«La mé­tro­po­li­sa­ti­on gé­an­te clas­si­que, à l'heu­re du nu­mé­ri­que, n'a ri­en d'u­ne fa­ta­li­té»

Entretien avec Lorette Coen

Publikationsdatum
30-08-2017
Revision
06-09-2017

La décision de présenter la candidature de la région lémanique pour l’organisation du congrès de l’Union internationale des architectes (UIA) en 2023 me paraît significative et importante à plusieurs titres dont voici les principaux.

La profession


L’initiative émane des architectes eux-mêmes; ils y mettent de l’élan, de la confiance, ils entendent porter le projet de bout en bout. Cet enthousiasme et leur capacité de réunir les forces et les appuis nécessaires indiquent la vigueur actuelle de la profession. Il n’en a pas toujours été ainsi.

L’histoire


Moteur de leur mobilisation: l’envie de réactiver et de renouveler le débat sur l’architecture et sur l’urbanisme contemporains. Raison pour laquelle ils se tournent d’abord vers l’histoire – les Congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM) fondés il y a quelque 90 ans à La Sarraz, les premiers pas de l’UIA à Lausanne, il y a près de 70 ans. Le terreau, affirment-ils, reste fertile.
A côté du domaine académique réservé que représente l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, les architectes manifestent vigoureusement leur volonté de ramener la réflexion sur leur terrain et de l’impulser.

Pour voir l'ensemble de la série Insubmersible, lire l'entretien de Patrick Heiz de Made in:  «Ce qui était hier l’agglomération est aujourd’hui la nouvelle commune.»

La métropole


Ils se placent sous le signe de la métropole. Appellation indécise, à laquelle toutes sortes d’adjectifs ont été abusivement accolés, exploitée tantôt par les universitaires, tantôt par les politiciens désireux de se profiler. Proclamation paradoxale tant la région lémanique ressemble peu à ce que l’on entend communément par ce terme.
Grossièrement dit : la métropole lémanique se formerait progressivement à mesure que les zones urbaines se densifieraient et, pour finir, se rejoindraient jusqu’à ne former qu’une seule entité. Je lui oppose, pour ma part, le modèle issu de la réalité actuelle, telle qu’on l’observe sur les rives suisse et française du Léman. Où la métropolisation géante classique, à l’heure du numérique, n’a rien d’une fatalité.

L’urbanité lémanique


L’urbanité lémanique se caractérise par l’absence d’agglomérations importantes et, Genève et Lausanne mises à part, par un collier de villes de dimensions modestes et une poussière de cités autrefois agricoles qui se convertissent rapidement aux activités tertiaires. Une résistance à la dissémination des résidences à travers la campagne – le fameux mitage du territoire – tente de s’imposer par la réglementation. En revanche, le phénomène des banlieues dégradées a été évité. Actuellement, les périphéries et les agglomérations désindustrialisées, comme l’Ouest lausannois par exemple, font l’objet de réorganisations concertées, dûment soutenues par la Confédération.
Parmi les particularités lémaniques figure un environnement exceptionnellement préservé. C’est d’ailleurs pour la protection des eaux du Léman qu’une coordination inter-gouvernementale franco-suisse a été inaugurée. Spécificités d’ordre économique et politique : la forte présence d’organisations et d’entreprises internationales. La mondialisation du secteur tertiaire s’y manifeste de manière puissante. Enfin, on constate un développement exponentiel d’institutions de formation et de recherche très avancées, ce qui induit l’implantation d’entreprises de pointe dérivées.
La région se perçoit comme un vaste laboratoire. L’espoir des initiateurs de sa candidature pour l’organisation du congrès de l’UIA est d’en faire aussi un laboratoire pour l’architecture. C’est tout le sens du projet Culture du bâti (CUB), espace d’exposition et de médiation dédié à la culture du bâti, lancé à Lausanne.

La métropole lacustre


Dès lors, la métropole lacustre sur le pourtour du Léman peut être envisagée comme un projet humain et urbain, un mode de vie et la proclamation d’une urbanité internationale réunie autour de l’eau, puisant paisiblement son unité dans son paysage. Sous l’appellation paradoxale de métropole lacustre, une vision se dessine, plus large et plus originale selon moi que l’improbable et quelque peu forcée métropole lémanique. Cette vision se rapporte à une région favorisée par l’histoire, actuellement en situation économique et culturelle particulièrement prospère, dans laquelle les arts et les métiers du bâti connaissent un essor exceptionnel.
Pour le congrès de l’UIA, voici déjà une proposition et un programme.

Lorette Coen est essayiste, journaliste et commissaire d’exposition