Dé­con­s­truc­tion tar­di­ve

Editorial paru dans Tracés n°21/2014

Publikationsdatum
19-11-2014
Revision
10-11-2015

Avec le Musée des Confluences à Lyon et la Fondation Louis Vuitton à Paris, la France semble vouloir régler ses comptes avec l’Histoire. Les deux géants de la déconstruction que sont Frank Gehry et Wolf D. Prix sont mobilisés pour combler un retard : celui qui a privé l’Hexagone, et surtout la capitale française, de grands projets déconstructivistes. 

Quelle peut être l’actualité du retour en force d’un mouvement qui, tout pertinent qu’il put être il y a 30 ans, semble aujourd’hui enlisé dans un maniérisme sans limite ? Pour y répondre, il est peut-être utile de revenir sur les raisons qui ont bloqué les projets déconstructivistes par le passé. 

Qu’il s’agisse de la Très Grande Bibliothèque de l’OMA en 1989 ou de la reconstruction des Halles en 2004, c’est le manque d’audace politique et l’affairisme qui sont à l’origine de nombreux rejets. A l’époque, la bienséance parisienne n’osait envisager, à côté du néoclassicisme haussmannien, qu’un modernisme lui aussi classicisant, à la manière de Bofill. De Cergy à Montparnasse, en passant par la Défense et la Bastille, c’est ce type d’architecture grandiloquente que l’on a préférée aux distorsions critiques des déconstructivistes. 

Aujourd’hui, la classe politique, main dans la main avec des chefs d’entreprises influents, semble déterminée à pallier ce manquement. Ils apportent, avec un certain retard, de la déconstruction à n’en plus finir. De la splendeur en cristal et en Ductal, avec des gestes éternels et des envolées lyriques comme on en a rarement vu en Europe. Certes, la classe politique peut se vanter d’offrir aux Parisiens un écrin somptueux à moindre frais (cela reste à vérifier). Mais le rendez-vous avec l’Histoire n’a pour autant pas eu lieu. 

Le déconstructivisme de Gehry en 2014 n’a plus grand-chose à voir avec le mouvement qui enflammait les débats étudiants en 1980. La radicalité a cédé sa place à la monumentalité, l’esprit d’expérimentation à la surenchère technologique, l’irrévérence à la vulgarité. En prise avec le pouvoir, la déconstruction est devenue aussi monumentale et ennuyeuse que le néoclassicisme contre laquelle elle guerroyait dans les années 1980. 

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres que nous détaillons dans un dossier exceptionnel, le projet spectaculaire de la Fondation Louis Vuitton est un échec, tant sur le plan architectural qu’urbanistique. Avec ces gesticulations précieuses et désuètes, la France ne rattrape aucun retard. Bien au contraire, elle régresse, creusant l’écart qui la sépare de l’actualité qu’elle souhaite atteindre.

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