Genè­ve 2030: le nou­veau plan di­rec­teur can­to­nal

Entretien avec Bernard Leutenegger

Le nouveau plan directeur cantonal de Genève devrait être adopté en 2012. Pour l’instant en consultation auprès des communes et des territoires voisins, il propose un développement urbain ambitieux pour le canton de Genève et pour l’agglomération franco-valdo-genevoise. Bernard Leutenegger, directeur de la planification directrice cantonale et régionale, en dresse les grandes lignes et explique les mesures prises pour répondre à la crise du logement qui sévit à Genève.

Publikationsdatum
09-01-2012
Revision
01-09-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

TRACÉS : Le projet du nouveau plan directeur cantonal (PDCn) de Genève prévoit 50 000 logements d’ici à 2030. Cet objectif traduit la pénurie actuelle de logements dans le canton. Comment en est-on arrivé là ?
Bernard Leutenegger : Nous sommes en effet dans un contexte de crise aiguë du logement. J’y vois trois raisons principales. Premièrement, le PDCn actuel, en vigueur depuis 2001, a été établi dans les années 90, une période de stagnation économique durant laquelle Genève a perdu environ 20 000 emplois. Il prévoyait la construction de 1 600 nouveaux logements par année, ce qui s’est avéré nettement insuffisant lors de la reprise économique et démographique des années 2000. Ensuite, ces dix dernières années ont été celles de l’intégration de nouvelles exigences dans les processus d’urbanisation, comme la participation, la négociation, la prise en compte de facteurs environnementaux et de mobilité, qui nécessitent plus de temps pour aboutir aux réalisations. A cela s’ajoutent les retards occasionnés par les nombreux recours contre les projets. Pour finir, la surface par nouveau logement a augmenté depuis 15 ans. Si l’objectif du nombre de logements n’a pas été tenu, celui en matière de m2 brut de plancher a grosso modo été respecté. Ces trois raisons expliquent en grande partie le déficit cumulé actuel de 10 000 logements.

T : Quelles sont les mesures prévues afin de construire en moyenne 2 500 logements par année ?
BL : La commande politique de ce nouveau PDCn est en effet ambitieuse. Il s’agit à la fois d’absorber la croissance démographique importante de ces prochaines années et de combler le déficit de construction de la dernière décennie. Tout d’abord, le nouveau PDCn prévoit de poursuivre et d’intensifier les mesures déjà engagées dans le cadre du plan actuel. La densification de la couronne urbaine va continuer, certaines zones n’ayant pas livré tout leur potentiel. Il en va de même pour les mesures visant à densifier certaines zones villa. Les grands projets de l’actuel PDCn, c’est-à-dire les extensions urbaines lancées il y a dix ans, sont tous en cours de planification, à divers degrés d’avancement, et les premiers logements sont en chantier du côté de Frontenex. Toujours dans la continuation du PDCn actuel, les opérations de renouvellement urbain sur des secteurs industriels et ferroviaires sont également reprises. Elles ne se font pas sur la base de friches industrielles comme c’est le cas dans d’autres grandes villes, à l’exception de la gare des Eaux-Vives, mais sur des secteurs occupés par des activités dynamiques, dont il faudra assurer la relocalisation, comme à Praille-Acacias-Vernets. Ce sont des démarches de longue haleine. 
La poursuite et l’intensification de ces mesures prises dans le cadre de l’actuel PDCn permettraient de construire 35 000 logements, sur les 50 000 prévus. Le solde de 15 000 est trouvé dans les nouvelles propositions d’extension issues des démarches de périmètres d’aménagement coordonné (PACA) du projet d’agglomération franco-valdo-genevois (voir encadré ci-dessous) : nouvelles extensions sur la zone agricole et nouveaux déclassements de zones villa, notamment le long des lignes de tramways, qui font l’objet de « projets stratégiques de développement » avec une démarche ad hoc.

