Genè­ve, un siè­cle et de­mi de pro­jets d’ur­ba­nis­me

Retour sur quelques grands moments de l'urbanisme genevois

Depuis le début du 21e siècle, la question de la planification de Genève a changé d’échelle, de rythme et de paradigme : refusant le développement tendanciel de la diffusion de l’habitat dans le territoire, les plans directeurs et le projet d’agglomération préconisent la mise en place d’une urbanisation volontariste. L’occasion de revenir sur les amorces de ce développement au siècle passé, avec de larges extraits d’un livre d’images de l’urbanisme genevois.

Publikationsdatum
09-01-2012
Revision
19-08-2015

L’enjeu et l’ambition du nouveau plan directeur cantonal « Genève 2030 » annonce une période de développement qui peut être comparée aux grands moments de l’urbanisme genevois et placé dans une perspective historique qui remonte à la moitié du 19e siècle.
Tous les projets présentés ici témoignent des moments décisifs, tant pour leur concours à la formation de la ville et du territoire de Genève que pour leurs apports au débat théorique de l’urbanisme et à l’élaboration de l’appareil légal et instrumental de l’aménagement du territoire.
Ils permettent de repérer dans le temps l’émergence et les aléas de questions récurrentes, comme l’extension et les limites de la ville, les densités et les intensités urbaines, la liaison ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives, la traversée de la Rade, le statut et l’étendue de la zone agricole, la localisation des zones industrielles, la prise en compte des composantes paysagères et le développement des notions d’espace public collectif, de maille verte et de pénétrantes de verdure.
Ainsi, du concours pour le plan d’extension de Genève de 1896 (pp. 14-15) au plan directeur cantonal de 2001, en passant par le plan directeur urbain et le plan des zones de Maurice Braillard (1933-1936) ou le plan alvéolaire de 1965, c’est une collection de projets d’urbanisme qui manifestent de façon repérable les diverses conceptions de l’organisation du territoire de la ville et du canton.
On constatera que tous ces grands projets renvoient à une idée forte qui caractérise l’urbanisme: le concept de planification (qui est le contraire du « laisser-faire »). Or, « quels que soient les contenus de ce concept, quels que soient les moyens auxquels la planification recourt, elle vise toujours à la distribution optimale des personnes, des biens et des services sur un territoire donné. Ce sont les critères de cette distribution qui varient. »3 La distribution la plus équitable, la plus rentable, la plus durable, la plus diffuse, ou alors la plus rationnelle ou la plus compacte, multipolaire et verte… Une variation qui change en fonction de l’idéologie qui la met en œuvre, en fonction des convictions, des certitudes ou des croyances qui la fondent. Avec chacune de ces options, la ville peut prendre des formes très différentes, qui ont une implication sur l’usage du territoire, la répartition des activités, le mode et l’importance des déplacements, l’accessibilité de l’espace, la réponse à la demande sociale, la maîtrise des conditions économiques, la prise en compte du patrimoine naturel et construit. L’hypothèse du développement est une de ces options, et le nouveau plan directeur cantonal 2030 appartient à cette catégorie.

Quartiers des fortifications, 6 500 logements (1855-1900)

Le démantèlement des fortifications à Genève accompagne l’avènement d’un nouveau régime politique qui rompt avec la ville de l’Ancien Régime et constitue l’espace et la substance de la ville du 19e siècle. Leopold Blotnitzki dresse, pour le Département des travaux publics, le plan général d’agrandissement de la ville proposant une couronne de nouveaux quartiers (plan adopté par le Conseil d’Etat en 1855 et 1858). Il triple la superficie de la ville sur les terrains des fortifications, avec ses 6 500 logements, ses écoles, ses églises, ses équipements collectifs (gare, postes, théâtres, université, conservatoire, musées) et son système d’espaces publics urbains (boulevards, avenues, quais, places, ronds-points). Il dessine ainsi une ville compacte et dense avec une mixité fonctionnelle, servie par des espaces ouverts généreux.

Plan d’extension des voies de communication (1898)

Suite à un concours pour le plan d’extension des voies de communication (1896), le Conseil d’Etat mandate l’architecte Jacques-Edouard Goss et l’ingénieur Henry Veyrassat pour l’élaboration d’un plan qui tienne compte des meilleures propositions. Ils procèdent au découpage et à la distribution des quartiers hors fortifications, structurent les anciens faubourgs, établissent un boulevard périphérique et une liaison ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives par les quartiers industriels de Praille-Acacias. Ce plan précède le développement des Plans d’extension communaux et la mise sur pied du Bureau du plan d’extension dirigé par Camille Martin.

Plan des zones de construction (1929)

Elaboré par le Bureau du plan d’extension de Camille Martin et annexé à la Loi sur les construction et installations diverses du 9 mars 1929, ce plan perfectionne le zonage primitif et fixe les conditions d’utilisation du sol sur l’ensemble du canton. C’est la première fois en Suisse qu’on envisage le déploiement urbain sur tout le territoire cantonal, avec comme corollaire la nécessité de ménager des zones de transition ou libres de constructions. Le plan distingue des zones urbaines (en noir et brun), une zone de transition (en rose pâle et rouge), des zones des agglomérations rurales (en orange), des habitations rurales (en jaune) et des zones industrielles (en violet). Il amorce le développement de l’occupation du territoire en fonction de l’agencement radial des lignes de tramways.

