group8 et La­ca­ton & Vas­sal à Chê­ne-Bourg

Les deux bureaux sont les lauréats des concours d’architecture pour la dernière halte suisse du CEVA

Publikationsdatum
11-02-2015
Revision
25-10-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Comme nous l’avions présenté dans TRACÉS n° 22/2014, le grand projet d’infrastructure ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (CEVA) a été conçu comme un outil de la fabrique urbaine. Les autorités cantonales, municipales et les CFF profitent des opportunités foncières produites par ce projet pour structurer la croissance urbaine. L’objectif est de densifier autour des cinq stations qui rythment le trajet de la gare Cornavin à celle d’Annemasse. 

La halte de Chêne-Bourg en est un parfait exemple. Dernière station suisse du tracé, elle a fait l’objet d’un concours d’espaces publics en 2013, d’un nouveau plan localisé de quartier accepté en juin de la même année et enfin de deux concours d’architecture remis en janvier dernier et qui ont vu group8 remporter le lot A et Lacaton & Vassal architectes le lot B.

Les deux concours ont été lancés conjointement en mars dernier, l’un par les autorités cantonales pour le compte de la Valorisation Immobilière Ethique SA et l’association Nicolas Bogueret et l’autre par les CFF Immobilier, sur la base d’un plan de quartier dont les intentions sont peu claires et les dimensions des bâtiments à concevoir contraignantes (lire entretien ci-dessous). Au pro­gramme du lot A, des logements subventionnés et libres, des PPE, une mixité intergénérationnelle (logement pour étudiants et personnes âgées) et un rez-de-chaussée activé par des surfaces commerciales. 

Pour le lot B, des bureaux aux cinq premiers étages, un parc de logements constitué de 3, 4, 5 et 6 pièces en loyer libre au-dessus, et au rez-de-chaussée des surfaces commerciales et les communs. Le maître d’ouvrage a insisté pour que l’accès aux bureaux se fasse par une entrée et un ascenseur séparés.

La cohérence entre les projets a été ­assurée par les membres professionnels et le président des jurys qui ont officié pour les deux concours. Pascal Vincent, du bureau Aeby et Vincent, président des deux jurys, a su faire émerger une lecture homogène du PLQ : une plateforme affranchie du tissu bâti existant et dont les futurs bâtiments doivent s’identifier à des objets « autonomes » et périurbains (lire entretien ci-dessous).

Les deux concours ont suivi la même procédure de concours ouvert avec présélection. 

Porosité, rigueur et intégration


D’abord prévu d’un seul tenant – une barre infranchissable de 140 mètres de long – par un premier plan localisé de quartier remis en question suite à de nombreuses discussions, ce sont deux bâtiments séparés d’une césure oblique qu’ont dû proposer les dix bureaux retenus pour le lot A (A1 et A2). Comme s’il voulait souligner l’absurdité du PLQ initial, group8 a renforcé la distinction entre les deux bâtiments par une faille orthogonale et amplifié la porosité nord-sud par de nombreux passages. Le projet se démarque par le travail du pignon sud-est. En le tranchant à vif, group8 a habilement intégré le bâtiment aux espaces publics prévus. Comme le souligne le rapport du jury, le projet « invite les piétons à parcourir la nouvelle rue » notamment par une promenade couverte en façade sud. 

Les membres du jury insistent également sur la grande qualité du plan. Les logements, tous traversants, sont ­organisés sur la base d’une distribution en long et d’un noyau sanitaire qui structure l’espace. Des cloisons mobiles assurent la flexibilité des appartements et « expriment une nouvelle sociabilité ».

Le jury regrette toutefois la similitude des logements pour étudiants et pour personnes âgées. Une meilleure intégration typologique des caractéristiques de ces catégories est nécessaire. Enfin, la rigueur géométrique de la façade qui reflète celle du plan, le travail soigné sur la modénature et celui proposé sur les circulations verticales centrales – des parois de briques, de verre et une verrière en toiture – sont appréciés par le jury.

La voie intermédiaire de Lacaton & Vassal


Si le lot A peut s’associer de manière ­évidente à l’architecture de qualité qui se développe en Romandie, le projet lauréat du lot B surprend tant par sa proposition formelle que par les typologies proposées. Pour appréhender à sa juste valeur cette tour, il est nécessaire de revenir sur l’approche sans concession du duo français Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal. Connu du grand public, notamment pour le Palais de Tokyo ou pour l’école d’architecture de Nantes, les Parisiens sont également reconnus pour la réflexion qu’ils mènent depuis longtemps sur le logement. Développée dans l’étude menée avec Frédéric Druot en 2004 et publiée en 2007 sous le titre « Les grands ensembles de logements. Territoire d’exception », puis concrètement mise en application dans leur participation au projet de la Cité manifeste à Mulhouse ou dans la revalorisation de la tour Bois-Le-Prêtre – bâtiment des années 1960 situé en bordure du périphérique nord parisien – leur réflexion part de deux axiomes : le logement doit être pensé au-delà des catégories et, s’inscrivant dans attitude miessienne, l’habitat doit se concevoir du dedans vers le dehors, comme une continuité spatiale de l’intérieur vers l’extérieur. 