T : La nouvelle mouture du PDCn, appelée « Genève 2030 » est donc liée au projet d’agglomération franco-valdo-genevois ? 
BL : Oui, elle l’est même étroitement. Le PDCn concrétise les propositions du projet d’agglomération pour la partie genevoise en les traduisant dans un document qui a un statut légal et qui aura fait l’objet d’un débat politique. Les Français et les Vaudois font de même avec leurs propres instruments d’aménagement. L’objectif de 50 000 logements résulte du projet d’agglomération. Ce dernier a été basé sur un scénario démographique moyen de l’observatoire statistique transfrontalier, qui prévoit une croissance de 200 000 habitants en 2030 pour une agglomération qui en compte déjà plus de 800 000. Pour répondre aux exigences du projet d’agglomération qui veut freiner l’étalement urbain et densifier autour des transports publics, la partie centrale de l’agglomération, c’est-à-dire le canton de Genève, doit accueillir environ 50 % de cette croissance. Le contenu, le concept, les grands principes sont également issus du projet d’agglomération qui préconise un développement compact, vert et multipolaire.

T : Justement, quels sont les grands principes du document « Genève 2030 » ?
BL : Il est basé sur trois thématiques : urbanisation, mobilité et espace rural, l’environnement étant présent de manière transversale dans tous ces sujets. Au niveau de l’urbanisation, la volonté est de développer un certain nombre d’extensions de l’hyper-centre – le PAV (projet de renouvellement urbain dans la zone industrielle Praille Acacias Vernet) en est la principale –, d’achever la densification de zones de logements ou de zones d’activités de la couronne urbaine et d’étendre cette dernière le long des axes lourds des transports collectifs tels qu’ils sont envisagés dans le projet d’agglomération. A côté de cet hyper-centre agrandi, des centralités vont être constituées ou renforcées. De grands équipements publics vont y être implantés soutenant ainsi leur constitution en de réels centres urbains. Le but est aussi d’orienter la bonne activité au bon endroit : les entreprises à forte densité d’emploi par exemple, doivent prioritairement s’implanter dans des zones desservies par un important réseau de transport public régional et local, favorisant ainsi le transfert modal. Cette thématique donne également une place prioritaire aux espaces verts et publics. Depuis les années 30, la politique genevoise en matière d’espaces verts s’appuie sur une charpente paysagère – les pénétrantes de verdures – grâce à laquelle la ville bénéficie d’espaces ouverts de qualité à proximité immédiate des lieux de vie urbains. Elles sont prolongées dans les quartiers par le réseau des espaces verts et des parcs. 
Des espaces publics d’intérêt cantonal ont été identifiés. Habituellement de la compétence des communes, certains d’entre eux, jugés d’importance cantonale comme les alentours des nouvelles gares RER, seront développés par le canton et les communes et bénéficient parfois de financements de la Confédération. 
En matière de mobilité, la liaison du CEVA permettra de développer le réseau RER d’agglomération qui manque à Genève et qui pourrait à long terme être complété par de nouvelles infrastructures : le bouclage entre la gare Cornavin et l’aéroport de Cointrin, les prolongements en direction du pays de Gex et de St-Julien. Au niveau de l’agglomération compacte, le réseau de tramways sera complété, et comportera des lignes transfrontalières : jusqu’à Bernex, St-Julien, Ferney-Voltaire et Annemasse. Au niveau des réseaux routiers, la traversée du lac permettrait d’achever le contournement autoroutier et de soulager le centre du transit, au profit des transports publics et de la mobilité douce. Une étude d’opportunité de l’Office fédéral des routes rendra son verdict fin 2011. La mobilité douce, habituellement pensée au niveau des projets de quartier, fait l’objet de propositions à l’échelle de l’agglomération : rabattement sur les gares, voies vertes d’agglomération prolongeant par exemple le projet envisagé depuis plusieurs années sur le tronçon couvert du CEVA. 
L’espace rural, troisième thème du nouveau PDCn, n’est pas considéré comme une réserve pour le développement urbain futur, mais comme un véritable espace de projets : mise en réseau des milieux naturels, renaturation de cours d’eau ou encore valorisation d’une production agricole de proximité dans le cadre du projet agricole d’agglomération. 

