La place de la Ga­re de La Chaux-de-Fonds, l'e­space ré­vé­lé

L’atelier frundgallina a livré fin 2015 les nouveaux aménagements de la place de la gare. Entre épure et démonstration formelle, ce projet, très simple en apparence, retrouve la géométrie de l’espace et révèle, par le vide, sa monumentalité.

Publikationsdatum
15-03-2017
Revision
21-03-2017

Depuis le 14e étage de la tour Espacité qui domine La Chaux-de-Fonds, la grille de l’urbanisme horloger de la ville apparaît dans toute son évidence : un quadrillage implacable orienté sud-est/nord-ouest, calé sur le fond de vallée, qui se joue de la topographie. Les rangées de bâtiments massifs aux vastes toitures s’étagent dans la pente et dessinent la silhouette homogène de la ville, parfois interrompue par une tour qui trouve aussi sa place dans le plan. Les rues, les jardins et les allées ont peu à peu été colonisés par d’autres bâtiments plus petits, des garages ou des ateliers, qui perturbent la lecture de la grille, mais répondent à l’évidence aux besoins des habitants. Peu ou pas de places monumentales, ni de composition urbaine remarquable dans ce plan en damier, fonctionnaliste et égalitaire. L’espace public n’est pas sacralisé. Il est dans la rue, dans les jardins collectifs de chaque immeuble ou dans les bois et les parcs aux portes de la ville. Rare exception: la place de la gare, dont on distingue au loin les auvents tout neufs depuis notre poste de vigie.

La place réaménagée renoue avec l’idée de monumentalité. Une arrivée à pied depuis l’avenue Léopold-Robert, colonne vertébrale de La Chaux-de-Fonds, suffit à s’en convaincre. Une nappe d’enrobé bitumineux uniforme se déroule jusqu’aux façades imposantes des bâtiments qui cadrent la place : la gare au fond de la perspective, la poste à gauche et l’ancienne Chambre suisse de l’horlogerie à droite. Là où, auparavant, l’espace était encombré de multiples édicules, mobiliers et véhicules focalisant l’attention, le sol a été entièrement vidé, offrant les façades au regard, sans obstacles, et laissant prendre la mesure de la monumentalité des bâtiments et de l’espace qui les lie.

Sur ce sol qui ne s’exprime pas, ni par sa matérialité, ni par des différences de niveaux (tout est en pente douce, sans ruptures), et qui ne revendique rien d’autre que d’être un support lisse, un espace neutre, deux couverts sont posés de part et d’autre de l’entrée principale de la gare.

Très hauts, très fins, hérissés d’une forêt de piliers blancs, ces deux objets étranges sont à la fois graciles et – eux aussi – monumentaux. Aucune référence ici à une esthétique traditionnelle de gare routière, d’abribus ou de mobilier urbain, pas plus qu’aux couleurs ou aux matières présentes dans la ville. Les couverts assument la rupture. Ils viennent d’ailleurs, d’une autre temporalité et d’un autre lexique architectural. On pourrait rechercher cette esthétique rapportée du côté du Japon, de Sanaa ou de Jun’ya Ishigami, pour le blanc, la trame aléatoire et la finesse des poteaux. Mais encore dans cette manière de mettre en scène les silhouettes dans un espace volontairement neutre.

L’espace de la place est d’une grande clarté. Sans doute parce qu’elle s’organise très simplement, par grands volumes et surfaces : les deux couverts blancs, la masse boisée du parc de la gare, le sol uniforme en enrobé, les façades des bâtiments anciens, sans que la perception de ces surfaces ne soit perturbée par des objets ponctuels et dispersés. A hauteur d’œil, le regard file vers les perspectives et à travers les forêts de piliers blancs. Aucune échelle intermédiaire n’interfère entre le sol et la sous-face des couverts située à six mètres environ: ni plantations basses, ni édicules, ni mobiliers, à l’exception de quelques bancs, candélabres et arbres isolés, d’une rangée de panneaux d’affichage. La gamme de couleurs elle aussi est réduite : le gris du sol, le blanc des couverts, le métal et le bois clair des mobiliers, le jaune des façades. L’ensemble de la place témoigne d’une aspiration à l’épure, à la clarté, pour retrouver les qualités de l’espace lui-même. Presque paradoxalement, le projet réactive l’austérité et la rationnalité de l’esprit de la grille par l’invention de deux objets spectaculaires et déterritorialisés dans le paysage de La Chaux-de-Fonds. Il semble également parvenu, par l’évidence et la force de son parti-pris architectural et urbain, à sublimer la complexité programmatique de ce type d’espaces publics multifonctions auxquels on enjoint à la fois d’être emblématiques, de gérer des flux multiples en toute sécurité, tout en étant faciles à entretenir et durables.

 

Intervenants

Maître de l’ouvrage: Ville de La Chaux-de-Fonds
Architecte: frundgallina architectes fas sia
Ingénieur civil: gvh ingénieurs civils EPF-SIA
Architecte paysagiste: Paysagestion SA
Concours d’architecture 2011, projet 2012-2013, réalisation 2014-2015

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