Lacaton & Vassal, s’ils y sont souvent associés, réfutent le terme de logement social. Leur manière d’aborder le logement transcende également la différenciation entre l’individuel et le collectif. Pour eux, seul le plaisir d’habiter compte. Sortir des normes imposées à une certaine catégorie de la population est une condition sine qua non pour proposer des espaces de qualité. Comme ils le soulignent1, la conception de villas individuelles, notamment la maison Latapie réalisée en 1993 dans la banlieue de Bordeaux, a nourri leur réflexion sur le logement collectif. Comme dans une villa, les habitants d’une tour doivent aussi pouvoir profiter d’espace, de lumière, de vue, de relation avec l’extérieur et d’une liberté d’appropriation. A la notion de qualité de vie, qu’ils jugent être devenue un « outil passe-partout d’une logique économique et administrative »2, ils préfères celles de luxe : « l’expression d’une générosité jamais atteinte d’espace, de lumière et de confort dans des systèmes constructifs qui le permettraient »3.

Ce sont sans aucun doute ces principes qui ont guidé la conception de leur proposition pour la tour de 19 étages qui devrait voir le jour en 2020 aux abords de la halte CEVA de Chêne-Bourg. Pour offrir un maximum d’espace et de possibilités d’aménagement, le bâtiment occupe la surface maximale mise à disposition par le PLQ. Comme le souligne le rapport du jury, le système structurel à ossature simple (poteaux/poutres) libère la façade vitrée et offre ainsi une très grande liberté d’aménagement. Placée en retrait des étages d’habitation, cette dernière permet ainsi à tous les logements de disposer de balcons de diverses profondeurs, selon l’orientation. 

Reprenant le principe imaginé pour la réhabilitation de la tour Bois-Le-Prêtre, Lacaton & Vassal proposent un système de doubles panneaux coulissants qui donne la possibilité aux habitants de transformer le balcon en ­jardin d’hiver, offre des usages divers et par là même une certaine appropriation. Les jardins d’hiver, équipés de rideaux d’ombrage et de rideaux thermiques dans la partie chauffée des logements, devraient aussi contribuer au confort thermique naturel des appartements. Si la diversité typologique des appartements est importante – traversant pour les 4 à 6 pièces, d’angle pour les 3 pièces et duplex sur la façade est –, tous permettent une grande liberté d’usage. Les architectes sont convaincus des avantages du plan libre pour l’habitant. Il s’agit d’offrir au moins autant d’espace libre que d’espace attribué pour donner la possibilité aux occupants d’inventer la meilleure manière d’aménager leur espace, selon leurs envies, la saison, les conditions climatiques et les changements survenant dans leur vie privée ou professionnelle.

Le rapport du jury souligne également le dialogue subtil entre le rez-de-chaussée et le contexte. En effet, « les commerces sont organisés dans les angles sud du bâtiment, ils sont valorisés par un espace en double hauteur dans l’angle sud-ouest. Cette orientation leur offre une visibilité optimale depuis l’espace public ». 

Un regret subsiste : la philosophie de Lacaton ­& Vassal aurait pu se développer parfaitement si la mixité fonctionnelle ne s’était pas cantonnée à simplement mélanger bureaux et logements, mais s’était également ouverte à des services dédiés (bibliothèque, crèche, restaurant, etc.) pour les habitants de l’immeuble et du quartier. 

Il n’en reste pas moins que le très convaincant projet des Parisiens s’inscrit parfaitement dans leur envie de proposer une troisième voie. Refusant de condamner unanimement le logement individuel, la villa, et lui reconnaissant d’indéniables qualités d’espace, d’appropriation, de luminosité et de relation avec l’extérieur, Lacaton & Vassal déploient des formes intermédiaires reproduisant « les deux qualité de vie, l’intimité et le sentiment de confort des maisons individuelles et la dimension compact et collective des projets résidentiels »4.
 

Notes

1. Anne Lacaton, « More space, more light, more green : a new vision of social housing, interview with Denis Bocquet », Speech, 12/2014, pp. 238-252
2. Frédéric Druot F., Lacaton A., Vassal J.-P., Plus. Les grands ensembles de logements, territoire d’exception, GG : Barcelone, 2007, p. 41
3. Idem
4. Anne Lacation, Speech, 12/2014, p. 252

 

Entretien avec le président du jury Pascal Vincent du bureau Aebi & Vincent

Tracés : Vous avez présidé les deux jurys afin d’assurer une cohérence entre les choix des experts. N’aurait-il pas été plus simple d’organiser un seul concours ou d’avoir un jury unique ? 
Pascal Vincent : J’avais émis le souhait de n’avoir qu’un seul jury. Cela n’a pas été possible pour diverses raisons, notamment l’importance des mandats, la présence de deux maîtres d’ouvrage, et la règlementation SIA 142 qui interdit d’attribuer des mandats à deux lauréats différents dans une seule procédure.

