Ar­tis­tes et ar­chi­tec­tes: un amour pla­to­ni­que?  

Si le «Kunst am Bau» le programme artistique attribué aux réalisations a pu servir de programme d’embellissement à l’architecture, il a aujourd’hui une vocation plus discrète et plus sensible: nourrir de significations des réalisations, sans heurter les principes architecturaux qu’ils rencontrent. Les trois projets lauréats dévoilés récemment par la Direction générale des immeubles et du patrimoine du Canton de Vaud (DGIP) illustrent la nature de cette relation subtile: des contacts qui n’ont rien de physiques. On se rencontre, sans jamais se toucher.

Publikationsdatum
26-02-2019
Revision
27-02-2019

La cheffe du département en charge de la culture, accompagnée de l’architecte cantonal et président du jury, ont dévoilé le 10 janvier dernier les lauréats des concours d’intervention artistique organisés dans le cadre de trois importants chantiers en cours ou futurs de l’État. Il s’agit de l’artiste lausannois Robert Ireland pour l’extension de l’Unithèque à Dorigny, de l’artiste zurichois Fabian Marti avec Truwant + Rodet pour la construction du futur Campus Santé à Chavannes-près-Renens, enfin du chorégraphe genevois Gilles Jobin pour la restauration de l’Aula des Cèdres à Lausanne.

Le jury du concours pour l’intervention sur l’extension de l’Unithèque de Dorigny n’a pas souhaité que le majestueux espace d’entrée projeté par FHV soit profané par une œuvre, aussi subtile soit-elle. L’espace, la lumière, cela se respecte. Dans ce contexte, plusieurs artistes ont préféré concentrer leur intervention sur le programme d’un édifice dédié prioritairement à l’étude des livres. Au lieu de s’en prendre à la substance bâtie ou à l’espace, Robert Ireland déploie ses dessins sur une centaine de tables de la grande salle de lecture, les supports des échanges quotidiens entre étudiants et chercheurs. Ireland parvient, avec humour, à thématiser sa fascination pour les figures, les schémas et les diagrammes étranges que manipulent les scientifiques. «J’ai toujours été fasciné par des dessins que je ne comprenais pas», déclare l’artiste, qui estime que parmi les scientifiques se cachent des artistes qui s’ignorent.

La Fontaine de Jouvence proposée par Fabian Marti en collaboration avec les architectes bâlois Truwant+Rodet pour le Campus Santé de Chavannes-près-Renens prend ici aussi une distance respectueuse vis-à-vis de l’architecture. Dans ce cas également, l’autonomie des volumes clairs et des espaces majestueux qui seront déployés sur le futur campus a été rigoureusement respectée. Le trio propose une fontaine, ou plutôt une rivière, qui, de sa source à sa disparition dans les entrailles du parc, prendra différentes formes, inspirées des fontaines de la Renaissance: écoulements en gouttes, bassins, canal, … Métaphore ouverte, l’intervention incitera peut-être les spécialistes de la santé à y percevoir une matérialisation sensible de différents états de la vie humaine. 

La palme de la non-intervention physique sur le bâti revient à la compagnie Gilles Jobin. Son projet pour accompagner la restauration de l’Aula des Cèdres se déploie en effet dans un monde virtuel. Il faut dire que, dans ce cas précis, les organisateurs du concours ont encouragé un travail éphémère ou performatif, afin d’éviter qu’une installation ne perturbe la perception de l’édifice conçu par Jean Tschumi, dont la valeur patrimoniale est unanimement reconnue et respectée.

Après avoir monté au théâtre de l’Arsenic une chorégraphie virtuelle, la compagnie Gilles Jobin poursuit son travail en mettant en scène des danseurs qui ne seront visibles que par l’intermédiaire d’un support médiatique. Sur l’écran d’une tablette ou d’un smartphone, ils exécuteront, à différentes échelles, une chorégraphie conçue spécialement pour le site de l’Aula des Cèdres. 

Un musée imaginaire à l’échelle du territoire 

Comme pour nous permettre d’apprécier cette évolution des rapports entre art et architecture, la DGIP réunit dans un ouvrage des fiches présentant les travaux artistiques réalisés depuis une cinquantaine d’années. Il faut rappeler ici que pour tous les bâtiments édifiés ou rénovés par l’État, un montant proportionnel au coût de construction ou de rénovation proprement dit doit être réservé pour une intervention artistique sur le bâtiment. Aussi, en un demi-siècle, l’État de Vaud a constitué une collection importante, qui compte désormais une centaine d’œuvres. Le projet Destination Art et Architecture est l’occasion de tirer un bilan de l’évolution de la pratique et d’apprécier les différentes stratégies d’intervention qui ont été mises en œuvre au cours des dernières décennies.
L’ouvrage répond également à une nécessité, explique la responsable du projet éditorial, Agata Miszczyk: «Il s’agissait de rendre leur identité à des œuvres qui, privées de leur histoire, n’étaient parfois plus perçues comme projets artistiques. Tombées dans l’oubli, certaines ont été dissimulées, mutilées, voire menacées de destruction.» Ce travail a également été publié en ligne, grâce à un partenariat avec le site artlog.net, qui recense et localise désormais toutes les interventions artistiques du Canton de Vaud depuis 1960.

Après l’application Traverse, destinée depuis 2017 au patrimoine, les amateurs d’art contemporain équipés d’un smartphone auront accès à un nouveau musée imaginaire, déployé à l’échelle du territoire.

Une fois équipé, on peut y découvrir quelques perles artistiques, comme L’arboretum de Urs Twellmann (2017) – situé à quelques pas de la rédaction de Tracés, et découvert grâce au nouveau site internet.

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