Grad­ski Trov­ski Cen­tar, le cent­re com­mer­cial de Skop­je

Le centre commercial GTC, réalisé par Zivko Popovski, incarne admirablement l’esprit du plan de 1965 de Kenzo Tange. Il est aujourd’hui menacé par une campagne d’«antiquisation»

Publikationsdatum
11-05-2016
Revision
12-05-2016

Le plan de Tange a placé Skopje sur la carte mondiale des utopies urbaines réalisées, comme Chandigarh ou Brasilia. Lorsqu’il accepte de travailler sur la reconstruction de Skopje, l’architecte japonais sait qu’il peut compter sur des Yougoslaves pour exécuter et compléter son projet. Zivko Popovski et Georgi Konstantinovski, adeptes du brutalisme, sont de ceux-là. C’est à l’époque où Skopje devenait un symbole de la solidarité internationale et de l’union yougoslave que Popovski, marqué par sa collaboration avec l’agence néerlandaise de Broek & Bakema, a conçu le GTC. Défenseur du concept de «Make do and mend» – une anti tabula rasa, dans l’esprit du «As found» de Peter et Alison  Smithson – il trouve dans ce projet une occasion extraordinaire de mettre ses idées à l’épreuve. 

Le projet du GTC s’inscrit dans le cadre d’un programme de reconstruction de Skopje, suite à un séisme qui avait causé la destruction d’une grande partie de son infrastructure commerciale. La construction du bâtiment a fait suite à un concours international. Parmi les 23 projets proposés, c’est celui de Popovski qui a été retenu. Konstantinovski, membre du jury, a déclaré à l’époque que le «comité a choisi ce projet en raison de la transparence complète du bâtiment et de la possibilité d’y accéder librement». Le projet prévoyait de densifier un ensemble de cinq tours réalisées en 1959, à proximité du centre. Il s’agissait d’investir le vide entre les tours d’habitation. Peu après son inauguration, le GTC a acquis une renommée régionale, à la fois comme lieu de rassemblement et symbole de la modernisation du pays. 

Popovski était convaincu que les espaces publics, comme les grands espaces ouverts, les passages et les patios, pouvaient servir de lieux de socialisation. C’est dans cet esprit qu’il conçoit son intervention: bien plus qu’un ouvrage architectural, le GTC est un projet de densification à l’échelle de la ville.

Densifier la ville fonctionnelle

Le GTC va se déployer dans l’espace interstitiel des tours, restées intactes après le tremblement de terre. Projet innovant par sa façon de s’édifier sur du bâti, le  centre commercial s’élève sur plusieurs niveaux et  transforme en place publique tridimensionnelle le no man’s land de l’urbanisme des barres et des tours. 

Des cinq tours de l’ensemble, trois étaient déjà reliées par un immeuble horizontal qui longeait le fleuve. L’intervention va consister à transformer cette barre linéaire en une dalle praticable. La circulation piétonne permet aux visiteurs d’accéder au centre commercial par des passages ouverts sur quatre côtés: le parc, la place principale, le fleuve Vardar et la station principale des transports en commun. Inspiré des bazars traditionnels, le GTC a été conçu, non pas pour piéger les visiteurs, mais pour être traversé. L’espace public couvrant 70 % de la superficie du GTC, les rassemblements spontanés y sont fréquents. La réussite du projet est immédiatement reconnue et s’inscrit parfaitement dans le plan de restructuration de Tange. C’est sur le site même du centre commercial  que la contestation du projet d’« antiquisation » va avoir lieu. 

« #IloveGTC »

Le gouvernement macédonien a récemment lancé un programme d’«antiquisation» du centre-ville. Ce vaste chantier implique à la fois de nouvelles constructions et la rénovation de façades dans un style qui se dit inspiré du baroque. En essayant de reconstruire un héritage national symbolique, cette opération altère le véritable  patrimoine de la ville de Skopje: le plan conçu par un architecte de renom, unanimement reconnu comme une réussite. 

C’est en réaction à ce saccage que fut lancée en 2015 par des architectes, des auteurs et des habitants, une campagne intitulée «#IloveGTC». L’initiative a été suivie de la pétition «Le GTC doit-il rester authentique?». 17 000 citoyens ont voté oui (95 % des votants), sans pour autant atteindre le quota nécessaire pour déclencher un référendum. Celui-ci était le dernier recours pour tenter d’infléchir le programme d’«antiquisation» mené par le gouvernement. 

Si elle n’est pas parvenue à ses fins, la mobilisation a tout de même réussi à freiner l’ardeur des partisans de l’«antiquisation», en faisant la preuve qu’il n’y pas de consensus sur cette intervention. L’expérience montre à quel point il est nécessaire que les citoyens prennent conscience et se sentent impliqués dans les ensembles urbains et les sites qui constituent leur héritage. 

L’initiative «#IloveGTC» est un exemple encourageant de ce type de prise de conscience. Ayant fait émerger une nouvelle masse critique à travers l’expression de sujets d’intérêt public, elle a été bénéfique du point de vue social. Le GTC a permis d’initier un discours sur la capacité des citoyens à influencer l’identité de la ville et son développement urbain. Il illustre comment l’opinion publique peut infléchir un développement urbain erroné.

Le GTC peut-il devenir une destination commerciale alternative? 

La crise économique qui a suivi l’éclatement de la Yougoslavie et le développement sans planification de nouveaux centres commerciaux de type mall, est en partie responsable du déclin du GTC. Beaucoup d’espaces commerciaux du centre, jadis prospères, sont aujourd’hui vacants. Ceux qui restent offrent des produits peu attractifs et les activités qui y sont proposées sont obsolètes. Cette situation est le résultat d’un programme d’urbanisme dépourvu de vision à long terme. Au lieu de conserver les bâtiments existants et de rechercher à leur donner une nouvelle fonction, on préfère en construire d’autres. Pourtant le GTC n’est pas dépourvu d’avenir.

Parfaite illustration du «Make do and mend», il pourrait devenir le lieu d’un développement alternatif. Transposé dans le contexte actuel, ce concept suppose une évaluation, une prise en compte et une exploitation des ressources existantes. 

Le GTC ne pourrait redevenir compétitif que s’il parvenait à se distinguer sous la forme d’un carrefour commerçant alternatif. Ce n’est pas en imitant les grands centres commerciaux génériques qu’il retrouvera sa compétitivité sur le marché. Pour cela, son cadre doit être repensé de manière créative et originale. Partout dans le monde, des expériences de ce type se sont multipliées. Le plus souvent, elles consistent à dissocier la sociabilité du marché du consumérisme standard. Le GTC pourrait redevenir le lieu emblématique d’un développement de ce type. 

Le concept de «Make do and mend» est une solution tout à fait envisageable, capable de s’appuyer sur un développement urbain local et qui mettrait l’accent sur des alternatives urbaines en devenir.

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