08-2015

Elle dénonce dans un premier temps le lien structurel de l’architecture au pouvoir. De la prison au palais, de la pyramide au temple, la grandeur architecturale est une manifestation du pouvoir concentré. Que ce soit à Rome, Paris ou New York, on a construit à travers les âges pour asseoir et affirmer un certain pouvoir. Sauf que la définition de Bataille ne se résume pas à la dénonciation du rapport entre le souverain et l’architecte. 
En s’efforçant d’intégrer l’acte insurrectionnel, sa définition s’ouvre à une hypothèse toute autre. Le texte justifie l’inimitié populaire contre certains bâtiments hautement symboliques, comme la prison de la Bastille. Il prescrit leur destruction violente en dénonçant leur rôle répressif au sein de la société. Quand l’architecture devient le medium d’une tyrannie, sa destruction devient un acte justifié. 
Ce que cette définition a d’extraordinaire, c’est qu’elle parvient à étendre l’architecture à son contraire : l’anéantissement issu d’un soulèvement. Faire du débordement révolutionnaire un acte architectural n’est pas une simple légitimation de la violence, mais plutôt une incitation à penser le bâti comme un support de la vie publique. 
Les bâtiments qui nous entourent ne sont pas des récipients neutres, mais le résultat de prises de position d’ordre politique. 
On peut ainsi se demander si la déconstruction / reconfiguration du patrimoine moderne du 20e siècle va pouvoir se faire selon un raisonnement différent de celui, autoritaire, qui leur a donné lieu d’être. Les musées, les tours et les quartiers de bureaux sont les palais et les prisons des sociétés post-industrielles. La question qui se pose alors est de savoir si la mutation progressive de cette architecture va permettre une altération des rapports de pouvoir qui en découlent. Les bureaux du 21e siècle seront-ils moins hiérarchisés, plus ouverts sur la ville ? Le musée peut-il devenir un instrument de démocratisation de l’espace public ? Le centre commercial du 21e siècle sera-t-il une agora ou un décor fermé sur lui-même ?
Au-delà des grands gestes destructeurs qui bouleversent les équilibres, c’est bien de ces petites altérations de pouvoirs désuets qu’il pourrait être question.

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