Espaces scé­ni­ques en ré­so­nan­ce

Editorial paru dans Tracés n°01/2014

Publikationsdatum
16-01-2014
Revision
10-11-2015

Théâtre. Dans la série des édifices dont la signification excède la fonction (le tribunal, la banque, l’hôpital, la prison, l’école), il occupe une place importante. Il est le lieu d’une étrange convention : la contemplation par une assemblée de spectateurs d’une scène qui leur parle d’eux-mêmes. 

La scène est ce dispositif en miroir qui rend cette expérience possible. Qu’on ne s’y méprenne pas : il est autant question de politique que de poésie dans l’expérience théâtrale. Ce n’est pas un hasard si l’âge d’or de la démocratie athénienne coïncide avec l’apogée de la tragédie. Au 19e siècle, le théâtre, ou plutôt sa version bourgeoise et urbaine, l’opéra, va devenir un haut lieu des nationalismes européens émergents : l’Allemagne doit peut-être plus à Wagner dans sa constitution en tant que nation, qu’aux différents souverains qui l’ont administrée.

Au 20e siècle, au moment où se dessine l’avènement de la société du spectacle (les loisirs comme force motrice du capitalisme), c’est encore une fois une forme de théâtre qui est préfigurée comme solution : cesser de produire et transformer les lieux de labeur en terrains de jeu. L’utopie situationniste se projette dans une ville spatiale illimitée où chacun pourra être à tour de rôle acteur et spectateur. Elle pense pouvoir stopper le devenir marchandise du divertissement en instaurant une société du jeu généralisée.

En quoi l’architecture des théâtres serait-elle encore aujourd’hui porteuse de cette richesse politique ? Les temples du capitalisme tardif, « chefs-d’œuvre globalisés » et autres méga-structures parachutées sont bien moins les héritiers de cette histoire, que certaines friches culturelles. 

C’est là où les usines ont cessé leur vacarme pour laisser retentir les mots, que l’espace social persiste et garde son potentiel politique. C’est là que la ville va se mettre en scène en tant que corps historique, en tant qu’entité travaillée par le temps, et pour cela capable d’en changer le cours. Les friches reconverties sont des révolutions réalisées. Pour certains, elles en appellent d’autres.

Le théâtre devient dans ce contexte une activité signifiante : la place dans la ville où la collectivité se perçoit comme un ensemble. L’Arsenic à Lausanne et les Plateaux à Marseille sont de ces lieux. A la fois réceptacles et amplificateurs, ils accomplissent sereinement leur mission, sans oublier leur potentiel politique. Leur architecture y est pour beaucoup. C’est elle qui en fait des points de basculement où ce qui se passe à l’intérieur va pouvoir se déployer et opérer à l’échelle de la ville.

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