Editorial du 11/2017
Afin d’exercer la mémoire de l’orateur, le plus ancien manuel de rhétorique de l’Antiquité préconisait la «méthode des lieux» inventée, dit-on, par le poète Simonide de Céos. Toujours utilisée, cette technique nommée à la Renaissance «palais de mémoire» est désormais un classique des championnats de mnémotechnie: elle consiste à placer mentalement dans un bâtiment connu des objets, des concepts ou des phrases de discours dont on veut se souvenir. L’anecdote nous indique qu’il existe peut-être une vertueuse interaction entre deux systèmes de référence dans lesquels se déploient les connaissances.
Alors que la numérisation de nos ressources documentaires se poursuit sans relâche, il est bon d’évoquer cette dimension phénoménale, «ergonomique», de notre rapport au savoir. Les contributeurs et interlocuteurs de ce second dossier consacré aux bibliothèques nous donnent quelques pistes qui vont dans ce sens. Comme dans Bibliothèques #1 (TRACÉS n° 9/2017) consacré aux établissements publics, nous avons croisé les regards des bibliothécaires et des architectes afin de toucher à quelques enjeux de l’évolution contemporaine des bibliothèques de recherche, en mélangeant études historiques et projets récents.
La bibliothèque de recherche, avant d’être une construction architectonique, est d’abord une collection, ou un ensemble de collections, dont l’architecte accompagne la croissance historique – généralement avec un temps de retard sur l’évolution des supports. Le premier catalogue, c’est l’espace. Que ce soit en organisant ses ouvrages dans son salon, dans une bibliothèque d’art, dans des bibliothèques d’étude ou dans une grande bibliothèque universitaire, l’agencement topographique des livres crée des ensembles signifiants, des bribes de collections, puis l’ébauche, déjà, d’une délimitation disciplinaire. En voilà assez pour se demander si le découpage historique des grandes catégories du savoir est en soi un problème architectural.