Dé­ve­lo­p­per l’usa­ge uti­li­taire du vé­lo en su­is­se

Il apparaît aujourd’hui indispensable de mieux saisir la pratique de ce mode de transport et de mettre en place des leviers et des pistes d’action pour le promouvoir

Publikationsdatum
21-07-2015
Revision
22-10-2015
Patrick Rérat
Professeurs à l’Institut de géographie et durabilité, Faculté des géosciences et de l’environnement, Université de Lausanne

En Suisse comme dans plusieurs pays d’Europe, le vélo fait son grand retour en ville, dans les esprits du moins. Le lancement de l’Initiative vélo en mars dernier (lire encadré sur l'Initiative Vélo) et la multiplication des systèmes de vélo en libre service indiquent, par exemple, que le développement de ce mode de transport doux est prometteur. Pour l’heure, la part modale du vélo en Suisse reste relativement faible: en 2010, seules 4,8% des étapes étaient effectuées à bicyclette, un chiffre quasi équivalent à celui de 19941.
La marge de progression en Suisse est importante si l’on compare cette part modale avec celle des Pays-Bas (26% des trajets), du Danemark et de la Hongrie (18%) mais aussi de l’Allemagne (10%), de la Suède ou de la Finlande (9%)2. Par ailleurs, les différences au sein même du pays sont grandes. Aux premiers rangs des agglomérations suisses apparaissent Buchs et Heerbrugg, dans le canton de Saint-Gall, et Berthoud et Thoune, dans le canton de Berne, où la part de la bicyclette dépasse les 10%. A l’inverse, celle-ci tombe à moins de 1,5% dans les régions urbaines de Vevey/Montreux, Lugano, Lausanne et La Chaux-de-Fonds/Le Locle (image).
Comment expliquer de tels écarts? Un certain nombre de facteurs sont souvent évoqués pêle-mêle – topographie, climat ou dimension culturelle – mais aucun d’eux n’est en soi suffisant pour expliquer les différences de part modale du vélo entre pays ou agglomérations. Le choix de recourir au vélo comme mode de transport semble reposer sur trois éléments: les individus, le territoire et l’objet vélo.


La dimension individuelle: de la possibilité à la volonté


Au niveau des individus, trois paramètres déterminent le recours au vélo comme moyen de transport: l’accès, les compétences spécifiques à l’usage d’un tel objet, et l’image3.
L’accès à un vélo paraît évident. D’ailleurs, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), 76% des habitants en Suisse ont un vélo à disposition en permanence ou sur demande. Pour certaines personnes, l’aspect financier représente néanmoins un obstacle; pour d’autres, le risque de vol ou de détérioration constitue un frein4. Des systèmes comme les vélos en libre service ou en prêt pourraient ainsi faciliter l’accès au vélo, et donc son usage.
Mais l’accès ne suffit pas à expliquer la pratique utilitaire du vélo. Cette dernière demande des compétences qui, du fait de la prédominance de l’automobile dans nos systèmes de transport, sont loin d’être acquises par tous. Bien entendu, savoir faire du vélo et disposer d’une certaine condition physique constituent les premières compétences, mais d’autres sont également essentielles: la capacité à s’orienter dans l’espace, à estimer les temps de déplacement ou à gérer le stress lié à la circulation, par exemple. Ces compétences, parce qu’elles déterminent le niveau d’aisance à vélo d’un individu, influencent considérablement le choix d’utiliser ou non ce moyen de transport. Or, il est possible d’agir sur ces compétences, que ce soit par des aménagements spécifiques, des informations sur les itinéraires et temps de déplacements (image) ou des cours de conduite, comme il en existe déjà pour enfants et adolescents, mais également pour adultes, ou encore par des actions incitant à expérimenter le vélo, à l’instar du programme bike to work5.
Finalement, le troisième facteur central pour expliquer l’utilisation du vélo est son image. Cette représentation, qui évolue dans le temps et dans l’espace, change également d’un groupe social à un autre. Ainsi, le vélo était au 19e siècle réservé aux élites et symbole de progrès et de liberté. Il s’est ensuite démocratisé dans la première moitié du 20e siècle, avant que l’arrivée de la voiture n’en fasse le moyen de transport du pauvre et provoque son déclin (image et image)6. Ce n’est qu’à partir des années 1970, en raison de l’émergence de préoccupations environnementales, que le vélo a commencé à retrouver une image positive, du moins au sein d’une partie de la population.
Vraisemblablement, l’image du vélo en Suisse aujourd’hui est très variable d’un individu à l’autre. La construction d’une représentation est un phénomène complexe qui résulte de l’interaction entre de nombreux facteurs. Mais il existe des moyens de l’améliorer, notamment par des efforts de communication sur les aspects pratique, rapide et écologique du vélo.


