Des for­mes de pé­d­ago­gie al­ter­na­ti­ve pour con­ce­voir un pro­jet d’ar­chi­tec­tu­re

Si l’ère numérique semble rimer avec massivité et décentralisation du savoir, qu’en est-il des modes d’apprentissage ayant toujours recours au rapport personnalisé du maître à l’élève? Panorama des formes de pédagogie alternative à l’enseignement du projet d’architecture.

Publikationsdatum
18-06-2014
Revision
18-10-2015

Concevoir un projet d’architecture à distance n’a aujourd’hui rien d’extraordinaire. Fruit d’une collaboration entre architectes japonais et ingénieurs allemands1, le Rolex Learning Center est un exemple parmi d’autres témoignant non seulement de la prise en compte de cette distance dans le processus créatif, mais également de la diversité culturelle et disciplinaire d’une équipe – la liste exhaustive de cette dernière ne se limitant évidemment pas à ces deux disciplines. De plus, la gestion, la coordination et la communication prennent de plus en plus de place dans l’élaboration d’un projet, entraînant ainsi une évolution considérable de la pratique.

Si nous revenons sur une évolution bien connue de tous, c’est pour mieux mettre en exergue le fossé qui sépare la conception d’un projet professionnel de celle d’un projet d’école. En effet, malgré l’évolution de la pratique, l’enseignement du projet semble résister aux changements ; la forme pédagogique, généralement disciplinaire, basée sur le rapport personnalisé du maître à l’élève – ou à un groupe d’élèves – est encore majoritairement pratiquée dans les écoles d’architecture et de paysagisme. Se pose alors la question de l’adéquation entre cette forme pédagogique ancestrale et la pratique réelle qui ne cesse de se complexifier. Mais à quelle(s) réalité(s) de la pratique se rattacher ? Comme l’énonce Bernard Huet, l’enseignement du projet étant, quoi qu’on y fasse, un jeu de simulation du réel2, il reste donc à déterminer jusqu’à quel degré la « simulation du réel » peut-elle être poussée. Pour ce faire, sortons des sentiers battus.

Acte I : IE University, immersion dans le réel
Ce sont en effet sur des chemins détournés que se trouvent des formes de pédagogie alternative. Parmi elles, l’IE University. Implantée à Madrid et Segovia, cette jeune institution axe principalement la formation des architectes sur le caractère entrepreneurial de la profession, la pratique, la gestion de projet, de bureau et d’équipe, et accorde une place prépondérante à l’immersion dans le monde professionnel, sans pour autant écarter les cours de théorie et de technique. Si ce copieux planning laisse présager d’un allongement du temps de formation, il n’en est rien. Les études ne sont pas plus longues que dans une école classique. Grâce à l’outil virtuel, les enseignements connexes à la pratique sont dispensés en ligne chaque second semestre de la deuxième à la quatrième année, permettant ainsi d’optimiser le temps d’immersion dans différents milieux professionnels. En misant sur l’enseignement hybride – blended learning – qui combine un mode d’apprentissage virtuel à des temps de formation plus classique, l’université espagnole sort des carcans traditionnels et permet aux étudiants en architecture de se former tout autant dans la réalité pédagogique que dans la réalité professionnelle. 

Acte II : elop*, l’apprentissage par l’interdisciplinarité
Parmi les formes de pédagogie alternative se trouve également le programme elop*3 dirigé et coordonné par le Département architecture, bois et génie civil de la Haute école spécialisée Bernoise BFH. Comme celui de l’IE University, cet enseignement mise sur la combinaison entre le virtuel et le physique. « Nous ne voulons pas à tout prix être virtuel. L’enjeu d’elop* se place avant tout sur la compréhension de la complexité du métier d’architecte plus que jamais lié à d’autres professions, et à la nécessité de faire face à des exigences qui ne cessent d’augmenter », affirme Kathrin Merz, co-responsable du programme avec Key Portilla Kawamura depuis 2012. 

