La cus­to­mi­sa­ti­on des bâches de chan­tier à Pa­ris

Si la renommée de certains lieux – tels Piccadilly Circus ou encore le célèbre Times Square new-yorkais – est générée par la surabondance des signes visuels et publicitaires, Paris demeure résolument une ville-musée visitée pour ses longues perspectives bien tracées, ses façades d’époque et ses nombreux monuments historiques. Néanmoins, depuis que l’utilisation des bâches comme supports publicitaires est autorisée par la loi Grenelle II, publiphobes et conservateurs patrimoniaux devraient songer à reconsidérer ces dispositifs de chantier comme des œuvres d’art urbain nouvelle génération.

Publikationsdatum
25-06-2013
Revision
23-10-2015

Régi par les articles L.132-1 à 5 du Code de la construction et de l’habitation, le ravalement des immeubles parisiens est soumis à une obligation légale et décennale. En guise d’explication, le site internet de la Mairie de Paris avance trois points : ravaler permet de valoriser votre patrimoine, participer à la beauté de votre ville et, pour mieux convaincre les réticents, faire des économies d’énergie.
Cette action citoyenne et conservatrice met à contribution les copropriétés en augmentant ainsi les charges à payer. Alors que l’économie ne cesse de flancher, trouver des financements pour maintenir la beauté de Paris est devenu impératif. L’affichage publicitaire, largement décrié par les associations de protection de l’environnement, semble pourtant être la solution adoptée par le Parlement, en juillet 2010, dans le cadre de la loi Grenelle II.

Un cas exemplaire


Paris, place des Vosges, une étape inévitable dans l’itinéraire des touristes partis à la découverte des hauts lieux de la capitale. Agés de plus de quatre siècles, les ancêtres de briques dressés sur des arcades de pierres et chapeautés de combles ardoisés cernent celle que l’Histoire nomma jusqu’en 1848 « place Royale ». Si les pavillons royaux, vestiges du passé, ont vu défiler du haut de leurs fenêtres les plus grandes tendances du prêt-à-porter, ce sont désormais leurs façades qui servent de modèles aux nouveaux couturiers urbains : les afficheurs publicitaires.
Victime d’un incendie ravageur en mai 2011, le numéro 22, situé à l’angle de la place des Vosges et de la rue du Pas-de-la-Mule bénéficie actuellement d’un traitement de choc pour lui insuffler une seconde jeunesse (image). Emmitouflé dans une bâche de chantier dissimulant ainsi l’opération chirurgicale, cet immeuble classé se transforme, pendant la durée des travaux, en spot publicitaire. Tandis que les combles et les arcades du rez-de-chaussée font l’objet de déroutantes reconstitutions grandeur nature de l’existant en volume, les deux étages sont quant à eux prisonniers derrière une affiche faisant la promotion des derniers incontournables high-tech. Si le visuel présenté ne convainc pas les passants, l’inscription en bas de la bâche « contribue au financement de la rénovation de l’immeuble » justifie, voire excuse cette mise en scène. Clin d’œil humoristique en réponse à la loi Grenelle II limitant – ou autorisant en fonction des points de vue – à 50 % l’utilisation des bâches de chantier à des fins publicitaires, ce message pourrait bien proliférer sur les échafaudages parisiens. Pourtant, la customisation des bâches de chantier ne date pas d’hier. 

La bâche artistique


Lorsque le comité des travaux de transformation de la gare d’Orsay en musée lança, il y a trente ans, l’idée d’emballer l’échafaudage d’une toile artistique, ils espéraient simplement créer un évènement exceptionnel permettant de dissimuler les désagréments du chantier. A l’instar des travaux de Christo qui empaquetait à la même époque le célèbre Pont-Neuf d’un polyester doré, l’actuel Musée d’Orsay se vit revêtir d’un manteau de toile géant improvisé en quelques semaines par l’artiste Jean Vérame, jusqu’alors connu pour ses œuvres monumentales peintes dans le désert. 
En 1986, lorsque fut lancée l’heureuse initiative de ravaler l’Arc de Triomphe, la tentation fut grande de vouloir réitérer l’évènement. A son tour, le célèbre monument fut recouvert d’un immense drapé de 8200 m² aux couleurs de la France, commandé par l’Etat à l’artiste Catherine Feff (image). Idem en 1991 avec l’habillage de l’Eglise de la Madeleine. 
Exhibant ainsi au grand public la monumentalité de son potentiel d’expression artistique, la bâche de chantier commença alors à être reluquée par l’œil intéressé des afficheurs publicitaires qui s’imaginaient déjà multiplier par trois le cœfficient d’agrandissement de leurs affiches.
Au milieu des années 1990, le domaine de la communication se voit révolutionné avec l’arrivée de nouveaux outils technologiques. Peu à peu, l’impression numérique, en permettant de s’affranchir des contraintes matérielles et de repousser les limites créatives, remplace la peinture. Duplications à l’infini, déclinaisons en d’innombrables versions. Rien d’étonnant donc si tout un réseau de bâches publicitaires imprimées se développe sur les échafaudages des avenues les plus fréquentées de la capitale. En revanche, triste ironie du sort pour l’Etat français, qui, convaincu d’avoir trouvé une solution pertinente préservant l’environnement urbain durant les périodes de ravalement de ses monuments historiques, doit finalement lutter contre la prolifération de ces visuels hors norme sur l’ensemble des bâtiments ravalés.

