Ar­chi­tec­tu­re of Coun­ter­re­vo­lu­ti­on

The French Army in Northern Algeria

Publikationsdatum
22-02-2018
Revision
22-02-2018

Nous avions déjà consacré dans Tracés n° 8/2017 un article à l’exposition qui préfigurait au printemps 2017 la publication de cet ouvrage. Architecture of Counterrevolution – the French Army in Northern Algeria de Samia Henni aux éditions du gta à Zurich constitue une des plus saisissantes études de théorie architecturale publiées ces dernières années. Un travail de nature à étendre le domaine de l’urbanisme bien au-delà des limites qui sont celles de son acception courante. Avec Henni, la théorie architecturale retrouve la dimension politique que lui refusent de plus en plus les acteurs immobiliers et économiques de la fabrique urbaine. Son travail parvient à repositionner la discipline sur le terrain qu’elle se doit d’occuper.

La politique dont traite l’ouvrage est celle, coloniale, d’une métropole (la France) qui s’acharne à préserver par des moyens architecturaux son emprise sur sa colonie (l’Algérie). Parallèlement à une action militaire d’envergure ayant causé la mort de plus 200 000 combattants, l’administration coloniale va entreprendre un plan ambitieux, supposé permettre en cinq ans le bond en avant que 150 années de gouvernance n’étaient pas parvenues à accomplir.

Dans Architecture of Counterrevolution, la chercheuse développe les thèmes esquissés dans l’exposition de l’été dernier : la façon dont les dernières années d’occupation de l’Algérie ont fait l’objet d’une réorganisation territoriale agricole et urbaine massive, impliquant le déplacement de millions de villageois ainsi que la création de nombreux grands ensembles dans les agglomérations confrontées à la prolifération des bidonvilles.

Ce qui fascine dans l’analyse de cet épisode refoulé de l’histoire française c’est l’ambiguïté du plan et de sa mise en œuvre. Tout à la fois concentrationnaire, militariste et humaniste, progressiste, la planification pour l’Algérie française témoigne de la façon détournée qu'a la conquête coloniale de se tenir en équilibre entre la guerre, dans ce qu’elle a de plus mortifère, et une rhétorique du progrès. C’est bien cette ambiguïté qui permet aujourd’hui à la France de continuer sur la voie de la négation de l’anhistoricisme, ajournant indéfiniment l’indispensable travail sur son passé de conquérante de l’Afrique du Nord.

La difficulté (pour une partie des Français) de considérer la guerre d’Algérie comme une faute morale est probablement due à la façon dont certains stratèges de cette rhétorique du progrès ont façonné l’avenir non plus de l’Algérie, mais bel et bien de la France, à l’issue de la guerre.

Paul Delouvrier, responsable de la pacification, nommé par le général de Gaulle délégué général du gouvernement en Algérie entre 1958 et 1960, deviendra après l’indépendance l’homme le plus influent dans l’aménagement de l’agglomération parisienne. Avec le projet des villes nouvelles, la France, dans une sorte d’ultime geste d’autopersuasion, appliquera à son propre territoire certaines des formules qu’elle avait mises au point au cours de son ultime effort pour garder l’Algérie. Si Henni ne s’étend pas sur cette question, son analyse incisive permet de le penser.

En reliant de façon étroite la planification urbaine pour l’Algérie et la guerre coloniale, son approche tire un parallèle évident entre l’action militaire et la planification territoriale. Les cartes, avant d’être les outils de l’organisation du développement, ne sont-elles pas les instruments de l’action militaire?

Dans Enfance d’une ville, un documentaire d’Eric Rohmer sur la création de Cergy-Pontoise, un autre haut fonctionnaire colonial, Bernard Hirsch, devenu entre-temps directeur de l’établissement public d’aménagement, formule la chose on ne peut plus clairement : «Dans les villes nouvelles il y a beaucoup d’anciens coloniaux. Je crois que ceci s’explique parce que d’abord, ce sont des pionniers et qu’une ville nouvelle c’est un peu analogue au défrichage des territoires d’Afrique.»

Hirsch est souriant, sa carte colorée. Si en 1975 l’image du planificateur en train de projeter un avenir radieux parvient à faire oublier l’action du haut fonctionnaire établissant son plan de conquête en Afrique, le lien entre les deux persiste, même s’il passe au second plan.

Le travail de Henni a le mérite de ramener à la surface cette filiation trop souvent occultée lorsque planifier, développer, pacifier et abattre étaient les différentes étapes d’une même stratégie de conquête. 

 

Informations

Architecture of Counterrevolution. The French Army in Northern Algeria
Samia Henni
GTA Verlag, Zurich, 2017
 ISBN : 978-3-85676-376-3 / Fr. 48.–

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