C’est précisément cette question relative à l’interaction entre différentes disciplines autour d’un projet commun qui a motivé, il y a huit ans, les professeurs Christoph Holliger et Peter Boelsterli à initier cette pédagogie, soit une plateforme d’apprentissage et d’enseignement. Il faut donc comprendre que l’intérêt du programme elop* n’est pas de faire un projet abouti, mais plutôt d’appréhender une autre manière de concevoir un projet d’architecture – dans le sens environnement construit et social – avec des interlocuteurs qui, comme dans la pratique réelle et à l’inverse de la pédagogie classique, ne sont pas tous des architectes.

Cette méthode didactique grâce à laquelle les étudiants sont confrontés à des situations réalistes semble se rapprocher de la méthode dite « d’apprentissage par – résolution de – problèmes » (en anglais Problem Based Learning) introduite pour la première fois en 1969 à l’Université canadienne de médecine de McMaster. Ce mode d’apprentissage en groupe diffère d’un mode d’apprentissage classique – bien que le projet/problème soit aussi au cœur du processus – dans le sens où il favorise la construction de nouvelles méthodes issues de l’interaction entre les méthodes propres à chaque équipier. En ce sens, plus le groupe est hétérogène, plus les solutions développées sont intéressantes et enrichissantes. Dans un cursus académique conventionnel, rares sont les occasions, excepté pendant les stages, qui se prêtent à expérimenter aussi près de la réalité cette synergie interdisciplinaire.

L’enjeu du programme elop* se situant dans l’interaction entre différentes disciplines, il convient, avant d’aller plus loin dans la description du projet, d’ouvrir une parenthèse pour définir les termes pluri-, inter- et transdisciplinarité. Tout d’abord, qu’est-ce qu’une discipline ? D’après Edgar Morin4, il s’agit « d’une catégorie organisationnelle au sein de la connaissance scientifique ; elle y institue la division et la spécialisation du travail et elle répond à la diversité des domaines que recouvrent les sciences »5. Sachant depuis Vitruve que l’architecture est une connaissance complexe mêlant l’usage, la construction et l’esthétique, le savoir architectural peut donc être considéré comme un entrelacement de disciplines et d’approches distinctes. Si cette multi-, pluridisciplinarité constitue une démarche additive de connaissances autonomes juxtaposées les unes à côté des autres « comme les différentes nations se rassemblent à l’Onu sans pouvoir faire autre chose que d’affirmer chacune ses propres droits nationaux (…) par rapport aux empiètements du voisin »6, l’interdisciplinarité, plus organique, consiste quant à elle à mettre en interaction différents domaines scientifiques autour d’un objet commun de manière à créer de nouvelles méthodes et de nouveaux savoirs. Enfin, la transdisciplinarité se distingue de l’interdisciplinarité par le fait qu’elle « intègre à sa démarche l’ensemble des parties prenantes (stakeholders) de la société. (…) elle tend à valoriser le sens commun et l’opinion publique »7. Dès lors, une question se pose quant au statut du programme elop* : est-il pluri-, inter, transdisciplinaire ou bien l’alternance de ces trois choses à la fois ?

Chaque année depuis 2008, une quarantaine d’étudiants issus de disciplines variées – architecture, génie civil, gestion des processus de construction, aménagement du paysage et sciences sociales, ingénierie agronome, CVSE, etc. – se lancent dans l’aventure. Au-delà de cette diversité disciplinaire, les étudiants contribuent également à « simuler » la diversité culturelle souvent caractéristique des équipes en charge de la conception de projets réels. La dissémination des huit écoles-partenaires8 de l’alliance elop* dans les quatre coins du globe contraint non seulement à utiliser l’outil virtuel, mais surtout à apprendre de ces différences culturelles ; les références, les théories et les méthodes n’étant pas les mêmes pour tous.

