Christ­church, une ville en tran­si­ti­on

Suite aux nombreux séismes qui se sont produits depuis 2010 à Christchurch, des projets urbains et artistiques éphémères fleurissent dans la ville néo-zélandaise. Entre décombres et reconstruction, ils font d’elle une ville en transition

Publikationsdatum
27-05-2013
Revision
23-10-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

La ville de Christchurch est située sur la côte est de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Avec une population estimée à 363 000 habitants, elle est, après Auckland et Wellington, la troisième aire urbaine du pays. Depuis septembre 2010, la région de Canterbury, dont elle est le chef-lieu, a subi plus de 10 000 séismes, dont 4261 d’une magnitude supérieure à 3 sur l’échelle de Richter. Le premier d’entre eux, d’une magnitude de 7.1, a frappé Christchurch le 4 septembre 2010 au petit matin, causant des dégâts considérables. Mais le plus dévastateur s’est produit le 22 février 2011. L’épicentre étant proche du centre-ville, l’intensité et la violence des secousses furent ressenties très violemment. Les bâtiments et les infrastructures ont été largement endommagés. Seuls quelques-uns d’entre eux sont restés debout. Les autres ont été complètement détruits ou rasés (ou en attente de l’être) pour des raisons sécuritaires ou économiques. Déserté et vidé de sa substance vitale, le centre-ville ressemble aujourd’hui à un espace chaotique, où ruines et décombres s’amoncellent derrière des grillages. Les activités, majoritairement économiques, ont été relocalisées dans les banlieues qui ont acquis un rôle primordial dans le fonctionnement de la ville, renforçant ainsi l’étalement urbain déjà présent avant la catastrophe.
L’administration communale, le Christchurch City Council et le Canterbury Earthquake Recovery Authority, fondé par le gouvernement national, ont élaboré un plan de reconstruction pour le centre-ville (image). Des idées venant aussi bien des habitants que des experts ont été assemblées. Plus de deux ans se sont écoulés.
La communauté de Christchurch se rend à l’évidence : la reconstruction prendra des décennies. Il faudra alors apprendre à vivre dans une ville en transition. 
En réponse à ce constat, un élan créatif émanant d’associations, d’habitants, d’artistes, d’architectes et d’urbanistes a vu le jour. Comment faire vivre le centre-ville de Christchurch? Comment éviter son dépeuplement ? Comment donner envie aux gens d’y revenir? Comment profiter de cette phase pour dépasser son unique attrait commercial ? Autant de questions auxquelles les acteurs ont tenté de répondre. De nombreux projets communautaires ont ainsi vu le jour. Malgré leurs différences, tous adoptent le même processus expérimental grâce auquel de nouvelles visions de la ville et de nouvelles formes d’urbanités sont testées. Greening the Rubble et Gap Filler sont deux associations qui prennent part à ces réflexion et expérimentation post-séisme.

Greening the Rubble 

Fondée en septembre 2010 juste après le premier séisme, Greening the Rubble crée des parcs et des jardins publics éphémères sur les sites des immeubles détruits. Le concept est d’utiliser ces derniers de manière temporaire jusqu’à leur reconstruction, en accord avec le propriétaire. Les espaces publics sont ainsi pensés dans une optique évolutive, inscrivant dès la réflexion initiale leur démantèlement et une possible relocalisation sur un autre site. Greening the Rubble – originellement appelée Making-shift – est aussi caractérisée par une philosophie d’écologie urbaine. Cette association tente de montrer aux propriétaires privés qu’une meilleure utilisation des friches peut enrichir la biodiversité en ville. Les terrains privés deviennent ainsi des sortes de laboratoires à ciel ouvert. Onze des seize projets réalisés à ce jour sont encore existants. Six sont en construction ou en phase de conceptualisation. 
Créé il y a plus d’un an, Coffee Zone (photo) est l’un des projets les plus importants de Greening the Rubble. Ce jardin a été construit uniquement à l’aide de matériaux recyclés, comme des palettes et des planches issues des chantiers de la ville, peintes dans des couleurs vives. Les plantes utilisées sont majoritairement d’essence indigène et proviennent d’une plantation locale qui fait régulièrement don de certaines espèces à l’association. Le matériel utilisé et les fonds nécessaires proviennent de donations. Une aide financière est également apportée par la municipalité. Les employés des bureaux alentour se réunissent régulièrement dans ce parc pour leur pause café. Le gérant de ce petit établissement s’est installé ici en sachant qu’il devra se relocaliser quand le site sera démantelé. Au fil des semaines, le jardin a subi de nombreuses modifications pour s’adapter aux nouvelles constructions ayant lieu à proximité. Il y a quelques mois, il contenait un terrain de pétanque qui a dû laisser la place aux machines de chantier travaillant sur la parcelle voisine. Les plantes et les éléments de construction peuvent être réarrangés de différentes manières à l’intérieur du jardin ou relocalisés sur d’autres sites. Pour toutes les modifications, l’association fait appel à des volontaires, locaux ou visiteurs, qui font ainsi partie intégrante de la reconstruction de leur ville. 

