Game of Thro­nes: c'est Vi­truve qu'on ass­as­si­ne

Bienvenus sur les terres du Trône de Fer !

Publikationsdatum
30-08-2017
Revision
03-09-2017

Un château gigantesque perché sur un piton rocheux, une «cellule céleste» en forme de grande voûte nichée dans une falaise, une « porte de la lune » – orifice en forme de croissant situé dans la salle du trône – qui ouvre sur un précipice monstrueux, une tour citadelle cachant la plus vieille bibliothèque du continent, une cité abritant en son centre une pyramide de deux cents mètres, un Titan haut de cent pieds se dressant à l’entrée d’un port et bien sûr un mur de glace haut de deux cents mètres et long de cinq cents kilomètres.
Bienvenus sur les terres du Trône de Fer !
Depuis 1996, Georges R. R. Martin bâtit des villes et des ports, invente des mers à traverser, érige des falaises, ouvre des steppes, façonne des baies, plante des forêts, alterne des hivers longs de cinq ans et des étés de vingt. D’abord dans une série de romans, puis en tant que conseiller pour une adaptation télévisée par la chaîne HBO. Pour situer le territoire imaginaire créé en un quart de siècle, imaginez Shakespeare et Tolkien faisant l’amour sur les écailles d’un dragon engendrant un bâtard qui ne pense qu’à baiser et égorger.
Au-delà de l’intrigue qui tourne obsessionnellement autour de la quête du pouvoir («Le pouvoir est le pouvoir» résume Cersei Lannister, la reine des intrigantes), les mondes inventés méritent une visite.
Officiellement, nous sommes au Moyen-Age. Mais Port-Real, la capitale du continent Westeros, semble plutôt vivre en pleine Renaissance. De par le raffinement des bibelots et de l’ameublement, on se croirait chez les Florentins. D’ailleurs, Le Grand Moineau, sorte de prêtre extrémiste, ressemble comme deux gouttes d’eau au frère Savonarole qui impose une dictature théocratique à Florence, à la fin du 15e siècle. Au même moment, sur l’autre continent nommé Essos, on nage en pleine Antiquité. Dans la ville de Meereen, par exemple, on trouve aussi bien une arène mettant en scène des combats de gladiateurs qu’une Grande Pyramide, dont la pointe culmine à 245 mètres. Le Colisée et Gizeh au temps des chevaliers de la Table ronde: un grand n’importe quoi que des millions de fans gobent avec gourmandise.
Plus original, le monde du Trône de Fer s’étire du sud au Grand nord. Le récit alterne ainsi des courses poursuites sur un glacier avec la prise d’assaut d’une pyramide. L’Islande et l’Egypte réunis pour la première fois dans la littérature!
Au moment où il s’est agi de filmer cet univers foisonnant, HBO s’est mise en quête de décors préexistants. Bien sûr, seuls les effets spéciaux peuvent créer un mur de glace plus haut que le deuxième étage de la tour Eiffel, un nouveau colosse de Rhodes et trois dragons cracheurs de feu. Mais tout ne peut pas être tourné sur fond vert (erreur esthétique fatale de Georges Lucas pour sa deuxième trilogie et Peter Jackson pour ses trois hideux Hobbit). Il faut trouver des vraies ruelles pavées, des châteaux-forts et des ports. Les producteurs américains ont eu la sagesse de revenir à la mer des épopées : la Méditerranée. Ainsi Malte, Séville, Cordoue, Alcazaba, Dubrovnik, Split et le Maroc servent de décor naturel. L’Irlande du Nord et l’Islande offrent leurs ruines, leurs forêts et leurs terres déchiquetées pour figurer les régions froides de la saga.
Détail symbolique : dans le roman, le personnage de Daenerys Targaryen, impératrice d’Essos, se rend de ville en ville pour libérer les esclaves. Toutes ces scènes ont été tournées au Maroc (Essaouira, Aït-ben-Haddou, Ouarzazate). Le Maroc? Vous savez ce pays sur lequel règne sans partage un roi qui a échappé au Printemps arabe…
Paradoxalement, Georges Martin a beau inventer des continents entiers, l’exiguïté, la promiscuité et l’enfermement règnent en maître. Jaimie Lannister affronte sa gardienne Brienne de Torth sur un pont, alors qu’ils ont des kilomètres de berges à disposition. Lorsque Daenerys Targaryen réalise que ses dragons sont incontrôlables, elles ne les isole pas sous une montagne, mais les enferme dans un souterrain (filmé sous le palais de Dioclétien à Split !). Wikipedia nous apprend que «Les Jumeaux, siège de la Maison Frey, forment une forteresse constituée de deux donjons, situés chacun sur la rive d’un fleuve et reliés entre eux par un pont au centre duquel se tient une tour fortifiée.» Un Château-Pont ! Quant à Pyke, «il s’agit d’une forteresse constituée de plusieurs tours bâties sur trois îles. Les tours sont reliées par des ponts et passerelles battus par les vents.» Evidemment, le seigneur et son frère se disputent sur une de ces passerelles.
Cet univers rappelle l’opposition paradoxale entre intérieur et extérieur chez Jules Verne : on survole l’Afrique enfermé dans une nacelle ; on traverse les océans dans un sous-marin métallique; on voyage vers la Lune à l’intérieur d’un obus de canon.
Plus que les inventions architecturales, ce qui stupéfie dans Le Trône de Fer sont les outrages au corps. Episode après épisode, l’Homme de Vitruve est massacré avec jubilation: on décapite, on explose le crâne, on démembre, on égorge, on coupe en deux, on arrache le larynx, on coupe la main, on sectionne les doigts, on pend, on transperce de flèches, on émascule, on crève les yeux, on écorche vif, on brûle vif, on jette aux chiens, on laisse pourrir, on viole à mort, on poignarde un fœtus, on souille de détritus et même on rôtit puis on mange. Par ailleurs, un nain joue un rôle central, deux géants de quatre mètres écrabouillent des soldats et une armée de zombies plus ou moins décomposés sème la terreur. Le Modulor est mort…