Un projet elop* s’étend sur un semestre et se compose de quatre phases de une à quatorze semaines (schéma). Les vingt premiers jours (virtual kick-off) sont consacrés à une recherche disciplinaire liée au sujet du projet, à la formulation des attentes et du rôle de chaque discipline dans le projet et à la découverte des outils virtuels. D’après les spécialistes Nicole Rege Colet et Jacques Tardif, cette entrée en matière disciplinaire, qui se déroule entre professeurs et élèves au sein de chaque universités-partenaires et qui place l’individu et la discipline au cœur du processus, est indispensable pour tendre vers une approche interdisciplinaire9. Un projet inter- ou transdisciplinaire n’écarte pas les savoirs disciplinaires ; ce sont précisément les différentes observations qui en sont faites qui, une fois en interaction, servent de base au développement de nouvelles méthodes.

Une fois ces bases acquises, la deuxième phase (physical kick-off) débute. D’une durée d’une semaine, elle se déroule in situ et réunit physiquement l’ensemble des participants. Si elle permet, en outre, de découvrir le site et de rencontrer les potentiels investisseurs et utilisateurs du projet10, elle a également d’autres visées bien moins classiques: contrairement à la première phase, la physical kick-off écarte momentanément le profil disciplinaire de chacun pour se concentrer davantage sur son identité, sa personnalité. Cette phase s’articule autour d’exercices et de méthodes11 qui s’avèrent essentiels pour rapprocher les étudiants, composer des groupes de travail et instituer un rapport de confiance entre les membres des différentes équipes. Si ces dernières sont, par essence, pluridisciplinaires, en revanche, la coopération entre les différents composants disciplinaires (architecte, ingénieur, paysagiste, sociologue, etc.) génère un processus de travail et l’émergence de nouvelles méthodes qui tendent vers l’interdisciplinarité, voire la transdisciplinarité – les utilisateurs étant intégrés dans le suivi des projets. C’est l’objectif de la troisième phase. 

Durant cette période de quatorze semaines, les équipes travaillent à distance à l’élaboration de leur projet. Tandis que des mind map censées retracer les cheminements intellectuels des équipiers supplantent le papier, des visioconférences sur des plateformes en ligne, telles que Scopia ou Skype, permettent des échanges oraux collectifs qui, bien souvent, révèlent les frontières disciplinaires. Au cours de ces discussions, il arrive effectivement que certains élèves soient confrontés à l’incompréhension de leurs homologues. A cela deux raisons : d’une part, les mots sont polysémiques et le sens d’un terme entre deux disciplines peut être extrêmement divergent ; d’autre part, chaque discipline dispose de ses propres techniques, méthodes, voire théories, ce qui les rend autonomes et parfois même inaccessibles. Face à ces difficultés de communication, il faut donc inventer de nouveaux langages dans lesquels les mots se substituent souvent à des dessins à main levée. Le rendu final doit être capable de retranscrire toutes ces recherches expérimentales et ces nouvelles méthodes qui traduisent les prises de position de chacun lors de ces confrontations disciplinaires, ainsi que la présentation du projet à proprement parler.

La réalisation de ce rendu collectif s’effectue lors de la dernière phase du programme – final review – au cours de laquelle l’ensemble des participants sont à nouveau physiquement réunis pendant une semaine. A ce moment précis du processus, il faut produire à la hâte. A l’instar de tout autre rendu de concours d’architecture, chaque individu retrouve donc ses propres outils disciplinaires et s’en réfère à ses compétences personnelles. Comme l’affirme Kathrin Merz, « elop* ne cherche pas à faire d’un architecte un sociologue. Le but du processus transdisciplinaire est de créer une attitude intégrative qui permet d’élaborer des solutions non conventionnelles. La production finale est également un acte intégratif et représente l’influence de différentes disciplines ».

Cette forme pédagogique marque un changement de paradigme quant à la manière d’appréhender la conception d’un projet dans un cadre académique (schéma). Dans ce système, les architectes en formation ne sont plus les uniques concepteurs d’un projet. Ils apprennent au contraire à interagir et à intégrer les savoir-faire et les méthodes des autres disciplines de manière à comprendre que les contraintes – ou plutôt les idées – d’un ingénieur ou d’un paysagiste ne sont pas forcément des obstacles, mais peuvent également apporter de réelles plus-values. 

