Ho­ly shit

Au détour du parcours de Genève, villes et champs, le promeneur se retrouve face au Jardin digestif, une installation qui remet en question le tabou social du lieu d’aisance, tout en proposant une nouvelle façon d’appréhender les cycles de production, consommation et élimination

Publikationsdatum
21-08-2014
Revision
25-10-2015

Holy Shit. C’est ce qu’indique l’inscription lumineuse sur le petit cabanon à deux pans de l’installation Jardin digestif, présentée au parc des Evaux à Onex, dans le cadre de Genève, villes et champs (voir article lié).

Le ton est donné


Le pavillon, qui abrite des toilettes sèches, trône fièrement au bout d’une allée ceinte de part et d’autre de poteaux entre lesquels s’égrainent fanions colorés et lampions. Le long de cette passerelle menant au cabinet d’aisance, le promeneur croise tables de pique-nique et bacs en bois où s’ébattent de généreux tas de compost en cours de maturation. On trouve cinq types de compost issu de déchets ménagers, répartis « chronologiquement » le long de l’allée – les plus récents étant les plus proches de la cabane et les plus anciens les plus éloignés. Lorsque la décomposition est suffisamment avancée pour produire un engrais organique acceptable, une profusion de cucurbitacées tapageurs, tels que le pâtisson panaché ou encore le giraumon turban1, déborde des bacs.
On les mangera cet automne sur les tables de pique-nique devant le cabanon.
Consommation, déjection, maturation, fertilisation, production, et à nouveau consommation. Voici le cycle que le « Groupement pour le plaisir à toutes les échelles »propose. Cette équipe, constituée d’architectes et de paysagistes, a travaillé sur ce projet dans le but de questionner notre rapport aux techniques agricoles alternatives. Selon eux, la maîtrise de celles-ci « sera le facteur déterminant qui permettra au monde occidental de survivre à son déclin actuel »3.
Le paradigme de consommation excessive que nous adoptons est aggravé par un système d’élimination catastrophique. En effet, notre société se retrouve dans un modèle dit de cycle ouvert : les nutriments de la terre sont transmis aux productions agricoles, avant de passer dans notre assiette puis dans notre corps. Mais ensuite, au lieu de réintégrer la terre, les nutriments sont évacués par les canalisations et envoyés dans les cours d’eau. Ce non-retour au sol provoque une perte qui doit être compensée par des engrais chimiques. Le Groupement milite donc sur deux fronts : la limitation de la pollution des eaux et la promotion de la fertilisation naturelle des sols. La démarche du Jardin digestif se veut humoristique, originale, fonctionnelle et – c’est à saluer – capable de s’autogénérer. Sa dégénérescence influe positivement sa croissance, et vice-versa. En effet, dans le cas du cabanon Holy Shit, on pourrait presque parler d’une machine organique autonome, puisqu’elle s’auto-alimente et s’inscrit dans une temporalité cyclique, et donc infinie. Voici donc un jardin qui tranche avec le jardin classique, qui n’a pour finalité que d’exister en tant que tel, avec éventuellement la possibilité de donner des fruits, et dont le moment de grâce se trouve dans la floraison et non dans la décomposition.
Avec le Jardin digestif, floraison et décomposition sont deux moments d’égale intensité, qui s’enrichissent mutuellement de par l’aspect cyclique du processus. Cette question du recyclage et de l’énergie renouvelable va dans le sens d’une volonté politique de penser l’idéal de l’urbanité de demain comme un cycle énergétique clos. Un milieu dans lequel les pertes ne seraient pas considérées comme telles, mais au contraire comme des moyens de poursuivre le processus pour qu’il ne s’arrête jamais.
La finesse avec laquelle le Jardin digestif lie humour, mise en scène et utilité publique fait de lui un de ces trésors que les événements comme Genève, villes et champs mettent au jour. Et que l’on espère voir proliférer avec autant d’ardeur que des cucurbitacées en pleine poussée estivale.

Camille Vallet est étudiante en architecture à l’EPFL. Elle effectue actuellement un stage à la rédaction de TRACÉS.

 

 

Notes

1. Voir la liste des plantations exposée sur www.geneve-villesetchamps.ch (site officiel de la manifestation).
2. Ce groupement est composé de Marie Brault (architecte), Béatrice Carroz (architecte-paysagiste), Richard Fulop (architecte), Maxime Gobet (architecte-paysagiste) et Lisa Morand (performeuse).
3. Citation tirée de www.geneve-villesetchamps.ch

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