In­gé­nieurs in­vi­si­bles

Editorial paru dans Tracés n°22/2014

Publikationsdatum
19-11-2014
Revision
10-11-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Les difficultés rencontrées depuis près d'un an maintenant pour recruter un collaborateur susceptible de renforcer la couverture de l'ingénierie au sein de TRACÉS méritent qu'on revienne sur le rôle et l'image des ingénieurs civils dans notre société. En d'autres termes, comment expliquer l'écart phénoménal entre l'omniprésence de notre profession dans le monde moderne (par exemple dans les domaines essentiels des transports ou de l'énergie) et sa quasi absence de médiatisation? Des voix discrètes, mais toujours plus nombreuses, se font entendre pour dénoncer une surreprésentation de l'architecture au sein de notre revue, au détriment de l'ingénierie.

Pour comprendre ce prétendu déséquilibre, il est sans doute utile de rappeler que, paradoxalement, c'est le développement des méthodes d'analyse des structures qui, en créant un domaine de compétence spécifique, est à l'origine d'une séparation marquée mais artificielle entre les tâches des ingénieurs et celles des architectes. Si la spécialisation qu'a engendrée cette séparation est à l'origine de progrès considérables dans le domaine de la construction, elle s'est malheureusement traduite par une forme d'asservissement des ingénieurs, qui ont progressivement accepté le rôle souvent obscur consistant à rendre possible les « créations » de leurs collègues architectes.

Pourtant, cette opposition caricaturale s'explique aisément si on analyse le cadre et l'échelle de créativité des ingénieurs. En effet, c'est surtout au moment de la réalisation, par la mise au point de solutions techniques, que cette créativité se manifeste. Avec pour conséquence qu'elle est en grande partie masquée par le résultat final: par-delà des jugements forcément contrastés que provoque un ouvrage comme le Rolex Learning Center de l'EPFL, combien de visiteurs ou utilisateurs savent que ses coques sont soutenues par des arcs pointant vers le ciel? Pour prendre un exemple plus modeste, quels futurs utilisateurs du CEVA sauront que les parois de la halte Carouge-Bachet sont soutenues par des poutres Preflex?

Le choix de ces deux exemples n'est pas fortuit, puisqu'il tend à démontrer que la créativité de l'ingénieur s'exprime quotidiennement dans des cadres et sur des échelles variés. Finalement, ce ne sont pas les exemples qui manquent, mais plutôt la capacité (la volonté  ) des ingénieurs d'en rendre compte par des mots simples et de faire partager le côté souvent brillant de leur solution. Une difficulté dont les architectes ne semblent en revanche pas souffrir...

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