Gap Filler 

Fondée le 4 septembre 2010, Gap Filler est, à l’instar de Greening the Rubble, une association utilisant les parcelles privées détruites pour occuper et revitaliser le centre-ville pendant la période de reconstruction. Mais contrairement à Greening the Rubble qui cherche à renforcer la biodiversité dans la ville, Gap Filler favorise le développement d’espaces destinés à promouvoir l’activité créatrice des artistes, des musiciens, des sportifs et des habitants de Christchurch. L’association facilite la réalisation de nouveaux projets. Elle négocie avec les propriétaires, trouve les fonds et les matériaux et assure le suivi et la communication. L’objectif n’est pas la mise en œuvre de grands projets qui pourraient se pérenniser, mais celle de petites créations, pensées et réalisées pour être éphémères et dont le questionnement sur la reconstruction s’attache particulièrement à l’espace public du centre de Christchurch. 
Toujours dans cette idée initiale de réappropriation de la ville par la population, l’association a ainsi permis à plusieurs projets de voir le jour : des cafés mobiles, des expositions de photographie, des performances, des espaces extérieurs de projections comme Playtime (photo) dont le design a fait l’objet d’un concours ou encore le Cycle-Powered Cinema (photo) qui invitait les téléspectateurs à produire eux-mêmes l’électricité nécessaire à la projection du film. Parfois, l’œuvre vient directement interpeller les autorités sur l’avenir des bâtiments qui ont résisté aux tremblements de terre. Thinking Outside the Square (photo),
par exemple, a fait l’objet de projections d’archives privées et institutionnelles sur la façade d’un bâtiment du quartier de Cathedral Street. Situés dans l’Easter frame du plan de reconstruction, le bâtiment et la parcelle seront rachetés par les autorités qui définiront les critères déterminants de la restauration ou de la destruction des constructions localisées dans ce périmètre. L’œuvre a ainsi voulu souligner à travers le vécu de ses habitants l’histoire du quartier, critère qui devrait être décisif dans le choix des autorités.

Une remise en question

 Si l’objectif est de faire vivre de manière transitoire le centre-ville de Christchurch, les actions de Gap Filler, Greening the Rubble et autres associations ou événements post-séisme (un festival d’architecture temporaire a vu le jour en 2012) s’inscrivent plus largement dans la problématique du processus de reconstruction. En occupant le centre-ville par des actions lancées et menées à la fois par et pour la population, ces associations questionnent également l’urbanité précédant la catastrophe qui, caractéristique des sociétés postcoloniales anglo-saxonnes, se résume à un hyper-centre économique et touristique très peu habité entouré de zones pavillonnaires. En investissant cette phase de transition par des petits projets spontanés, éphémères et mobiles, elles montrent aussi une autre façon de penser et de créer la ville en devenir, remettant ainsi en question celle des autorités publiques basée sur un plan directeur (le Blueprint Plan) conçu autour de quelques grands projets de référence.

Elsa Koenig est archéologue et a entrepris des études d’urbanisme. Elle est actuellement à Christchurch pour étudier les projets de transition.

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