La cyclabilité du territoire


Le deuxième élément capable d’influencer la part modale du vélo est le territoire. Le système automobile étant toujours largement prédominant dans les villes suisses, améliorer la cyclabilité7 de ces territoires et les rendre plus accueillants pour les usagers du vélo nécessite la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures.
Parmi elles, les pistes et bandes cyclables ont un impact important, étant donné qu’elles sont élaborées de manière à créer un réseau dense, cohérent et rapide – on peut citer à cet égard le projet Trans-Agglo (lire encadré Trans-Agglo). Il en va de même pour les carrefours qui constituent des points stratégiques pour assurer la fluidité et la sécurité des itinéraires cyclables (image). D’autres mesures existent, telles que la ville apaisée, qui consiste à modérer la vitesse des automobiles afin de garantir la sécurité des cyclistes, ou la construction d’infrastructures dédiées spécifiquement à la mobilité douce (image).
D’autres aménagements et services sont également essentiels pour la cyclabilité. Ainsi, proposer des stationnements sécurisés en nombre suffisant constitue une mesure clef. Il faudrait également faciliter l’intermodalité par la prise en charge des vélos dans les transports en commun ainsi que le stationnement ou la location aux pôles d’échange. Pour finir, il serait utile de mettre à disposition les différents services nécessaires à l’entretien ou à la réparation des vélos. Ces objectifs sont notamment intégrés dans les vélostations qui fleurissent dans de nombreuses gares en Suisse (image).
L’objet vélo et ses évolutions
Le dernier élément permettant d’expliquer la pratique du vélo est bien entendu l’objet en lui-même. Depuis sa création au 19e siècle, l’objet vélo n’a que peu changé. Ces dernières années, des innovations techniques l’ont sensiblement fait évoluer, entrainant une reconfiguration des pratiques et ouvrant de nouvelles perspectives.
La première innovation est le vélo à assistance électrique, ou e-bike, qui permet à la fois de faciliter l’usage du vélo dans des zones à la topographie défavorable, d’augmenter considérablement les distances qu’il est envisageable de parcourir (image), et de toucher un public plus large, par exemple les personnes plus âgées. On peut également citer les vélos pliants qui facilitent l’intermodalité et répondent au problème du stationnement, les cargocycles qui permettent le transport d’objets ou d’enfants et les vélos en libre service, qui pourraient compléter les réseaux de transports publics en particulier sur le premier et le dernier kilomètre.
Toutes ces évolutions de l’objet vélo contribuent à rendre possible et réaliste son utilisation dans des situations variées de la vie quotidienne. Elles indiquent que le potentiel de développement de ce mode de transport est grand, et que les barrières qui existent encore aujourd’hui quant à son utilisation pourraient peu à peu tomber, en Suisse comme ailleurs. A condition que les politiques urbaines agissent sur les compétences des individus, la cyclabilité des territoires et prennent en compte le potentiel des nouveaux usages du vélo.

Marie Mundler est doctorante et Patrick Rérat professeur en géographie des mobilités à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne.

 

 

Notes

1. Ces données sont tirées du « Microrecensement mobilité et transport 2010 » de l’Office fédéral de la statistique. Une étape correspond à un déplacement effectué avec un seul moyen de transport. Lorsque ce dernier change, une nouvelle étape commence. Ainsi, une personne se rendant à la gare à vélo, prenant le train et finalement marchant à sa destination réalise trois étapes.
2. Ralph Buehler et John Pucher, City Cycling, MIT Press, Cambridge, 2012, p. 10.
3. Cette approche s’inspire des travaux de Vincent Kaufmann sur le potentiel de mobilité (motilité). Lire par exemple son ouvrage Retour sur la ville, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2014.
4. Parmi 1000 cyclistes suisses sondés en 2010, 33% déclaraient avoir eu un vélo volé, 8% à avoir fait face à un acte de vandalisme et 18% à ces deux dommages. Seuls 41% d’entre eux n’avaient connu aucun de ces incidents. (Baloise Group, «Gefahren und Risikofaktoren beim Fahrradfahren in der Schweiz», 2010)
5. bike to work est une action instiguée par Pro Velo Suisse destinée à promouvoir la pratique du vélo pour se rendre au travail. L’objectif est de faire en sorte que le plus grand nombre de pendulaires soient séduits par ce mode de transport. L’action, d’une durée d’un mois, a lieu chaque année au mois de juin. En 2015, plus de 52 000 employés de 1665 entreprises se sont mis en selle dans le cadre de bike to work. Ensemble, ils ont parcouru plus de neuf millions de kilomètres et ainsi économisé 1581053 kg de CO2www.biketowork.ch
6. On oublie parfois la place occupée par le vélo dans les villes suisses avant la Deuxième Guerre mondiale. Selon un comptage sur quatre ponts de la ville de Bâle en 1935, 73% des véhicules étaient des vélos, 25% des véhicules à moteur et 2% des charrettes (Erika Flückiger Strebel, «Geschichte des Langsamverkehrs in der Schweiz des 19. und 20. Jh », Office fédéral des routes, 2014).
7. Le terme cyclabilité est employé pour évoquer le potentiel cyclable du territoire.