Revenons sur la complexité. Puisque l’enjeu du programme elop* se focalise sur l’interdisciplinarité, on pourrait se demander pourquoi aller chercher aux quatre coins du monde une diversité disciplinaire présente au sein d’une même université ? Si le programme elop* atteint un tel degré de complexité, est-ce seulement pour confronter les étudiants à expérimenter une situation « fictivement réaliste » ? Ou peut-on également y voir un état de fait qui traduirait aussi l’incompréhension, voire l’objection, des institutions à décloisonner les disciplines ?

Dans ses écrits sur l’interdisciplinarité, Edgar Morin explique que « l’organisation disciplinaire s’est instituée au 19e siècle, notamment avec la formation des universités modernes ». C’est ainsi que sont nés les cloisonnements et les hyperspécialisations disciplinaires qui rendent désormais le dialogue si complexe entre les différentes sphères du savoir, chacune ayant développé son propre langage. Deux siècles plus tard, les pressions institutionnelles et académiques qui s’exercent sur les universitaires semblent continuer à écarter la mise en place d’un langage commun. Des initiatives telles que elop* tentent d’y remédier. Pourtant, la distance ne semble pas toujours en adéquation avec le processus créatif. « Il y a un moment où il faut qu’il n’y ait plus qu’un crayon qui dessine sur un calque unique », reconnaît Pauline Jochenbein12. Le programme elop* mériterait-il de voir le jour sous des formes locale ou nationale pour optimiser l’apprentissage de l’interdisciplinarité ? Quoi qu’il en soit, grâce à la prochaine session elop* qui débutera en septembre, le contexte transfrontalier de l’Espace Mont-Blanc connaîtra peut-être une « mutation alpine »13.

Acte III : les MOOCs, enseignement ou concours d’idées ?
Selon Bernard Huet, la « forme d’enseignement (traditionnelle) basée sur le rapport personnalisé du maître au disciple (…) est une forme de pédagogie qui, pour être efficace, doit prendre un temps très long et s’adresser à un nombre limité d’étudiants »14. A travers ces propos, faut-il comprendre que les MOOCs (lire article lié) qui, sur un temps restreint, associent non seulement efficacité et massivité, mais également dépersonnalisation de l’apprentissage, ne permettraient pas d’enseigner le projet d’architecture ?

En proposant des cours ayant uniquement trait à la constellation de savoirs techniques et théoriques gravitant autour du projet15, les deux plateformes de référence – Coursera et EdX – valident ces propos. En revanche, les MOOCs mis en ligne par iversity semblent les réfuter. En effet, depuis l’automne 2013, cette plateforme germanique propose l’accès à des cours étiquetés « architecture » développés par l’Open Online Academy (OOAc) basée à New York et dont le principal objectif est « de construire un monde meilleur à travers l’éducation et la conception en ligne »16. En focalisant ses cours sur le processus créatif, cette université digitale s’attaque de plein fouet à l’enseignement du projet d’architecture.

Si des prérequis en conception architecturale sont recommandés, ces « cours » demeurent néanmoins, conformément aux autres MOOCs, gratuits et ouverts à tous ; le pavillon disciplinaire de l’architecte est une nouvelle fois rendu accessible. Néophyte ou confirmé, seul ou en équipe, il est donc désormais possible de se lancer dans l’élaboration d’un projet – qui plus est, humanitaire – d’école « résiliente » aux Philippines dans la zone sinistrée par le typhon Haiyan en 2013 ou encore de développer des abris d’urgence. Pour ce faire, les étudiants ont « rendez-vous » chaque semaine avec des enseignants qui, par l’intermédiaire de leçons filmées, leur délivrent des connaissances spécifiques en rapport avec la thématique du projet. Au cours du semestre, les différentes propositions sont postées sur un forum, permettant ainsi aux participants de bénéficier des critiques de leurs homologues, et éventuellement de celles des enseignants en charge du MOOC. A la fin du cours, les équipes rendent virtuellement leurs propositions, lesquelles sont évaluées par un jury international constitué entre autres des critiques Kenneth Frampton ou John Lobell. A l’instar d’un concours d’idées, cinq à dix projets sont sélectionnés. Parmi eux, l’un aura peut-être la chance d’être un jour réalisé puisque ce MOOC est développé en collaboration avec les autorités locales philippines.

