Jeux in­ter­dits

Éditorial de Tracés n°20/2011

Publikationsdatum
12-01-2012
Revision
19-08-2015

Les aires de jeux sont nées de la guerre. A Londres, Manchester, et dans la plupart des villes britanniques qui avaient souffert des bombardements aériens, on aménage dès 1944, des espaces de jeu pour les enfants sur les sites détruits.
Cette réconciliation de la ville menaçante et meurtrie avec ses plus jeunes habitants va se poursuivre tout au long de la reconstruction. La présence cathartique des enfants dans les champs de ruines, va se généraliser dans toute l’Europe. 
Elle va devenir, à partir des années 50, un des principaux arguments dans le renversement de l’orthodoxie fonctionnaliste de la charte d’Athènes.
Dans les années 60, le jeu, revisité par la contre-culture, devient vecteur de lutte et de résistance. 
C’est le cas des situationnistes qui s’approprient l’idée du jeu pour en faire une arme politique. Ils prônent la transformation de la ville matérialiste et productive en terrain de jeu géant. La dérive, les cartographies psycho-géographiques, les détournements de tout genre, sont des radicalisations de cette reconquête pacifiste et citoyenne de la ville qui s’effectue après la guerre. Les enfants des gravats de 45 deviendront la jeunesse politisée et transgressive de 68.
Les adeptes de Guy Debord pressentaient l’arrivée de la société des loisirs. Ils pensaient pouvoir la contrer en instaurant une nouvelle communauté fondée sur la créativité et le jeu. Aujourd’hui la cité où le jeu détermine tous les rapports humains existe. Elle ne s’appelle pas New Babylon, mais Disneyland et le prix d’entrée y est de CHF 85.– par personne.   
Non seulement les situationnistes ne sont pas parvenus à arrêter la marche forcée vers la société spectaculaire marchande, mais au dire d’Eyal Weizman (lire A travers les murs, l'architecture de la nouvelle guerre urbaine), les jeux situationnistes seraient très prisés des tacticiens israéliens dans leurs efforts pour mater la rébellion palestinienne. Les jeunes officiers de Tsahal apprennent à déconstruire le tissu urbain palestinien en s’inspirant des textes de Gilles Deleuze et des stratégies de Guy Debord.
Le jeu dans la ville serait-il né de la guerre pour y retourner ?

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