 

Initiative Vélo

L’initiative, lancée par Pro Velo Suisse – l’association faîtière de défense des intérêts des cyclistes qui regroupe 40 associations régionales et 31 000 membres individuels –, a pour objectif d’inscrire la promotion du vélo dans la Constitution et de favoriser l’utilisation quotidienne de ce mode de transport en Suisse. Pour les initiants, la Confédération devrait promouvoir davantage le vélo et soutenir les cantons, les villes et les organisations en rendant les déplacements à vélo plus sécurisés. Selon eux, des solutions de génie civil et d’organisation visant à régler séparément et à distinguer le trafic cycliste et le trafic automobile profiteraient aussi au trafic automobile, qui y gagnerait en sécurité et en fluidité. L’un des arguments de Pro Velo est aussi d’ordre économique: «L’Office du développement territorial a calculé en 2014 que les coûts externes du trafic cycliste se montaient à 900 millions de francs à l’échelle de la Suisse. Quant aux bénéfices externes en termes de santé, ils dépassent ces coûts de 400 millions de francs. L’Union européenne estime à plus de 400€ par habitant le bénéfice interne et externe généré par le vélo.»
«Dans toute évolution, il y a un moment de stagnation. C’est un peu ce que nous sommes en train de vivre avec le vélo en Suisse, analyse Jean-François Steiert, conseiller national socialiste, président de Pro Velo et membre du comité d’initiative. Avec cette initiative, nous voulons faire du vélo une priorité, lui donner plus de présence dans le débat et l’agenda politiques. En Suisse, six millions de personnes possèdent un vélo, mais une partie de la population semble dissuadée de le pratiquer au quotidien, en raison d’une peur liée au manque de sécurité. Pour élaborer cette initiative, nous nous sommes basés sur un article constitutionnel qui concerne les piétons et les randonneurs, les deux autres catégories de la mobilité douce. Il faut encourager et coordonner les projets, les aménagements, tout en préservant le fédéralisme.»
Pour l’heure, près de 80 000 signatures ont été récoltées, sur les 100 000 que le comité à l’origine de l’initiative doit réunir en dix-huit mois. www.initiative-velo.ch

 

 

Encadré Trans-Agglo

Projet phare de l’agglomération de Fribourg en faveur de la mobilité douce, la Trans-Agglo, est un itinéraire mixte piétons et vélos qui connectera, à terme, Avry à Guin (Düdingen), en passant par Matran, Corminboeuf, Villars-sur-Glâne, Fribourg et Granges-Paccot. Cet axe, d’une longueur totale d’environ 17km, vise à offrir une alternative sûre et efficace au trafic individuel motorisé, en combinaison avec les transports publics. En tant qu’itinéraire basé sur des planifications communales préexistantes, la Trans-Agglo se compose de tronçons déjà accessibles au public et de tronçons à créer ou à réaménager. L’objectif est d’aboutir à un axe continu, rapide, attractif, sécurisé et situé aussi souvent que possible en site propre.
La Trans-Agglo fait l’objet d’une quinzaine de mesures inscrites dans le projet d’agglomération de deuxième génération, dont la plupart seront réalisées d’ici à 2018. Devisées à près de 19 milions de francs, les réalisations de cette première étape seront subventionnées par le fonds fédéral d’infrastructure à hauteur de 40%. En tant que projet réalisé avant 2015, le réaménagement des sentiers du Nord et des Casernes n’était pas éligible à un subventionnement fédéral. Il est tout de même au bénéfice d’un cofinancement de l’agglomération de Fribourg.
 

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