Ce mode d’évaluation rend ce MOOC très marginal. En s’éloignant du format imposé, il se rapproche d’un concours d’idées, à deux exceptions près : d’une part, l’accès à ces derniers est généralement réservé aux architectes professionnels ou en cours de formation ; d’autre part, pour préserver l’anonymat, il n’y a théoriquement peu ou pas d’interaction entre les organisateurs et les participants. Dès lors, une question se pose : les MOOCs développés par l’OOAc peuvent-ils réellement être considérés comme des outils pédagogiques complets ? 

Si l’on se réfère à nouveau aux propos de Bernard Huet, l’enseignement du projet comporte trois niveaux d’objectifs pédagogiques : le plus élémentaire consiste à aider l’étudiant à acquérir des outils et des techniques de représentation propre à la discipline ; le second s’intéresse à la mise en forme du projet ; et le dernier concerne la dimension architecturale, à proprement parler, du projet et fait appel à des connaissances à la fois pratique et théorique17. Ces objectifs s’assimilent sur du long terme et de manière progressive. De plus, selon la tradition des ateliers où le projet est généralement enseigné, l’oralité, qui passe par le contact physique, constitue également un outil pédagogique18. De ce fait, si les MOOCs-projets développés par l’OOAc peuvent au mieux s’apparenter – s’ils s’adressent à un public averti – à des exercices d’entraînement mis à disposition de ceux qui voudraient renforcer et diversifier leur formation hors du milieu académique, la dimension pédagogique semble occultée. 

D’après cet exemple de MOOC singulier (lire texte lié), s’exercer à la pratique architecturale ne semblerait désormais plus réservé aux professionnels. Toutefois, la conception d’un projet nécessite des méthodes et des compétences spécifiques dont seuls disposent les plus qualifiés. C’est grâce à la reconnaissance de ce langage disciplinaire que le jury de professionnels sera à même d’évaluer la pertinence des projets rendus en fin de semestre ; lesquels s’apparentent à des rendus de concours classiques. En ce sens, franchir les portes d’un pavillon disciplinaire et avoir l’accès aux outils qu’il renferme ne donne pas la capacité de savoir les maîtriser ; l’enseignement est nécessaire à l’acquisition des savoir-faire nécessaires à la conception d’un projet d’architecture. En revanche, cela peut permettre aux néophytes de comprendre, voire de démystifier, certains aspects d’une profession dont ils pourraient avoir une vision galvaudée. Quant aux plus expérimentés, certains y verront un moyen de renforcer leur expérience ; d’autres, une manière de coopérer avec des personnes issues d’autres horizons disciplinaires et culturels. Il s’agirait bien sûr de l’application idéale de ce MOOC qui n’est, pour le moment, ni un cours, ni un concours.

Enseignement alternatif ou enseignement additif
« Ce n’est pas parce que l’on a écrit que l’on a arrêté de parler ; ce n’est pas parce que l’on a imprimé, que l’on a arrêté d’écrire ; ce n’est pas parce que l’on est dans l’ère numérique que l’on va arrêter d’imprimer »19 et ce n’est pas parce que l’on développe des formes de pédagogie alternative que l’on cessera d’enseigner traditionnellement le projet d’architecture, pourrait-on ajouter à cette réplique de Michel Serres. Tels ne sont d’ailleurs pas les objectifs des trois exemples cités dans cet article. 

Qu’il s’agisse de l’immersion dans le milieu professionnel qui dirige vers un profil d’architecte-entrepreneur, de l’apprentissage par l’inter-, transdisciplinarité qui révèle les limites de l’autonomie disciplinaire ou de l’entraînement par les MOOCs-projets, ces trois méthodes sont des enseignements complémentaires, additifs à un enseignement traditionnel. A ce jour, il ne s’agit pas de supplanter ce dernier mais de permettre, le temps d’un semestre ou plus, de sensibiliser les étudiants à la complexité de la pratique ; un objet architectural n’est pas uniquement l’idée d’un architecte, il est le fruit d’une collaboration solidaire ayant transgressé les frontières disciplinaires.