La bâche publicitaire pour les monuments historiques


Il y a vingt ans – et elle l’est toujours –, l’idée initiée par les afficheurs de l’agence de communication Art Boulevard était innovante et leur argument lucratif ne manquait pas d’intérêt : les bâches publicitaires, en tant que source de revenu, peuvent contribuer à subventionner les travaux de ravalement. Pourtant, conformément à la loi du 29 décembre 1979 conjuguée à l’article 
L.621-29-8 du Code de l’environnement, les dispositifs publicitaires de cette envergure étaient formellement interdits dans la capitale. A ce moment-là, seules les zones dites de publicité élargie (Z.P.E) situées aux abords du périphérique autorisent les surfaces d’affichage publicitaire supérieures à 16 m2 sur l’ensemble des bâtiments. Faisant ainsi la joie des copropriétaires, certains immeubles furent constamment ravalés.
Puis, le 21 décembre 2006, malgré la prescription du Code de l’environnement interdisant toute publicité sur les monuments historiques, la loi accorda pour la première fois, dans Paris intra-muros, les interventions publicitaires sur les bâches de chantier pour aider à financer les travaux effectués sur ces édifices. Même si l’accueil de cette annonce avait fait l’objet de quelques grincements de dents de la part des publiphobes et des associations de protection de l’environnement, l’indéniable intérêt financier avait obtenu gain de cause auprès des législateurs. Pour tenter de mieux faire passer la pilule, 50 % seulement de la bâche furent autorisés à héberger des campagnes publicitaires. La partie restante, examinée par le service départemental de l’architecture et la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), devait offrir un visuel esthétique et compatible avec le monument. En 2008, le Grand Palais inaugura le grand bal parisien de la haute couture de chantier auquel participeront la Conciergerie (image 1, image 2), le Musée d’Orsay (image), l’Opéra Garnier, etc.

La bâche-enseigne pour le secteur tertiaire


Une fois cette brèche ouverte, il ne restait plus qu’à trouver le moyen d’étendre le champ d’application de cette loi à l’ensemble des bâtiments. A leur tour, les professionnels du secteur tertiaire, en cheville avec les agences de communication urbaine, usèrent de fins stratagèmes pour afficher, sur leurs propres lieux d’activités ou de commercialisation, des éléments visuels relatifs à leur entreprise pendant la durée des travaux.
Les bâches-enseignes apparurent alors dans la capitale. Dans le secteur, la société Athem1 a su tirer son épingle du jeu. Pour attirer l’attention des passants, un décor fictif, humoristique ou réel mettant en scène la marque de l’entreprise servait de toile de fond. De la tablette de chocolat hors norme (image) au fidèle trompe-l’œil de la façade en chantier (image), en passant par l’illusion d’un bâtiment déformé par des effets de distorsion, tous les subterfuges étaient bons pour se mettre en scène et promouvoir la renommée des marques durant les travaux. Si ces décors éphémères, déroutants et originaux furent plutôt bien accueillis par la municipalité et le public, le montant élevé de leurs factures le fut nettement moins par les entreprises. Les bâches-enseignes demeurent du reste encore des créations urbaines d’ordre exceptionnel.

La bâche publicitaire pour tous


Avec la loi Grenelle II révisée par le décret du 30 janvier 2012, l’intérêt des recettes publicitaires obtint une nouvelle fois gain de cause auprès du Parlement. L’installation de publicité sur les bâches de chantier visant à financer les travaux de ravalement est désormais admise sur tous les bâtiments. Dès lors, la publicité sur les échafaudages est autorisée à 50 % de la surface sur la façade d’immeubles privés concernés et jusqu’à 100 % quand les travaux réalisés présentent une valeur énergétique. A noter aussi que, dans le cas d’immeubles institutionnels, il est désormais possible de mettre une bâche avec sa propre publicité sur 100 % de la surface sans conditions. Ce dernier point marquera-t-il la fin des décors de chantier ?
Largement décrié par les publiphobes, le récent décret est, à l’inverse, favorablement reconnu et apprécié des professionnels de l’immobilier et des copropriétaires. Alors pourquoi, place des Vosges, l’afficheur met-il en exergue cette inscription « contribue au financement de la rénovation de l’immeuble » sur sa bâche publicitaire ? Est-ce une volonté soutenue par la copropriété de remercier le Parlement de lui offrir généreusement cette surface ? L’afficheur dénonce-t-il au contraire la limitation à 50 % de la superficie autorisée pour cet affichage ? Ou bien est-ce l’objet d’une charte ministérielle en faveur de la publicité qui avait déjà été discutée en 2007 lors du précédent décret sur les monuments historiques ? Pour le moment, force est de constater que les passants attachent plus d’importance au contenu de ce message qu’au visuel publicitaire. Quant aux 50 % libres, ils encouragent la création de décors éphémères dans la capitale. Tout nouveau, tout beau. Ces réactions sont peut-être imputables à la magie de la nouveauté.

 

Note

1 Voir entretien avec Antoine Locqueville. 

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