Plan directeur régional, 350 000 habitants, 120 000 logements (1936)

De 1933 à 1936, Maurice Braillard – chef du Département des travaux publics –, le Service d’urbanisme dirigé par Albert Bodmer et les architectes et urbanistes Hans Bernoulli et Arnold Hoechel développent un ensemble de projets de plans radicaux : le Plan directeur urbain, le Plan directeur régional et le Plan des zones. Ils aident à définir les étapes qui assureront un développement rationnel de l’agglomération genevoise : une ville de 350 000 habitants se substitue à la « ville sédimentée ». Cette proposition prévoit des aires résidentielles denses, organisées autour de mails et de squares. Un subtil réseau d’espaces publics (urbains, périphériques et ruraux) agence et ordonne, sur l’ensemble du territoire cantonal, les immeubles du centre urbain, les cités d’habitation de la périphérie, les ensembles pavillonnaires, les zones industrielles, les villages et l’espace agricole. Intitulées « surfaces publiques et sites à classer », elles sont l’émergence de la notion de « maille verte territoriale ».

Plan directeur cantonal (1948)

Publié en 1948, le Rapport de la Commission d’étude pour le développement de Genève – élaboré par les architectes Arnold Hoechel, Albert Bodmer, André Bordigoni, Ernest Martin et Joseph-Marc Saugey – tente de réguler les rapports entre les espaces bâtis et les espaces libres. Les auteurs proposent des cités satellites à Peney (30 000 habitants, 10 000 logements avec zone industrielle et ferroviaire) et à La Plaine-Avully. Ils mettent au point le projet de « région industrielle de la Praille » dans son environnement large (Carouge, Lancy, Onex, Plan-les-Ouates) et établissent un projet de reconstruction intégrale du quartier des Eaux-Vives (1950-2050). Ils favorisent également le développement des pénétrantes vertes territoriales et des « zones et liaisons de verdure » urbaines.

Plans Marais, 50 000 logements (1945-66)

Il s’agit d’études systématiques du Service d’urbanisme (sous la direction d’André Marais) et du Département des travaux publics pour renouveler les tissus constitués de la ville, proposer des extensions et développer des cités périphériques. Se constitue alors un « urbanisme de projets » qui se fonde sur une collaboration entre des bureaux d’architectes et le Service d’urbanisme : Cité Meyrin, ensemble Budé, Cité du Lignon (Addor), Cité nouvelle Onex-Lancy (Honegger, Bordigoni), Tours de Lancy (Lamunière), Lancy-Sud et Chêne-Thônex (Marais), Tours de Carouge (Brera, Waltenspuhl), Cité Gradelle (Hentsch), ensemble chemin de la Montagne (Gaillard). En parallèle se met au point un système routier à la mesure de la mobilité « tout-automobile » de cette période : tangentes et radiales autoroutières, route des Jeunes, voies sur les berges du Rhône et de l’Arve, traversée de la Rade.

Plan directeur 2015, dit plan alvéolaire (1966)

Représenté en couverture du présent numéro, élaboré et développé par la Commission d’urbanisme (établie par la loi de 1961 et présidée par Joseph-Marc Saugey) et son bureau d’études (BECU), le « plan alvéolaire » et son appareil théorique sont présentés dans le Premier compte rendu de la Commission d’urbanisme (1962-65). On y projette une ville de 800 000 habitants pour 2015 (en tablant sur une croissance d’environ 10 000 habitants par an), structurée en « alvéoles » desservies par un système de voies express et d’autoroutes et dont l’« habitat à forte densité » occupe la totalité des zones constructibles (qui sont pratiquement les mêmes aujourd’hui). La zone villas a presque complètement disparu, la ville est compacte avec des zones d’activité industrielle.

Schéma directeur du Genevois français (1967)

En 1967, le Ministère de l’équipement français publie un rapport sur la région dite du « Genevois français » pour guider et anticiper le développement urbain de ce territoire. Il est intéressant de relever que les Français adoptent le plan alvéolaire genevois de 1966 (voir couverture) et en produisent en quelque sorte une extension pour la partie française, à une époque où l’on est encore loin de commencer à envisager une collaboration transfrontalière.
Le schéma radiocentrique du plan alvéolaire suisse renforce la polarisation de la région : tous les axes de développement sont sur des routes radiales sortant de Genève mais, quoique le tissu du Genevois français soit dense, on y constate une disponibilité foncière rare dans les régions urbanisées.
La rencontre des trafics continentaux et locaux sur ce territoire enserré dans une cuvette pose de nombreuses difficultés. Les auteurs jugent insuffisant de raccorder des tronçons routiers de part et d’autre de la frontière et souhaitent une véritable concertation. On envisage à Cointrin d’aménager une zone franche industrielle aéroportuaire. Pour décharger cet aéroport – les urbanistes français imaginent avec effroi l’emplacement d’une deuxième piste – on suggère d’implanter un aérodrome classe B ou C aux abords de Reignier, en liaison directe avec la voie express E 21b (route Blanche). Face à l’engouement pour l’automobile, le réseau ferroviaire apparaît sans grand avenir et on préconise seulement de relier Annemasse au réseau genevois

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