Qu’en sera-t-il demain de ces pédagogies alternatives qui ne sont aujourd’hui qu’à la phase embryonnaire de leur développement ? Deviendront-elles les nouveaux modèles de l’enseignement du futur ? Demeureront-elles si singulières qu’elles finiront par tomber dans l’oubli ? Ou trouveront-elles une place dans le découpage disciplinaire des universités modernes de manière à ce que ces enseignements aujourd’hui facultatifs deviennent demain des enseignements obligatoires ? Affaire à suivre.

 

Notes

1. Bien qu’ils aient travaillé en collaboration avec des confrères suisses, les ingénieurs du bureau Bollinger + Grohmann sont d’origine allemande.
2. Bernard Huet, « Théorie et modèles » dans L’enseignement du projet d’architecture, propos recueillis pas Jean-François Mabardi, Direction de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, 1995, p. 76
3. elop* est l’acronyme de environment-focused learning and operative platform.
4. « Edgar Morin est l’un des pionniers des sciences sociales ayant abordé le défi de penser de manière systémique et globale, en montrant l’inadéquation entre un savoir fragmenté en disciplines et des réalités multidimensionnelles et complexes, telles que la ville et le développement urbain. » Extrait de Le défi de l’inter- et transdisciplinarité, PPUR, Lausanne, 2008, p. 229
5. Edgar Morin, «Sur l’interdisciplinarité», dans Les cahiers de la recherche architecturale et urbaine, vol. 12, Editions du patrimoine, Paris, janvier 2003, p. 13
6. Ibidem p. 19
7. Roderick J. Lawrence, « Transgresser les frontières disciplinaires : l’exemple de l’écologie humaine », dans Frédéric Darbellay & Theres Paulsen, Le défi de l’inter- et transdisciplinarité, PPUR, Lausanne, 2008, p. 225
8. Il s’agit de la Stanford University aux Etats-Unis, de l’Instituto Tecnológico y de Estudios Superiores de Monterrey au Mexique, de la Cologne University of Applied Sciences en Allemagne, de la Politecnico di Milano en Italie, de la Polytech’Marseille en France, de la Bauhaus Universität Weimar en Allemagne, de la Bern University of Applied Sciences et de la HES-SO en Suisse.
9. Nicole Rege Colet et Jacques Tardif, «Interdisciplinarité et transdisciplinarité : quels cas de figure pour les programmes universitaires et les parcours de formation?», dans Frédéric Darbellay & Theres Paulsen, Le défi de l’inter- et transdisciplinarité, PPUR, Lausanne, 2008, p. 22
10. Les projets elop* s’inscrivent dans des situations réelles. D’une part, cela permet aux maîtres d’ouvrages, qui financent une partie du programme, de découvrir des orientations de projet auxquelles ils n’auraient peut-être pas pensé; d’autre part, les étudiants peuvent tirer profit de ces échanges avec de vrais professionnels.
11. Lire entretien avec Pauline Jochenbein p. 17.
12. Voir entretien p. 17.
13. En référence au thème de elop* 7 «Alpine Mutations - Focus Finhaut».
14. L’enseignement du projet d’architecture, propos recueillis par Jean-François Mabardi, direction de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, 1995, p. 76
15. Voir encadré «MOOCs et architecture : tour d’horizon»
16. Voir site : http://www.ooac.org
17 L’enseignement du projet d’architecture, propos recueillis par Jean-François Mabardi, direction de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, 1995, p. 76
18 Jacques Lucan, Composition, non-composition, Architectures et théories, XIXe –-XXe siècles, PPUR, Lausanne, p. 173.
19 Extrait d’un débat entre Michel Serres et Alain Finkielkraut diffusé le 8 décembre 2012 sur France Culture.

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