Bien pens­ant vs bien pen­sé

Editorial paru dans Tracés n°10/2013

Publikationsdatum
27-05-2013
Revision
10-11-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Il y a quelque chose de pourri au Royaume de l’humanitaire. Des études en anthropologie et trois années passées en tant que coordinateur de la recherche à l’Institut universitaire d’études du développement ne m’ont pas permis de dépasser le malaise profond dans lequel cette thématique me plonge. Très fortement sensibilisé par ma formation à la pensée postcoloniale, je n’ai jamais cessé de voir en l’aide humanitaire et le développement au mieux un business, au pire la continuation de la domination arrogante qu’a exercé l’Occident sur ce qu’il a nommé lui-même les pays sous-développés, le tiers-monde ou encore les pays en développement. Et pourtant, une éducation protestante, une culpabilité héritée ou encore un attachement universaliste m’ont peut-être toujours interdit de croire à la solution de l’abandon pur et simple. Loin de répondre à mes doutes, ce numéro qui porte sur l’architecture de l’urgence les renforce.

Hasard du calendrier, la chaîne Arte a diffusé le documentaire Assistance mortelle1 du cinéaste haïtien Raoul Peck lors de la préparation du dossier consacré au travail de la coopération suisse en Haïti (lire Echanger des savoirs pour reconstruire durablement). On ne pouvait trouver meilleures représentations de mes sentiments antinomiques. Même s’il manque parfois de regard critique envers les autorités politiques haïtiennes, Assistance mortelle démonte méticuleusement et avec tristesse les rouages d’un système qui reproduit, décennie après décennie, catastrophe après catastrophe, avertissement après avertissement les mêmes erreurs : méfiance et mépris envers les autorités locales, négligence des contextes, dictature des bailleurs de fonds, solutions en kit, surenchère médiatique, etc.

Le travail de reconstruction mené par le Corps suisse d’aide humanitaire (CSA) nourrit quant à lui les maigres espoirs qu’il me reste. Même s’il semble être bien marginal dans la « pornographie humanitaire » qui a frappé Haïti, il démontre que d’autres réponses sont possibles. A l’opposé des transitional shelters strandardisés et médiatisés2, le groupe construction du CSA mène une action plus locale, plus restreinte, ancrée dans le territoire et construite en partenariat avec les autorités politiques et la société civile du pays d’intervention. Et, pour éviter que les « impacts soient aussi insignifiants que les agendas généreux », pour reprendre Raoul Peck, il serait temps que ce genre d’approches se répande plus largement. Mais le doute subsiste. La communauté internationale en est-elle capable ? Est-il possible de dépasser les enjeux économiques et politiques ? Il faut peut-être « pouvoir savoir tout arrêter ».

 

Notes

1 Le documentaire peut être acheté sur le site http://videos.arte.tv/en/videos. Les citations ci-dessus sont tirées de ce dernier.
2 Les transitional shelters sont des abris formés de structures légères. Conçus pour être provisoires, leur regroupement se transforme bien souvent en quartier informel.

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