T : Quels sont les prochaines étapes jusqu’à l’adoption ?
BL: On vient d’achever deux mois d’enquête publique et les 800 prises de position sont en train d’être dépouillées et analysées. De septembre à décembre, les communes et les territoires voisins partenaires du projet d’agglomération seront consultés. Sur la base de l’ensemble de ces observations, le document sera remanié puis transmis au Conseil d’Etat. Dans le courant 2012, il sera déposé auprès du Grand Conseil qui devra en débattre. Nous espérons aboutir à l’adoption du document d’ici à la fin de l’année 2012 afin qu’il puisse être validé par la Confédération courant 2013.

T : « Genève 2030 » prend donc en compte le projet d’agglomération qui couvre un territoire allant du district de Nyon jusqu’au Bas-Chablais en passant par le Bassin bellegardien. Ne pensez-vous pas qu’il aurait fallu être moins modeste, faire un vrai geste politique et englober tout le pourtour du lac ?
BL : Le projet n’aurait pas abouti. Même si au niveau du développement territorial toute une série de choses sont liées, il s’agit d’abord de construire la collaboration autour des agglomérations. Les projets d’agglomération pourraient être un premier pas vers une démarche intégrée au niveau du bassin lémanique. Plusieurs collaborations existent déjà sur différentes thématiques et le Projet de territoire suisse de la Confédération reconnaît l’arc lémanique comme un espace métropolitain. Les métropoles de Zurich et de Bâle sont passablement avancées. On va y venir. Mais si nous avions d’emblée posé cette échelle comme base du développement urbain et territorial, nous nous serions dirigés vers un échec. 

Bernard Leutenegger est urbaniste et directeur de la planification directrice cantonale et régionale de l'Etat de Genève. 

 

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L’agglomération franco-valdo-genevoiseLe chemin fut long. Il aura fallu 30 ans pour que s’institutionnalise une véritable collaboration intercantonale et transfrontalière en matière de planification et de gestion du territoire. Petit retour historique : en 1973 est fondé le Comité régional franco-genevois pour, selon un échange épistolaire entre les ambassadeurs suisse et français, traiter « les problèmes nés du voisinage entre la République et Canton de Genève et les Départements français de l’Ain et de la Haute-Savoie ». Vingt ans plus tard seulement, en 1997, le Comité publie une charte d’aménagement qui marque un tournant en identifiant l’agglomération franco-valdo-genevoise comme territoire à planifier de façon coordonnée. Elle propose dix projets pour « concentrer l’urbanisation autour de pôles pour lutter contre le mitage du territoire et favoriser l’utilisation rationnelle des transports publics ».S’inscrivant dans la politique des agglomérations de la Confédération helvétique et de l’appel à coopérations métropolitaines du gouvernement français, les autorités locales lancent le projet d’agglomération franco-valdo-genevois qui débouchera en 2007 sur une charte d’engagement du projet, base sur laquelle a été pensé et rédigé le plan directeur cantonal « Genève 2030 ». Son périmètre est politique et comprend le canton de Genève et le district de Nyon dans le canton de Vaud, ainsi qu’une partie des départements de l’Ain et de Haute-Savoie, 208 communes, 2 000 km2, 860 694 habitants et 403 341 emplois (chiffres de 2010). Premier vrai pas vers une gouvernance territoriale coordonnée, ce projet dessine à l’horizon 2030 une agglomération compacte, multipolaire et verte. Plan d’orientation sur lequel s’engagent les autorités politiques des territoires concernés, ce dernier repose sur cinq axes : la préservation des terres agricoles et la sauvegarde des espaces naturels, une structuration en centralités et nœuds, des densités minimales conditionnant l’offre des transports publics, la mixité fonctionnelle et sociale et, pour finir, la valorisation du patrimoine et la qualité architecturale.
Cedric van der Poel

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