Comment avez-vous fait pour assurer cette cohérence recherchée alors que la composition des jurys n’était pas la même ?
En fait, la cohérence a été cherchée dans les contraintes du contexte et principalement dans celles imposées par le plan de quartier. De qualité modeste, ce dernier fixe de manière extrêmement précise la hauteur, la largeur et la longueur des bâtiments ; par contre, la définition des espaces n’est pas claire. Les rues s’arrêtent brutalement et les places sont peu délimitées. Lors du premier jury, celui du lot A, nous avons pris le temps d’interpréter tous ensemble le plan de quartier et donc cibler nos attentes. Il était important pour nous de faire un choix : les nouveaux bâtiments devaient-ils s’inscrire dans la continuité du bâti existant et adopter une posture très urbaine ou, au contraire, s’affirmer comme des objets autonomes et périurbains posés sur une plateforme, cherchant une cohérence avec le périmètre de la halte CEVA qui se développe comme un espace public végétalisé et avec la gare de Jean Nouvel et ses dalles en plot de verre ? Le périmètre en question est un grand vide et nous avons opté – c’est un choix qui peut évidemment être discuté – pour la deuxième interprétation. J’ai ensuite expliqué et synthétisé cette position lors du jury du lot CFF qui s’est tenu peu après. A relever que la composition du jury n’était pas très différente. Celui des CFF était plus restreint mais l’ensemble des membres professionnels y ayant pris part avait au préalable participé à celui du lot A. La différence de la composition se trouvait sur le nombre de professionnels et des représentants des maîtres d’ouvrage représentés dans l’un ou l’autre des lots.

Cette option est en effet assumée dans le choix des lauréats...
Oui. Les deux projets lauréats ne donnent pas de réponse urbaine forte, mais leur expression est à mi-chemin entre le parc et l’urbanité. On a choisi des façades vitrées et légères plutôt que murales, des projets qui mettaient en place des espaces extérieurs importants avec des balcons, qui exprimaient une certaine porosité, qui dialoguaient avec cette plateforme fortement arborisée. A contrario, les jurys ont eu beaucoup de difficulté à lire et à comprendre les projets qui faisaient intervenir la notion de limite, de début et de fin. 

Au niveau du programme, les typologies des appartements semblent également avoir eu un poids prépondérant dans le choix des jurys.
Oui, bien évidemment. Et là encore, l’extrême rigidité du PLQ quant à la profondeur des bâtiments a été une contrainte déterminante dans les propositions faites par les candidats. La profondeur du lot A est d’environ 20 mètres et celle du lot B de 22 mètres. 
Réussir à amener de la lumière naturelle en orientation nord-sud dans de telles profondeurs relève de la quadrature du cercle. Là aussi les deux jurys ont choisi des projets qui ont opté pour le même système : deux noyaux centraux qui permettent des typologies traversantes et surtout d’éviter les appartements mono-orientés nord. Nous avons également favorisé des projets largement vitrés afin que le traversant puisse aussi être ressenti à l’intérieur des appartements. 

Dans le rapport du jury, vous soulignez que le projet lauréat du lot B – la tour – vous a particulièrement touché, terme assez rare dans les rapports de jury pour être relevé...
J’occupe souvent la fonction de juré dans des concours en Suisse et c’est vrai que le projet de Lacaton & Vassal m’a particulièrement touché. Ayant travaillé six ans au sein d’Atelier 5, je suis issu de l’école de Le Corbusier et j’ai donc tout particulièrement aimé la simplicité de ce projet qui lui permet de se libérer de toute contrainte formelle. Aucun essai de façade volontariste ou de style, mais une large place laissée aux habitants qui, à l’image des rues drapées italiennes, peuvent habiller le bâtiment et lui donner le visage très humain d’une véritable tour d’habitation. Cette absence d’artificialité et le fait qu’il n’y ait pas dans ce projet une tentative de répondre à une mode formelle m’ont particulièrement ému. Et cette expression va jusque dans les plans, les coupes, les axonométries qui répondent à chaque fois à un besoin et non à une forme. Le projet évite également le fonctionnalisme pur et dur ; Le Corbusier dirait que « c’est plus sorcier que ça ». C’est un heureux mélange entre la fonction et l’émotion. 

 

Jurys professionnels

Lot A
Pascal Vincent, architecte (président)
Pierre--Antoine Debarge, conseiller administratif, Commune de Chêne-Bourg (vice-président)
José Castro, architecte
Francesco -Della Casa architecte cantonal, Canton de Genève
Eric Maria, architecte
Daniele Di Giacinto, architecte
Marie Getaz, architecte
Pascal Gysin, architecte-paysagiste
Adrian Kramp, architecte
Christian Wiesmann, architecte

Lot B
Pascal Vincent, architecte (président)
Pierre--Antoine Debarge, conseiller administratif, Commune de Chêne-Bourg (vice-président)
Yves Bach, ingénieur
Francesco Della Casa, architecte cantonal, Canton de Genève
Daniele Di Giacinto, architecte
Marie Getaz, architecte
Christian Wiesmann, architecte

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